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Juliette Benzoni: La dague au lys rouge

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Juliette Benzoni La dague au lys rouge

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Orpheline élevée au couvent mais héritière d’une grande fortune et filleule de la reine de France Marie de Médicis, Lorenza Davansati vient de perdre à la veille du mariage son charmant fiancé, Vittotio Strozzi, assassiné au moyen de la dague accompagnée d’un billet : Quiconque prétendra épouser la jeune fille mourra de la même façon. Peu tentée par un retour chez les nonnes, Lorenza accepte de servir la politique du Grand-Duc Ferdinand, son parent par voie bâtarde et allié de la France dont la reine appelle au secours : en dépit de ses quatre enfants, Henri IV, excédé par son sale caractère et ses folles dépenses, veut la répudier. Elle demande qu’on lui envoie sa riche filleule afin de gagner à sa cause le plus vieil ami et conseiller de son époux le marquis Hector de Sarrance : il s’agirait d’épouser son fils Antoine. Mais Antoine est amoureux d’une fille d’honneur de la Reine et ne veut pas épouser Lorenza. C’est donc le père qui épousera la belle florentine puisque son fils n’est pas libre… jusqu’au jour où Lorenza est présentée à la Cour et qu’Antoine, en la voyant, est victime d’un coup de foudre. Alors, les passions, les intrigues et les meurtres vont se déchainer.

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Présentés à Lorenza tandis que celle-ci remerciait le capitaine du navire de les avoir conduits à bon port, les deux notables entamèrent une sorte de duo tout méridional, vantant à tour de rôle la perfection de son teint d’ivoire rosé, la splendeur de sa chevelure étroitement tressée cependant sous une coiffure de dentelle à trois pointes, les diamants noirs de ses yeux, le rose tendre de ses lèvres, tant et si bien que l’ambassadeur leur fit remarquer un peu sèchement qu’ils s’adressaient à une demoiselle de noble maison dont il convenait de ménager la modestie. A cet instant d’ailleurs, donna Honoria fit une apparition chancelante soutenue par Bibiena et Nona et ce fût la fin du concert. Même le plus imaginatif des thuriféraires aurait perdu ses moyens devant ce lourd visage au teint encore jauni par les récentes nausées que le voisinage de la fraise blanche n’arrangeait pas, les petits yeux durs en pépins de pomme et l’ample silhouette carrée emballée de soie noire dont les baleines du corset ne parvenaient pas à dessiner la taille. Ayant retrouvé quelque aplomb depuis que la galère avait cessé de s’agiter, elle répondit à leur salut consterné par une vague inclinaison de la tête agrémentée d’un coup d’œil furibond et d’une réplique désagréable.

— Cela m’étonnerait que je me plaise dans ce pays sauvage. Il faut avoir perdu l’esprit pour quitter Florence au bénéfice d’une de ces contrées du nord dont on a rien d’autre à attendre que des rhumatismes ! Maintenant je voudrais un vrai lit... si toutefois vous savez ce que c’est !

Tandis qu’Angelo Rossi lui assurait qu’elle aurait satisfaction sous peu, Lorenza, gênée de son impolitesse, se risquait à offrir des excuses arguant d’une traversée pénible. Mal lui en prit :

— De quoi te mêles-tu ? Une dame de ma condition n’a que faire des avis d’une fille comme toi ! Tu devrais me remercier à genoux de m’être imposée ces souffrances insupportables afin que tu n’arrives pas ici comme un simple bagage dans la suite de ser Filippo !

La jeune fille rougit de colère. Le boulet qu’elle allait traîner promettait d’être encore plus lourd qu’elle ne le craignait :

— Vous me rendrez cette justice, tante Honoria, que je n’ai jamais réclamé votre présence pour...

— ... pour pouvoir te comporter avec tous ces hommes comme le fit jadis ta mère et...

Cette fois c’en était trop ! Les yeux sombres lancèrent des éclairs :

— Comment osez-vous ? Ma mère était une Médicis !

— Bâtarde ! Tu ferais mieux d’éviter d’en parler !

Mais l’ambassadeur estimait qu’il était temps d’intervenir :

— Je crains, dit-il sévèrement, que ce genre de propos ne soit guère apprécié à la cour de France. Aussi dois-je vous prier, dès à présent, Madonna Honoria, de vous engager à ne plus vous y livrer. Sinon...

— Sinon ? clama-t-elle.

— J’aurais le regret d’engager vos femmes à vous reconduire dans votre cabine pour y attendre que la galère reprenne la mer. Je remettrais une lettre pour le grand-duc Ferdinand au capitaine Rossi !

— Vous auriez l’audace ?

— Sans hésiter. Son Altesse désire que sa nièce ne reçoive en France que des marques de respect et d’amitié. Dans ces conditions, mon devoir exige que je me montre ferme... et aussi très clair ! Me suis-je bien fait comprendre ?

