Жюльетта Бенцони - Fiora et le Pape

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Lovée dans l’exquis manoir tourangeau dont Louis XI lui a fait don, Fiora attend la naissance de son enfant lorsqu’elle apprend une terrible nouvelle : son époux « le Bourguignon rebelle » a été condamné à mort pour avoir refusé de se rallier à la France. Effondrée, Fiora doit pourtant affronter de nouveaux coups du sort. Peu après la naissance de son fils, elle est enlevée et emmenée à Rome où elle est victime d’une odieuse machination ourdie par sa Sainteté Sixte IV. Elle parviendra pourtant à quitter la ville sainte pour la Florence des Médicis...

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Mais il la connaissait trop bien pour ne pas pénétrer ses pensées et ces grands yeux gris chargés de nuages d’orage lui arrachèrent un sourire. Fiora, pensa-t-il, cherchait un prétexte pour se mettre en colère, espérant se débarrasser ainsi de la gêne qu’elle éprouvait. Il ne se trompait pas :

– Pourquoi ce sourire ? fit-elle nerveusement, et pourquoi me regardes-tu ainsi ? Ai-je quelque chose de changé ? Oui, je me suis donnée à Lorenzo ! Je me suis même offerte à lui ! Et, cette nuit, il reviendra et je me donnerai encore à lui !

Otant les besicles qu’il portait de plus en plus souvent, à présent, Démétrios s’éloigna du lutrin sur lequel il avait ouvert un manuscrit hébraïque, vint à la jeune femme et posa ses mains sur ses épaules qu’il sentit se raidir.

– Loin de moi l’idée de te faire le moindre reproche, Fiora ! Ce qui s’est passé cette nuit entre Lorenzo et toi était écrit depuis longtemps. Il m’a souvent parlé de toi, depuis mon retour, et j’ai compris sans peine que tu étais son regret le plus secret. Il était normal qu’il vienne vers toi du fond de son désarroi.

– Crois-tu donc qu’il m’aime ?

– Tu es comme toutes les femmes : tu simplifies trop les sentiments. Lorenzo était semblable à un jardinier qui a vu un voleur s’enfuir avec la plus belle fleur de son jardin, sans même lui laisser le temps de la respirer. Hier, sa fleur est revenue, mais plus belle que jamais et dégageant un parfum trop capiteux pour qu’il renonce à s’en griser. Quant à toi...

– Eh bien ? Moi ?

– Cesse de te rebeller ainsi, Fiora ! Tu n’as commis aucun crime. L’amour t’a simplement rendu le goût de la vie que tu avais perdu.

– L’amour ? Je ne sais même pas si j’aime Lorenzo. Pourtant, ce serait tellement plus simple !

– Plus commode surtout, parce que tu es toute pétrie de morale chrétienne, en dépit de ton éducation platonicienne, et cela tu le dois à notre chère Léonarde.

– Ne me parle pas d’elle, sinon je vais me sentir malade de honte !

– Tu as raison, j’ai eu tort d’en parler. Quant à la honte, c’est un mot stupide, même si tu n’aimes pas vraiment Lorenzo. Ce que tu aimes en lui, c’est d’abord l’amour qu’il te donne, je sais qu’il y est une sorte de... virtuose. Mais aussi sa légende et, tout au fond de toi, il y a toujours une petite Florentine pour qui le Magnifique emplissait l’horizon. Sans le savoir, tu étais plus ou moins amoureuse de lui...

– Non. C’était Giuliano que j’aimais.

– Que tu croyais aimer ! La preuve en est que tu l’as chassé très vite de ton esprit. Mais tu oublies qu’à ce fameux bal, où nous nous sommes rencontrés pour la première fois, je t’ai vue danser avec Lorenzo et, si j’ai jamais vu visage illuminé de joie, c’était bien le tien.

– C’est vrai, j’étais très heureuse... très fière surtout !

– Comme tu es fière, aujourd’hui, de l’avoir enchaîné à tes pieds. Il est venu à toi comme un pauvre qui demande la charité, les mains vides, nues et suppliantes, lui qui a toute puissance, et j’ai tout de suite compris que, ces mains tendues, tu allais les combler de richesses. Alors que tu l’aurais repoussé s’il était venu en prince et en maître. J’ai raison ?

Toute colère envolée, Fiora se mit à rire.

– Tu as trop souvent raison, Démétrios ! Que vais-je faire, à présent ? Il faudrait que je reparte...

– Pas maintenant. Tu n’en as pas vraiment envie, d’ailleurs. Laisse-toi aimer ! C’est le meilleur des remèdes, non seulement pour un corps, mais aussi pour un cœur qui vient de beaucoup souffrir. Cependant...

Il prit un temps et Fiora vit qu’une inquiétude lui venait à l’esprit.

– Cependant ?

– Avez-vous beaucoup parlé, tous les deux ? Il a dû te poser des questions...

