Anne Golon - La tentation d'Angélique Part 2

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La tentation d'Angélique Part 2: краткое содержание, описание и аннотация

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Il mâchonnait continuellement une chique de tabac, mais, lorsqu'il crachait vers la mer, il le faisait avec une sorte de distinction négligée.

Sous sa chemise de grosse toile entrouverte et son gilet à boutons de corne, ses épaules étaient étroites mais vigoureuses. Il se vêtait d'un pantalon de droguet, une laine pour marins, rude et inusable, dont les jambes s'arrêtaient sous les genoux. Ses mollets étaient comme des câbles de cordages tressés. Il faisait tout avec ses mollets et ses pieds. Angélique pensa que ce Merwin ne lui plaisait guère. En l'arraisonnant, Colin ne semblait pas avoir eu la main heureuse. Mais sans doute n'avait-il pas le choix. Colin...

Barbe d'Or ! Son cœur ressentit un pincement, une crainte, une brève honte. La journée de navigation avait été si fertile en impressions de toutes sortes que le souvenir de Colin, lui, s'estompait. Tout au fond d'elle-même, elle éprouvait un soulagement que les choses se fussent terminées ainsi. Mais, dans la mesure où elle se sentait désormais à l'abri de sa propre faiblesse, l'illogisme de sa nature féminine, la portait par instants à éprouver un brusque regret, une vague tristesse. Colin... La profondeur de son regard bleu s'enivrant de sa présence, la force de son étreinte primitive. Quelque chose qu'elle connaissait, qui lui appartenait à elle seule. Un recoin secret. Pourquoi ne peut-on aimer selon les élans de son cœur, de son corps ? Pourquoi la qualité et la force d'un amour doivent-elles dépendre de la difficile sélection du choix ?... Comme si la dispersion des sentiments et du don condamnait à n'en jamais connaître la plus grande intensité. Était-ce là une vérité ou une illusion gardée de son éducation première et qui mettait la fidélité à l'époux en première place des obligations d'honneur pour une femme. Ne s'embarrassait-elle pas de contraintes inutiles ? Si elle avait cédé à Colin, quel instant délicieux... et Joffrey n'en aurait jamais rien su. Elle se sentit rougir à la pensée qui lui était venue et humiliée de l'avoir seulement formulée au fond d'elle-même.

Avec impatience, elle secoua la tête dans le vent marin. Il fallait oublier... oublier à tout prix.

Au loin, l'îlot de Mackworth s'estompait, et plus que jamais semblable à une couronne de joyaux brillant sur un crépuscule couleur de menthe verte.

– Là ! Là ! Je vois le Chapeau-Blanc, s'écria le petit Sammy.

L'Old Whitehead était une vaste coupole granitique qui couronnait la petite île de Cushing et dominait de ses cent cinquante pieds de haut l'entrée abritée du port de Portland. L'eau douce venant de la terre s'émulsionnant en écume « savonneuse » par le battage permanent avec l'eau de mer salée de l'océan projetait dans le vent, par les rouleaux perpétuels du flux et du reflux, des franges d'écume blanche qui, s'accumulant en monceaux séchés sur le front de granité gris, lui donnaient ou l'aspect d'un vaste chapeau, ou celui d'une tête d'homme âgé aux boucles blanches, suivant l'éclairage. En s'approchant, la neige de l'écume se dissociait de celle aussi épaisse dont les oiseaux de mer, installés à couver ou à se reposer, garnissaient le moindre roc. Et c'est dans une sorte de tourbillon blanc qu'on approchait, découvrant l'île et son fourmillement grouillant sous cet empanachement duveteux.

Ici, on pouvait dire qu'en cette fin de juin – juin fleurissant de ses fleurs rapides et intenses – toutes les plages grouillaient de puritains autant que de loups-marins, les uns mêlés aux autres avec les oiseaux en giration allègre tout autour, et quiconque essayait de débarquer dans la ronde des labbes, des goélands, des sternes, des mouettes et des pies de mer, quiconque essayait de poser son pied sur un bout de roc blanchi d'écume ou de duvet, pouvait se heurter aussi bien à un phoque dressé et dodelinant qu'à un grave magister puritain, drapé dans sa cape genevoise, et tous deux, finalement, aussi solennels l'un que l'autre, sévères et outrés d'un tel voisinage, mais faisant contre mauvaise fortune bon cœur. On écrasait des œufs dans des nids d'oiseaux, on marchait sur des monceaux de clams ou de coquilles Saint-Jacques, de langoustes ou de crabes, d'huîtres ou de moules, provende assemblée près des feux sur des tapis de goémons, et, pour s'entendre, il fallait posséder une voix plus aiguë que celle de tous les oiseaux de la mer.

