– C’est tout décidé, marmotta Mortimer entre ses dents. Aucune force humaine ne m’empêchera de combattre pour elle, même si je dois donner ma démission !
Proche cependant de l’Ecossais, le roi, comme s’il n’avait rien entendu, reprit :
– Que l’on ramène la dame de Selongey dans sa prison ! Personne n’est autorisé à lui parler.
Le silence était encore plus profond qu’à l’entrée de Fiora lorsqu’elle se dirigea vers la porte au milieu de ses gardes. Un silence où entrait sans doute beaucoup d’étonnement devant une aussi étrange décision : un duel judiciaire dans lequel un seul homme devrait affronter deux adversaires ? Même peu habiles, c’était tout de même comprendre de curieuse façon l’égalité des chances, sans parler du Seigneur qui, dans cette affaire, voyait son rôle quelque peu diminué.
La seule consolation de Fiora, avant de quitter la salle, fut d’entendre le roi ordonner que Tornabuoni et Olivier le Daim fussent gardés nuit et jour en leurs logis jusqu’au matin du combat. Consolation bien mince, car si ni Mortimer ni Commynes n’étaient autorisés à se battre pour elle, il ne lui restait plus qu’un mois à vivre...
CHAPITRE XII
LE DERNIER JOUR
Le roi, néanmoins, semblait accorder quelque pitié à sa captive. Le lendemain, après que le geôlier Grégoire eut enlevé le plateau du premier repas – auquel Fiora n’avait guère touché – il revint, tout joyeux :
– Je vous annonce une visite ! s’écria-t-il. Une bonne visite...
Rouvrant en grand la porte qu’il avait simplement rabattue derrière lui, il s’effaça pour livrer passage à Léonarde, portant dans ses bras le petit Philippe. Le cri de joie de la prisonnière fit monter à ses yeux de brave homme une larme d’attendrissement et il resta un instant à contempler le joli tableau que formait Fiora serrant son fils dans ses bras.
– Mon tout petit ! Mon amour !... Mon petit trésor ! Elle couvrait de baisers passionnés le petit visage, les menottes et les courts cheveux bruns qui bouclaient autour de la tête ronde de Philippe, lui donnant l’air d’un angelot... ce qu’il n’était pas tout à fait car, peu habitué à des effusions aussi intenses, il se mit à protester. Fiora s’affola :
– Est-ce que je lui ai fait mal ?
– Non, dit Léonarde en riant, mais vous êtes en train de l’étouffer... Là, posez-le par terre à présent ! ... Et vous, messire Philippe, saluez donc votre mère comme je vous ai appris à le faire !
L’enfant prit un solide appui sur ses petites jambes et esquissa une sorte de révérence assez maladroite qui enchanta Fiora.
– Le bonjour, Madame ma mère, fit-il avec gravité. Allez-vous bien ?
Mais, comme Fiora s’était accroupie pour être à sa hauteur, le petit garçon se jeta dans ses bras en criant :
– Maman, maman ! ... Je m’ennuyais tellement de vous !
– Il me connaît bien peu, pourtant ! dit Fiora pardessus la tête de son fils.
– Il vous connaît bien mieux que vous ne pensez. On lui a parlé de vous tous les jours et, dans ses prières, il ne manque jamais de demander à Dieu de lui rendre sa maman...
– Mon papa aussi ! rectifia l’enfant. Quand pensez-vous qu’il viendra, maman ?
– Je n’en sais rien, mon chéri. Ton papa est parti pour un long voyage, mais tu as raison de prier le bon Dieu pour qu’il en revienne...
– Ne nous attendrissons pas ! fit Léonarde. Et d’abord, laissez un peu ce jeune homme pour m’embrasser. Vous n’y avez pas encore songé !
Les deux femmes s’embrassèrent chaleureusement, d’autant plus que la vieille demoiselle apportait une autre bonne nouvelle : le petit Philippe et elle étaient autorisés à venir chaque jour visiter Fiora dans sa prison, et même à prendre en sa compagnie le repas du milieu du jour.
– Le roi veut adoucir mes derniers moments ? soupira Fiora. C’est une attention à laquelle je suis sensible...
– Vous ne croyez tout de même pas que l’on va vous trancher la tête et que ceux qui vous aiment laisseront faire ?
– Ceux qui m’aiment n’auront pas la permission de me défendre et je ne vois pas qui pourrait prendre, pour une inconnue, un risque aussi considérable.
– Et messire Philippe, votre époux ? L’avez-vous retrouvé ?
