– Cet ex-ami, » insista Zoe, en essayant de le maintenir sur la bonne voie.
« Il a été tué, je crois. Ou, je ne sais pas. Callie n’aimait pas beaucoup parler de lui à l’époque. Ces dernières années, elle a commencé à se réconcilier avec, à passer à autre chose. Je pense qu’elle avait finalement accepté qu’il était mauvais pour elle, toxique. Mais que ce qu’ils avaient vécu avait aussi de l’importance. C’est pour ça, les fleurs. Pas un amour perdu, mais juste un ami perdu. »
Tué ? Cela suscita fortement l’intérêt de Zoe. « Savez-vous quelles ont été les circonstances de sa mort ?
– Ce n’était pas une overdose. La police enquêtait, mais je ne sais pas s’ils ont attrapé quelqu’un au final. C’est tout. C’est tout ce que je sais. »
Zoe réfléchit à cette idée. Cela pourrait être un fil conducteur très tentant, si d’abord ce mystérieux petit ami avait été assassiné, et ensuite Callie. Il suffirait de trouver un lien avec Dowling, et elles auraient une piste. Peut-être quelque chose en rapport avec la drogue.
Shelley avait dit que tout cela n’était que de la culture populaire, mais les tatouages… Zoe n’avait jamais été fan. Ils symbolisaient une frange de la société qu’elle situait plutôt derrière les barreaux que dans des positions respectables. On ne pouvait pas trouver un bon emploi avec un tatouage. On ne pouvait certainement pas s’engager dans les forces de l’ordre, pas avec des larmes tatouées sur le visage ou le nom de son enfant sur le cou.
Le tatouage que Javier avait conçu pour Callie était grand. Dix-huit virgule cinq centimètres, de haut en bas. Ce n’était pas quelque chose que l’on pouvait cacher. Il avait été conçu pour être vu. Les gens avec des tatouages visibles, comme le sien et comme celui de Dowling, n’étaient généralement pas des gens bien.
Les choses commençaient à coller. Callie et son petit ami évoluaient dans le milieu de la drogue. Ils traînaient avec des individus peu recommandables. Même si elle était sevrée au moment de sa mort, elle avait le genre de passé qui attirait le meurtre. Ce n’était pas parce que Dowling avait un style de vie propre maintenant qu’il n’avait pas été impliqué dans des affaires auparavant.
« Merci, Javier, dit sèchement Zoe. Cela va beaucoup nous aider.
– Attends, l’arrêta Shelley. J’ai encore juste quelques questions. »
Zoe lui fit signe de continuer, tout en se dirigeant vers la porte où elle pourrait attendre à l’écart. Pour elle, c’en était fini, et elle souhaitait être prêt à partir dès que possible. Elle ne voulait pas perdre davantage de temps à regarder ces dessins de tatouages inutiles et à parler à Javier, qui leur avait déjà fait part de la chose la plus intéressante à savoir.
« Connaissez-vous quelqu’un qui aurait voulu faire du mal à Callie ? »
Javier secoua négativement la tête. « Je l’ai déjà dit aux flics tout à l’heure. C’était une gentille fille. Ces temps derniers. Je veux dire, elle avait vraiment changé. Personne ne voulait qu’il lui arrive malheur. »
Mais avait-elle vraiment changé ? se demandait Zoe. Un léopard peut-il changer ses taches ? Callie n’aurait certainement pas pu changer les siennes – pas celles qui étaient inscrites pour toujours sur son corps. Pour toujours, du moins jusqu’à ce que son assassin les ait brûlées.
Peut-être que tout cela était lié. Peut-être qu’elle avait des tatouages de gang qu’il fallait brûler. Peut-être que quelqu’un l’avait perçue comme la dernière cible d’un engrenage meurtrier en cours depuis des lustres. La dernière vengeance d’un trafiquant de drogue libéré de prison, ou d’un gang de motards cherchant à se débarrasser de quelqu’un qui avait enfreint leurs règles.
