JEAN
Jeannette la meunière?
MARGUERITE
Oui, précisément, et sa maman l’a bien fouettée, je t’assure; nous l’entendions crier à plus de deux cents pas.
JACQUES
Oh! raconte-nous cela, Marguerite. Voilà maman, papa, ma tante et mes oncles pour quelque temps; nous pouvons entendre ton histoire.»
Marguerite s’assit sur l’herbe, sous ce même chêne où sa poupée était restée oubliée par elle; elle leur raconta toute l’histoire et comment la poupée avait été retrouvée chez Jeannette, qui l’avait volée.
«Cette Jeannette est une bien méchante fille, dit Jacques, qui avait écouté avec une indignation croissante, les narines, gonflées, les yeux étincelants, les lèvres serrées. Je suis enchanté que sa maman l’ait si bien corrigée. Est-elle devenue bonne depuis?
SOPHIE
Bonne! Ah oui! C’est la plus méchante fille de l’école.
MARGUERITE
Maman dit que c’est une voleuse.
CAMILLE
Marguerite! Marguerite! Ce n’est pas bien, ce que tu dis là. Tu fais tort à une pauvre fille qui est peut-être honteuse et repentante de ses fautes passées.
MARGUERITE
Ni honteuse ni repentante, je t’en réponds.
CAMILLE
Comment le sais-tu?
MARGUERITE
Parce que je vois bien à son air impertinent, à son nez en l’air [40] à son nez en l’air – по ее носу, задранному вверх
quand elle passe devant nous, parce qu’à l’église elle se tient très mal, elle se couche sur son banc, elle bâille, elle cause, elle rit; et puis elle a un air faux et méchant.
MADELEINE
Cela, c’est vrai, je l’ai même dit à sa mère.
LÉON
Et que lui a dit la mère Léonard?
MADELEINE
Rien, je pense, puisqu’elle a continué comme avant.
SOPHIE
Et tu ne dis pas que la mère t’a répondu: «Qu’est-ce que ça vous regarde, mam’selle? [41] qu’est-ce que ça vous regarde, mam’selle – какое вам до этого дело, мам’зель
Je ne me mêle pas de vos affaires: ne vous occupez pas des nôtres.»
JEAN
Comment! elle a osé te répondre si grossièrement? Si j’avais été là, je l’aurais joliment rabrouée [42] je l’aurais joliment rabrouée – я бы ее быстро поставил на место
et sa Jeannette aussi.
MADELEINE, souriant
Heureusement que tu n’étais pas là. La mère Léonard se serait prise de querelle [43] se serait prise de querelle – ввязалась бы в ссору
avec toi et t’aurait dit quelque grosse injure.
JEAN
Injure! Ah bien! je lui aurais donné une volée de coups de poing et de coups de pied; je suis fort sur la savate [44] je suis fort sur la savate – у меня здорово получаются удары башмаком
, va! Je l’aurais mise en marmelade [45] je l’aurais mise en marmelade – я бы ее усмирил
en moins de deux minutes.
LÉON, levant les épaules
Vantard, va! C’est elle qui t’aurait rossé [46] c’est elle qui t’aurait rossé – она сама бы тебя поколотила
.
JEAN
Rossé! moi! veux-tu que je te fasse voir si je sais donner une volée en moins de rien?»
Et Jean se lève, ôte sa veste et se met en position de bataille. Jacques lui offre de lui servir de second.
Tous les enfants se mettent à rire. Jean se sent un peu ridicule, remet son habit et rit de lui-même avec les autres. Léon persifle Jacques, qui riposte en riant; Marguerite le soutient; Léon commence à devenir rouge et à se fâcher. Camille, Madeleine, Sophie et Jean se regardent du coin de l’œil et cherchent par leurs plaisanteries à arrêter la querelle commençante; leurs efforts ne réussissent pas; Jacques et Marguerite taquinent Léon, malgré les signes que leur sont Camille et Madeleine.
Léon se lève et veut chasser Jacques, qui, plus leste que lui, court, tourne autour des arbres, lui échappe toujours et revient toujours à sa place. Léon s’essuie le front, il est en nage et tout à fait en colère.
«Viens donc m’aider, dit-il à Jean. Tu es là comme un grand paresseux à me regarder courir.
JEAN
À ton aide, pour quoi faire?
LÉON
Pour attraper ce mauvais gamin, pardi [47] pardi – уст . конечно, черт возьми
!
JEAN, froidement
Et après?
LÉON
Après…, après…, pour m’aider à lui donner une leçon.
JEAN, de même
Une leçon de quoi?
LÉON
De respect, de politesse pour moi, qui ai presque le double de son âge.
JEAN
De respect! Ha! ha! ha! Quel homme respectable tu fais en vérité!
MARGUERITE
Ne faudrait-il pas que nous nous prosternassions devant toi? [48] ne faudrait-il pas que nous nous prosternassions devant toi – ирон . может, нам пасть ниц перед тобой
JEAN
Dans tous les cas, lors même que Jacques t’aurait offensé, je serais honteux de me mettre avec toi contre lui, pauvre petit qui a, comme tu le dis très bien, la moitié de ton âge. Ce serait un peu lâche, dis donc, Léon, comme trois ou quatre contre un?
LÉON
Tu es ennuyeux, toi, avec tes grands sentiments, ta sotte générosité.
JEAN
Tu appelles grands sentiments et générosité que deux grands garçons de treize ans et de onze ans ne se réunissent pas pour battre un pauvre enfant de sept ans qui ne leur a rien fait?
LÉON
Ce n’est rien, de me taquiner comme il le fait depuis un quart d’heure?
JEAN
Ah bah! Tu l’as taquiné aussi. Défends-toi tout seul. Tant pis pour toi, s’il est plus fort que toi à la course et au coup de langue.»
Jacques avait écouté sans mot dire. Sa figure intelligente et vive laissait voir tout ce qui se passait en son cœur de reconnaissance et d’affection pour Jean, de regret d’avoir blessé Léon. Il se rapprocha petit à petit, et au dernier mot de Jean il fit un bond vers Léon et lui dit:
«Pardonne-moi, Léon, de t’avoir fâché; j’ai eu tort, je le sens; et j’ai entraîné Marguerite à mal faire, comme moi; elle en est bien fâchée, comme moi aussi: n’est-ce pas, Marguerite?
MARGUERITE
Certainement, Jacques, j’en suis bien fâchée; et Léon voudra bien nous excuser en pensant que, toi et moi étant les plus petits, nous nous sentons les plus faibles, et qu’à défaut de nos bras nous cherchons à nous venger par notre langue des taquineries des plus forts.»
Léon ne dit rien, mais il donna la main à Marguerite, puis à Jacques.
Les papas et les mamans, qui étaient assis et causaient plus loin, se levèrent pour continuer la promenade. Les enfants les suivirent; Jacques s’approcha de Jean et lui dit avec tendresse:
«Jean, je t’aime, et je t’aimerai toujours.
MARGUERITE
Et moi aussi, Jean, je t’aime, et je te remercie d’avoir défendu mon cher Jacques contre Léon.»
Et elle ajouta tout bas à l’oreille de Jean: «Je n’aime pas Léon».
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