Il n’eut pas besoin de réponse : la défaite s’inscrivait nettement sur le visage renfrogné de la virago. Elle haussa les épaules.

— Que de bruit pour un mot ! Ça va ! Que l’on me fasse descendre de ce cercueil ! Et pronto !

Comme à Livourne, il fallut un brancard et deux paires de bras solides pour que donna Honoria pût quitter le navire en toute sécurité, tandis que Giovanetti, après l’avoir saluée, offrait sa main à Lorenza pour lui éviter d’avoir l’air d’être à la suite de la mégère. Une litière attendait sur le quai. Force fut à la jeune fille d’y monter à ses côtés mais le trajet n’était pas long entre le port du Lacydon et la rue Droite, la plus importante de la cité phocéenne où Angelo Rossi habitait une belle maison auprès de ses entrepôts.

Quand on y parvint, Lorenza, laissant deux valets porter sa tante à l’étage où elle partagerait une chambre avec Nona, retint l’ambassadeur au bas de l’escalier :

— Comment avez-vous prévu le voyage jusqu’à Paris ? demanda-t-elle.

— En carrosse naturellement. Nous avons deux cents lieues devant nous...

— Et qui y prendra place ?

— Vous-même, les deux caméristes et donna Honoria, bien entendu !

— Et vous ?

— Avec votre permission, je ferai la route à cheval.

— Vous avez ma permission mais à une condition : m’en trouver un ! Vous n’imaginez que je vais parcourir tout ce chemin en compagnie de ma tante ? Je ne suis pas sûre que nous y arriverions vivantes toutes les deux.

— Vous montez, Madonna ?

— Très bien même. A califourchon ou en amazone[8]. Ce n’est qu’une question de vêtements.

Il leva un sourcil surpris mais sourit :

— On en apprend des choses au couvent des Murate !

— Au couvent non mais dans notre villa de Fiesole, oui. Nous y avons un vieux palefrenier qui m’a transmis son savoir. Vous pourriez être surpris.

— Je le suis déjà !... Et ravi puisque nous voyagerons de conserve ! Mais je vais dès maintenant demander à Rossi de se procurer une selle d’amazone. J’ose à peine penser à ce que dirait donna Honoria en vous voyant habillée en homme. Elle pourrait trépasser d’un coup de sang !

— Vous croyez ? Si seulement j’en étais sûre je crois que je tenterais l’aventure.

L’ambassadeur se mit à rire mais le jeune visage restant sérieux, il se contenta de poursuivre :

— Je vais faire mon possible ! Cela va être une vraie joie, pour moi, d’être votre compagnon de route pendant tous ces jours. Surtout si le temps se maintient au beau. La pluie vous ferait peut-être changer d’avis ?

— Même un ouragan n’y parviendrait pas ! N’importe quoi plutôt qu’être enfermée avec elle à longueur de journée ! A l’écouter gémir, pester ou me chercher querelle pour un oui ou pour un non ! Ses récriminations, quand elle me verra renoncer à sa présence, suffiront. On l’entendra jusqu’au port !

— Vous allez cependant devoir vivre sous le même toit, quand vous serez à Paris ! A moins que la Reine ne vous garde au palais ? En quels termes êtes-vous avec Sa Majesté ? Je suppose qu’elle vous aime.

— J’avoue l’ignorer. J’avais huit ans lors de son départ pour la France. Jusque-là, elle ne m’a jamais accablée de démonstrations d’affection. Elle se contentait de me tapoter la joue quand elle me rencontrait et de m’offrir deux florins d’or pour la Noël et l’an nouveau. Elle avait alors vingt-sept ans, je crois, et je n’étais qu’une gamine. Toute son attention elle la réservait à cette compagne qu’on lui avait donnée, cette Leonora Dori ou Dosi sortie de rien et que l’on avait fait adopter par un vieux gentilhomme sans descendance pour lui permettre de figurer convenablement dans les entours d’une princesse. Elle est toujours auprès d’elle je présume ?

— La Galigaï qui est devenue la signora Concini ? Je pense bien !

— Elle est mariée ? Elle n’est pourtant pas belle : sèche, noiraude...

— Elle a pourtant épousé celui qui est sans doute le plus beau parmi les Florentins que la Reine a amenés avec elle... Le plus pervers aussi et il faudra vous en méfier car leur influence sur leur maîtresse est absolue. Même le roi Henri les redoute, lui qui n’a peur de personne ! Il a tenté à plusieurs reprises de s’en débarrasser mais on lui a opposé de telles fureurs qu’il y a renoncé. Maintenant que vous m’y faites penser, le couple devrait vous voir arriver d’un bon œil : si leur protectrice était répudiée, ils seraient bien obligés de la suivre.

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