Avec deux, c’était beaucoup plus difficile. On ne pouvait pas relier les choses de la même manière. Une similitude parmi les chiffres pourrait n’être qu’une coïncidence qui serait remise en cause par un autre corps. On aurait pu remarquer que leurs âges étaient tous les deux un nombre premier, avant que cela s’avère insignifiant. On ne pouvait pas dire ce qui était important et ce qui n’était qu’une fausse piste élaborée par son propre esprit, sans intention délibérée.
« Il y a une chose qu’ils ont en commun, » dit Zoe en pointant les photos du doigt. « Les tatouages. Dowling avait un tigre sur son biceps gauche. Everard avait une rose sur la cuisse droite, en pointillés. Elle allait également voir un ami pour s’en faire faire un autre. »
Shelley haussa les épaules. « Est-ce que cela constitue vraiment un lien ? Beaucoup de gens ont des tatouages. »
Zoe compulsait d’autres photos, repérant davantage de marques sur les zones de peau qui étaient visibles sur les différents clichés. Elles étaient presque toutes issues des profils des victimes sur les réseaux sociaux, et il semblait qu’ils étaient tous les deux fiers de leurs tatouages. De les exhiber. Est-ce que cela avait du sens ? « Chacun d’entre eux n’avait pas qu’un seul tatouage. Regarde. Ils en étaient tous les deux recouverts. Dowling s’est fait tatouer toute une jambe, jusqu’au pied. Et Everard, ici, sur le dos et le ventre.
– Je ne sais toujours pas si cela signifie quelque chose. C’est juste une tendance culturelle de nos jours. »
Zoe plissa le nez. « Une tendance culturelle ?
– Oui. Tu n’as pas remarqué ? Beaucoup de gens se font tatouer au début de la vingtaine à l’heure actuelle. Couvrant tout leur corps. Même le visage et les mains. Il y a eu beaucoup de célébrités qui l’ont fait. Justin Bieber, Ariana Grande, tu sais ? Des rappeurs, des chanteurs et des sportifs. C’est considéré comme cool actuellement.
– Les tatouages sur le visage et les mains sont de très mauvaises idées, dit Zoe en grimaçant. Imagine que tu ne puisses jamais cacher l’erreur de jeunesse que tu as commise, celle d’avoir choisi de te faire inscrire quelque chose de stupide sur ton corps pour toujours.
– Il doit tout de même bien y avoir une connexion entre eux, poursuivit Shelley. Je parie que ce serait dans leur vie personnelle. Peut-être qu’ils connaissaient tous les deux les mêmes personnes, quelque part dans leur vie. Un bar ou un club, un groupe d’amis, un cousin qui connaissait un cousin. Peut-être qu’ils ont participé au même événement sans le savoir. Il faut juste continuer à creuser jusqu’à ce qu’on débouche là-dessus. »
Zoe acquiesça. « Dans ce cas, je sais par où commencer. » Elle prit le dossier de Callie Everard et nota l’adresse qui y figurait. « L’ami qu’elle allait voir : Javier Santos. »
Zoe parcourut l’espace exiguë de l’atelier, scrutant les illustrations et les dessins qui couvraient toutes les surfaces possibles. Seule une personne qui s’intéressait davantage aux arts pouvait juger si Javier était talentueux ou non. Le fait qu’il soit prolifique n’était cependant pas sujet à débat.
« Tout ça, c’est pour les tatouages ? » demanda-t-elle en les examinant intérieurement.
« Oui, bien sûr. Javier fit un signe de tête. La plupart ont été utilisés. Mais je peux vous concevoir quelque chose d’unique, si vous le souhaitez. »
Zoe le dévisagea pour voir s’il plaisantait. Il avait l’air sérieux, ce qui n’était pas mieux.
« Je ne pense pas, » dit-elle, se contentant de ces simples mots et espérant qu’il n’insisterait pas sur le sujet. Elle n’aurait pas aimé gâcher l’interrogatoire avant même de l’avoir entamé, en lui déclarant précisément ce qu’elle pensait des personnes qui se faisaient tatouer.