La jeune femme devint pourpre et, se détournant, alla examiner le livre posé sur le pupitre.

– Nous... nous n’avons pas parlé du tout !

– Félicitations ! fit Démétrios qui ne put s’empêcher de rire devant l’air confus de ce jeune visage. Et si tu veux le savoir, j’en suis heureux, mais vous parlerez. Alors, écoute-moi bien et, surtout, ne lui dis pas que l’on t’a mariée à un Pazzi !

– Carlo a tout fait pour m’aider.

– Sans doute, mais Lorenzo est trop profondément blessé pour supporter l’idée que tu portes ce nom-là ! Si grand que soit son désir, il s’écarterait de toi avec horreur. Et les conséquences pourraient être dramatiques. Tu m’as bien compris ?

– Sois sans crainte ! Je ne dirai rien.

D’un doigt précautionneux, elle tourna quelques-unes des pages craquantes du manuscrit qu’elle ne pouvait pas lire, se contentant d’admirer la beauté un peu mystérieuse des caractères.

– C’est une étrange chose que le destin, soupira-t-elle. Le mien semble se complaire à me faire contracter des mariages que je dois cacher à Lorenzo. Souviens-toi !

– Tu as raison, mais la situation est différente. Ce mariage-là, tu ferais aussi bien de l’oublier. Il ne compte pas, parce que...

– Parce que ?

– Rien. Essaie de ne plus y penser ! Pense seulement à l’homme qui viendra ce soir chercher auprès de toi le refuge dont il a tant besoin.

Ce soir-là, pourtant, Lorenzo ne vint pas. Il envoya un billet par Esteban qui était descendu en ville prendre le vent. Les funérailles de Giuliano étaient fixées au lendemain et Lorenzo veillerait le jeune mort pour cette dernière nuit.

Les nouvelles que rapporta le Castillan restaient dramatiques. La traque des Pazzi et de leurs parents et alliés continuait. On en avait pris deux dans la cité dont l’un, déguisé en femme, se cachait dans l’église Santa Croce, trois autres avaient été arrêtés sur des chemins de campagne. Quant au vieux Jacopo que les cavaliers de la Seigneurie avaient rattrapé sur la route d’Imola, il devait être en route pour Florence dans une litière fermée. On le hisserait sur le balcon de fer à la minute où Giuliano serait porté en terre.

D’autres encore avaient été précipités de là-haut, pendus ou abandonnés au peuple et, devant le Vieux Palais, le nombre des morts plus ou moins dépecés se montait à soixante-dix. Mais il n’y avait que des hommes, Lorenzo ayant formellement interdit de molester les femmes qui, en fait, n’avaient pas participé directement au meurtre.

– Et Hieronyma ? dit Fiora avec amertume. Elle n’a rien fait, peut-être ?

– C’est la seule dont le Magnifique a ordonné que l’on se saisisse, dit Démétrios.

– Comment a-t-il su qu’elle était là ?

– C’est moi qui le lui ai dit hier, quand je suis redescendu à la via Larga après t’avoir menée ici. Tu peux être sûre qu’il la fait rechercher activement.

– Rien n’est plus vrai, reprit Esteban. J’ai interrogé Savaglio, le chef des gardes qui mène la traque, et s’il trouve ce démon femelle, il l’abattra sur place, mais il a fouillé toutes les maisons des Pazzi, depuis leur palais près de Santa Croce jusqu’à la villa de Montughi. Il a trouvé beaucoup de femmes en pleurs et la tête couverte de cendres, mais aucune n’était Hieronyma.

– Quand elle a vu le coup manqué, elle a dû repartir pour Rome, soupira Démétrios.

– Il faut pouvoir. Toutes les routes, tous les chemins sont gardés et personne ne peut sortir de la ville.

– Mais elle n’était pas en ville. Elle était justement à Montughi et, si on ne l’a pas trouvée, c’est qu’elle aura réussi à s’enfuir...

Lorsqu’il vint le lendemain soir, après avoir confié la dépouille de son jeune frère au tombeau familial, dans la Vieille Sacristie de San Lorenzo où reposaient déjà son père, Piero le Goutteux, et son grand-père, Cosimo l’Ancien, Lorenzo confirma cette vue pessimiste. Certains Pazzi avaient glissé entre les doigts des soldats. Bien sûr, Antonio et Stefano, les deux clercs qui l’avaient attaqué étaient morts après avoir, sous la torture, livré tous leurs complices ; c’est ainsi que l’on avait arrêté Montesecco qui, cependant, avait reculé au dernier moment devant l’horreur d’un sacrilège. Il avait eu la tête tranchée. Bien sûr, Francesco Pazzi avait reçu le châtiment qu’il méritait, mais Bandini, l’homme qui s’était acharné sur le corps de Giuliano, avait pu s’enfuir. Poursuivi sur la route de Venise, il avait par un miracle réussi à disparaître dans la nature.

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