« Et ce matin, hier soir, hier ? Avez-vous remarqué quelqu’un d’inhabituel dans les environs ? demanda Shelley.
– Non, pas du tout, » dit Javier. Son poids le quitta et il s’effondra sur un banc, solidaire de la table, enfouissant sa tête dans ses mains. « J’aimerais en savoir plus. J’aimerais pouvoir dire quelque chose qui permettrait de retrouver celui qui lui a fait ça. Elle ne méritait pas ça. »
Mais quelqu’un avait probablement pensé le contraire. C’était à Zoe et Shelley de trouver la solution, et elles n’allaient pas s’en rapprocher ici.
« Nous vous quitterons avec vos pensées, » dit Zoe, une phrase qu’elle avait entendue auparavant et qui, au moins, lui semblait plutôt compatissante. « Si vous pensez à quoi que ce soit qui pourrait nous être utile, n’hésitez pas à nous contacter. »
Ignorant le regard réprobateur que lui lançait Shelley pour ne pas avoir été assez aimable, elle sortit du repaire de tatouage de Javier, heureuse de respirer l’air libre et de ne plus être encerclée par l’ambiance étouffante de ses dessins criards.
Il la regardait depuis l’autre côté de la rue.
Elle ne le connaissait pas, et il ne la connaissait pas. Pas personnellement. Mais il en savait suffisamment.
Il la surveillait, et il savait des choses sur elle que les autres ne savaient pas. Il savait où elle vivait, seule au rez-de-chaussée d’un immeuble du centre-ville. Il savait qu’elle travaillait à temps partiel dans un magasin situé à trois rues de là, pour subvenir à ses besoins pendant ses études. Il savait qu’elle avait mis du temps à se trouver et à prendre conscience de ce qu’elle voulait faire de sa vie.
Il savait qu’elle avait un tatouage sur la face interne de son avant-bras droit, et qu’elle se colorait les cheveux. Il avait vu sa collection de bijoux fantaisie défiler jour après jour, et savait qu’elle aimait panacher son look à chaque fois qu’elle sortait. Il savait qu’elle quittait la maison à 8h32 précises les jours où elle devait travailler, car son trajet était réglé comme du papier à musique. Il savait qu’elle prenait un café sur le chemin, qu’elle précommandait à partir d’une application afin d’éviter les files d’attente, et qu’elle allait dans la pièce du fond pour revêtir son uniforme avant de ressortir pour servir les clients.
Il savait quand son service se terminait, et le chemin qu’elle prenait pour rentrer chez elle à pied.
Il savait qu’elle devait mourir.
Il pouvait à peine la regarder, mais il savait qu’il devait la surveiller. Il avait besoin de l’observer. Il pianota distraitement sur l’écran de son téléphone portable, comme s’il était absorbé par son contenu, la scrutant à travers des lunettes de soleil qui dissimulaient ses yeux. Cela faisait déjà plusieurs jours qu’il avait commencé à observer sa routine, et il savait qu’elle passerait par ici avant elle-même. Ce banc, parfaitement situé pour la regarder s’en aller.
Le monde allait devenir beaucoup plus sûr quand elle serait partie. C’était clair pour lui.
Il la regarda passer, exactement à l’heure prévue, et disparaître de son champ de vision. Cela importait peu. Il savait exactement où elle allait. Lentement, comme s’il avait tout son temps, il se leva de son banc et commença à se déplacer sur le trottoir, dans la même direction qu’elle.
Le samedi, elle faisait un double service. Elle finançait ses propres frais de scolarité, et elle avait besoin d’argent. Comme il n’y avait pas de cours le dimanche matin, c’était logique. Ses collègues étaient ravis de ne pas avoir à travailler eux-mêmes le samedi, du moins pas aussi souvent qu’ils l’auraient fait, si elle ne prenait pas les deux services. C’était un arrangement qui contentait tout le monde.
Cela lui convenait particulièrement, car lorsqu’elle partait enfin et fermait pour rentrer chez elle, il faisait nuit. Il serait caché. Elle ne le verrait jamais venir.
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