Surtout des tatouages comme ceux-ci : des œuvres d’art aléatoires et sans aucun sens. Zoe aurait pu comprendre que quelqu’un puisse considérer la forme caricaturale d’un visage de femme comme étant une œuvre d’art, quelque chose à placer sur un mur ou dans un livre. Mais le faire tatouer sur son corps pour le reste de sa vie ? Porter le visage de cette personne – cette personne fictive, qui ne signifie rien pour vous ni pour personne d’autre, qui est seulement née des rêveries hasardeuses d’un artiste ?
Cela la dépassait, et elle ne savait pas si elle pouvait faire confiance à quelqu’un qui était prêt à faire une déclaration systématique sur quelque chose d’aussi insignifiant.
« Tant pis. » Javier haussa les épaules, visiblement peu affecté par son désintérêt. « Je ne sais pas ce que je vais faire avec le dessin que j’ai réalisé pour Callie. Je pensais le mettre sur moi, mais ça pourrait sembler bizarre.
– Pourquoi donc ? » demanda Zoe, suspendues à ses mots. D’après son expérience, si une personne impliquée dans une affaire de meurtre pensait qu’une situation lui semblait « bizarre, » cela valait généralement la peine de vérifier.
« Eh bien, tout d’abord, c’était une pièce commémorative. Attendez, je vais vous montrer. » Javier se mit à fouiller sur un bureau jonché de morceaux de motifs épars esquissés sur du papier calque, et en sortit un dessin plus abouti sur un bloc-notes d’artiste. Il était encré avec de larges traits noirs, reprenant la forme d’un oiseau en vol.
« Qu’est-ce que c’est ? » demanda Zoe, sans tenir compte du regard méchant que Javier lui lançait pour ne pas avoir immédiatement compris son œuvre.
« C’est un corbeau. Tiré du mythe de Munin, commença-t-il.
– Une légende en vieux norrois, » coupa Zoe. Elle pouvait ici démontrer qu’elle savait au moins quelque chose. « Un oiseau qui accompagnait le dieu Odin. C’est pourquoi vous l’avez qualifié de pièce commémorative.
– Ça et les fleurs. » Javier indiqua des gerbes de fleurs derrière l’oiseau noir, soigneusement colorées dans des nuances de lilas et de violet. « Ce sont des zinnias, qui représentent le souvenir d’un ami perdu.
– En souvenir de qui ? » demanda doucement Shelley, en examinant le dessin par-dessus l’épaule de Zoe.
« Un ancien ami. » Javier grimaça, haussa les épaules. « Un ancien petit ami, en réalité. À l’époque où Callie, hum…
– Se droguait ? » compléta Zoe. Elle sentit Shelley quelque peu embarrassée à côté d’elle, mais elle ne réagit pas. Quel était l’intérêt de tourner autour du pot ? Ils savaient tous de quoi ils parlaient. Ce n’était un secret pour personne.
« Oui, » dit Javier, remontant l’une de ses mains pour se frotter la nuque. « J’allais dire qu’elle avait de mauvaises fréquentations, mais oui.
– Quelle est cette histoire ? » demanda Shelley. Son ton était beaucoup plus compatissant que celui de Zoe. Elle avait, en quelque sorte, le don de poser ces mêmes questions incisives, mais en les rendant tellement plus… gentilles.
– C’était un type louche. Il faisait partie du groupe qui l’a conduite à se droguer pour la première fois. D’après ce que j’ai compris, quand ils n’étaient pas défoncés, ils étaient ivres. Et quand n’étaient pas défoncés ou ivres, ils sniffaient de la coke dans les toilettes et ils baisaient. » Javier secoua la tête, inspirant profondément. « Désolé. Je n’aime pas penser à elle comme ça. Ce n’est pas ce qu’elle est vraiment. Celle qu’elle a été, ces dernières années quand je l’ai connue.
– Elle s’est ressaisie après l’université, n’est-ce pas ? demanda Shelley.
– Exact. Je l’ai aidée. Au début, elle ne pouvait pas se payer la cure de désintoxe, alors on a fait une expo d’art. On a collecté de l’argent pour elle, pour moi et pour quelques autres de notre classe. Nous sommes restés en contact depuis.
Читать дальше