– Oui et non. Je l’ai vu, en effet, mais il est à jamais perdu pour moi...
Et, avec une grande sobriété, Fiora raconta ce qui s’était passé à Bruges, puis par quel hasard extraordinaire elle avait rencontré Philippe là où elle ne l’attendait pas. Enfin, ce qu’ils s’étaient dit et comment il avait décidé de demeurer au couvent.
– Au couvent ! Lui !... C’est insensé ! Ne vous aime-t-il donc plus ?
– Si... du moins il le dit, mais je ne suis pas certaine que ce soit la vérité. Il s’abuse lui-même ou il le prétend pour me ménager. Voyez-vous, Léonarde, je n’ai été qu’un épisode dans le grand rêve chevaleresque du comte de Selongey. Un épisode qui d’abord lui a fait honte, mais qu’il acceptait par dévotion envers son duc. Celui-ci mort et la Bourgogne perdue, plus rien ne l’intéresse. N’en parlons plus, voulez-vous Léonarde ! J’aimerais bien mieux que vous me disiez ce qui s’est passé avec Khatoun ?
– Si je le savais ! soupira Léonarde...
La jeune Tartare avait disparu de la Rabaudière le soir du retour de Léonarde. En apprenant que Fiora ne revenait pas, mais au contraire se rendait en Flandre en compagnie de Florent, elle était allée s’enfermer dans sa chambre, refusant d’en sortir même pour le repas. Et le lendemain matin, on s’aperçut qu’elle s’était enfuie le plus classiquement du monde, en nouant ensemble les draps de son lit.
– Et elle n’a pas laissé un mot, quelques lignes ?
– Rien ! Péronnelle m’a dit que, dans les derniers temps de notre longue absence, elle rencontrait – secrètement disait-elle, mais dans un village il est difficile d’empêcher les langues de marcher – un jeune et beau seigneur...
– Luca Tornabuoni, mon ancien soupirant qui, après la conspiration des Pazzi, a manqué la faire écharper par les bouchers de Florence. Si je n’avais entendu ce misérable de mes propres oreilles, je ne le croirais pas...
– Oh ! ... J’ai appris bien des choses qui peuvent expliquer ce fait surprenant. Cette pauvre Khatoun et Florent étaient... disons très bons amis. En outre, je crois qu’elle pensait n’avoir pas, dans votre maison, la place qui lui revenait de droit et jalousait un peu tout le monde.
– Ne lui avais-je pas confié mon fils ? Quelle plus grande marque d’estime pouvais-je lui donner ?
– L’estime, l’estime ! Elle voulait de l’amour... et surtout pas de responsabilités ! Que vous le croyiez ou non, Khatoun est faite pour la vie paresseuse d’un harem, une vie de sucreries et de caresses...
– J’ai peine à croire qu’elle les trouve auprès de Luca ! C’est un égoïste fieffé. Si nous pouvions seulement savoir où elle est ?
– Non, Fiora ! Ne comptez pas sur moi pour la chercher, même si je le pouvais. Elle est assez âgée à présent pour se conduire seule et elle vient de vous faire du mal !
– C’est peu de chose en comparaison de tant d’années de dévouement ! Oh, Léonarde ! Je me tourmente pour elle...
Léonarde ne dit pas qu’elle préférait voir Fiora se tourmenter pour Khatoun que pour elle-même. Cette affaire de jugement de Dieu ne lui plaisait pas du tout. Néanmoins, l’angoisse ne l’étreignait pas encore, car une idée lui était venue : faire tenir une lettre à la princesse Jeanne, au château de Lignières, pour lui demander d’intervenir. Certes, la princesse n’avait pas grand pouvoir sur son terrible père, mais la vieille demoiselle savait que devant son regard véritablement céleste, il arrivait au roi de se sentir mal à l’aise. A ce cœur angélique on pouvait tout demander. A défaut de Mortimer, paraît-il envoyé en mission par le roi dès la veille au soir, à défaut de Commynes expédié de la même manière, sans doute pour leur ôter toute envie d’entrer en lice pour Fiora, Léonarde pensait confier sa lettre à Archie Ayrlie, cet Écossais qui avait enseigné l’équitation à Florent. C’était un brave garçon, venu plus d’une fois vider quelques pots à la maison aux pervenches. S’il ne pouvait aller lui-même à Lignières, il trouverait le moyen d’y envoyer Florent. Quant au moment de le rencontrer, Léonarde n’était pas en peine, elle le voyait souvent quand elle descendait Philippe au jardin où le petit garçon avait la permission de se promener.
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