– Ne venez pas ! ne venez pas, crièrent des réfugiés en voyant s'approcher la barque. Nous n'avons pas de vivres avec nous. Nous sommes trop nombreux. Il n'y aura bientôt plus de coquillages pour tout le monde et nos munitions en armes sont trop pauvres !

Merwin louvoya à quelque distance. Le petit Sammy Stougton mit ses mains en porte-voix :

– C'est plein d'Indiens là-bas, sur le rocher de Mackworth, cria-t-il, et son timbre clair d'enfant se frayait passage à travers le tumulte du ressac et des piaillements. Prenez garde qu'ils ne viennent vous égorger...

– D'où es-tu, toi, petit ?

– De Brunschwick-Falls, aux frontières.

– Que s'est-il passé là-haut ?

– Ils sont tous morts, cria le petit de sa voix légère dont les mots s'envolaient comme les notes d'une flûte.

La marée était haute. La barque pouvait s'avancer assez loin dans la crique d'accostage, mais Merwin, devant les dénégations énergiques des premiers occupants de l'île, ne chercha pas à aborder. Il se contenta de regarder encore avec curiosité et attention autour de lui. Une grosse femme, qui, son jupon haut troussé, fouillait des anfractuosités de rocher pour y pêcher des langoustes, le héla au passage.

– Êtes-vous de la Côte ?

– Non, je viens de New York.

– Et où vous rendez-vous ?

Il eut un geste du menton vers le nord.

– Gouldsboro.

– Je connais ça, dit quelqu'un, c'est à l'entrée de la Baie française. Vous allez vous faire scalper par les Français et leurs sauvages...

Jack Merwin reprit son gouvernail et manœuvra pour sortir du petit port. Comme il doublait d'assez près la pointe d'un rocher, une autre femme accourut en faisant des gestes et traînant derrière elle une adolescente, nantie d'un petit baluchon.

– Emmenez-la, cria la femme, elle n'a plus de famille, mais je lui sais un oncle là-haut du côté de la Baie française, à l'île Matinicus, à moins que ce ne soit à l'île Longue par-devers le mont Désert. Prenez-la...

Poussée par elle, la jeune Bile, ahurie, sauta dans la barque qu'une lame presque aussitôt emmena assez au large.

– Crazy witch ! cria Merwin sortant de son calme, me prenez-vous pour un ramasseur d'orphelins ? J'ai autre chose à faire qu'à m'occuper de tous ces liseurs de Bible, que le Diable vous emporte tous !...

– Vous parlez comme un païen, rétorqua la femme du bout de son rocher, et vous avez l'accent du Devonshire. Belphégor vous fit deux fois le cœur dur à votre naissance... Mais pourtant, menez cette enfant en lieu sûr, ou le mal vous étouffera, si loin que vous soyez, je m'en porte garante.

Merwin, qui s'était levé dans sa colère, rattrapa son gouvernail et évita de justesse un roc hérissé à fleur d'eau.

– Old witch ! ronchonna-t-il encore, s'ils ont l'Enfer avec eux, qu'attendent-ils pour dominer le monde ?...

– Cette femme n'a pas tort, vos paroles... commença le révérend Thomas.

Mais une vague, embarquant et les trempant tous copieusement, interrompit la discussion. Merwin mit le mousse à écoper.

La mer se faisait houleuse et la barque plongeait de plus en plus dur. Il fallait s'occuper sérieusement de la manœuvre et il n'était plus question de retourner en arrière vers l'île du Chapeau-Blanc pour y rendre l'orpheline. Une brume gris perle et rosé annonçait le soir, un long crépuscule de juin allait traîner sur la mer. Il fallait chercher un havre pour la nuit. Merwin, heureusement, paraissait connaître les parages. Il longea les rives de l'île Peak qui suivait en enfilade, puis celles de l'île Longue qui continuait la procession, elle-même prolongée par l'île Chebrague. À mi-chemin de l'île Longue, sur le côté est, Jack Merwin poussa sa barque contre une grève de cailloux. L'endroit paraissait moins peuplé. Il sauta à l'eau et assura sa barque dans une anfractuosité de rocher, puis gagna la terre ferme, laissant les dames se débrouiller pour sortir de là. Ce qu'elles firent sans craindre de tremper leurs cottes. Après ces longues heures d'immobilité, c'était délicieux de patauger dans l'eau froide et de marauder sur le sable. La jeune fille de l'île Cushing, qui s'appelait Esther Holby, contait ses malheurs à miss Pidgeon. L'ours Willoagby, sorti de son abri, monta la grève, le nez pointé vers des odeurs sylvestres. Angélique découvrit que c'était une bête énorme, lente et pacifique. L'ours s'en alla fouiller au creux des racines. Élie Kempton le rappelait par instants, car il fallait éviter d'effrayer le voisinage.

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