Donatien Sade - Historiettes, Contes Et Fabliaux

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Cependant la partie s’achève, nos deux amis vont à la chasse et au retour Rodin conte à sa femme le service qu’il a rendu à Gabriel.

– Je célébrais la messe, disait le gros benêt en riant de tout son cœur, oui corbleu, je célébrais la messe comme un vrai curé, pendant que notre ami mesurait les épaules de Renoult avec une fourche… Il lui donnait ses armes, qu’en dis-tu, ma vie, il les lui plaçait sur le front; ah! bonne petite chère mère, comme cette histoire est drôle et comme les cocus me font rire! Et toi, ma mie, que faisais-tu pendant que je célébrais?

– Ah! mon ami, répond la viguière, il semblait que le ciel nous inspirât, regarde comme les choses célestes nous remplissaient l’un et l’autre sans nous en douter: pendant que tu disais la messe, moi je récitais cette belle prière que la Vierge répond à Gabriel quand celui-ci vient lui annoncer qu’elle sera grosse par l’intervention du Saint-Esprit. Va, mon ami, nous serons sauvés à coup sûr, tant que d’aussi bonnes actions nous occuperont à la fois tous les deux.

LA CHÂTELAINE DE LONGEVILLE ou la femme vengée

Au temps où les seigneurs vivaient despotiquement dans leurs terres, dans ces temps glorieux où la France comptait dans son enceinte une foule de souverains, au lieu de trente mille esclaves bas rampants devant un seul, vivait au milieu de ses domaines le seigneur de Longeville, possesseur d’un assez grand fief auprès de Fimes en Champagne. Il avait avec lui une petite femme brune, espiègle, fort vive, peu jolie, mais friponne et aimant passionnément le plaisir: la dame châtelaine pouvait avoir vingt-cinq à vingt-six ans et monseigneur trente au plus; tous deux mariés depuis dix ans, et tous deux très en âge de chercher un peu de distractions aux ennuis de l’hymen, tâchaient à se pourvoir dans le voisinage du mieux qu’il leur était possible. Le bourg ou plutôt le hameau de Longeville offrait peu de ressources: cependant une petite fermière de dix-huit ans, bien appétissante et bien fraîche, avait trouvé le secret de plaire à monseigneur, et depuis deux ans il s’en arrangeait le plus commodément du monde. Louison, c’était le nom de la tourterelle chérie, venait tous les soirs coucher avec son maître par un escalier dérobé, ménagé dans une des tours qui avoisinait l’appartement du patron, et le matin elle décampait avant que madame n’entrât chez son époux, comme elle avait coutume de faire pour le déjeuner.

Mme de Longeville n’ignorait nullement la petite conduite incongrue de son mari, mais comme elle était bien aise de se divertir aussi de son côté, elle ne disait mot; il n’y a rien de si doux que les femmes infidèles, elles ont tant d’intérêt à cacher leurs démarches qu’elles examinent celles des autres infiniment moins que les prudes. Un meunier des environs nommé Colas, jeune drôle de dix-huit à vingt ans, blanc comme sa farine, musclé comme son mulet et joli comme la rose qui croissait dans son petit jardin, s’introduisait chaque soir comme Louison dans un cabinet voisin de l’appartement de madame, et bien promptement au fond du lit quand tout était tranquille dans le château. On ne pouvait rien voir de plus tranquille que ces deux petits ménages; sans le démon qui s’en mêla, je suis sûr qu’on les aurait cités comme des exemples à toute la Champagne.

Ne riez point, lecteur, non, ne riez point de ce mot exemple ; au défaut de la vertu, le vice bien décent et bien caché peut servir de modèle: n’est-il pas aussi heureux qu’adroit de pécher sans scandaliser son prochain, et dans le fait de quel danger peut être le mal quand il n’est pas su? Voyons – décidez – cette petite conduite tout irrégulière qu’elle était, ne se trouve-t-elle pourtant pas préférable au tableau que les mœurs actuelles peuvent nous offrir; n’aimez-vous pas mieux le sire de Longeville dûment étendu sans bruit dans les deux jolis bras de sa jolie fermière, et sa respectable épouse au sein d’un beau meunier dont personne ne sait le bonheur, qu’une de nos duchesses parisiennes changeant publiquement de sigisbées tous les mois, ou se livrant à ses valets, pendant que monsieur mange deux cent mille écus par an avec une de ces méprisables créatures que déguise le luxe, qu’avilit la naissance et que la vie corrompt? Je le dis donc, sans la discorde dont les poisons distillèrent bientôt sur ces quatre favoris de l’amour, rien de plus doux et de plus sage que leur joli petit arrangement.

Mais le sire de Longeville qui avait comme beaucoup d’époux injustes la cruelle prétention d’être heureux et de ne pas vouloir que sa femme le fût, le sire de Longeville qui s’imaginait comme les perdrix que personne ne le voyait parce qu’il avait la tête à couvert, découvrit l’intrigue de sa femme, et la trouva mauvaise, comme si sa conduite à lui n’autorisait pas pleinement celle qu’il s’avisait de blâmer.

De la découverte à la vengeance il n’y a pas loin dans un esprit jaloux. M. de Longeville se résolut donc de ne rien dire, et de se débarrasser du drôle qui flétrissait son front; être cocu, se disait-il tout seul, par un homme de mon rang, soit… mais par un meunier, oh! M. Colas, vous aurez la bonté s’il vous plaît d’aller moudre à d’autre moulin, il ne sera pas dit que celui de ma femme s’ouvre davantage à votre semence. Et comme la haine de ces petits despotes suzerains était toujours fort cruelle, comme ils abusaient souvent du droit de vie et de mort que les lois féodales leur accordaient sur leurs vassaux, M. de Longeville ne se résolut à rien moins qu’à faire jeter le pauvre Colas dans les fossés pleins d’eau qui environnaient son habitation.

– Clodomir, dit-il un jour à son maître queulx , il faut que tes garçons et toi me débarrassiez d’un vilain qui souille le lit de madame.

– Soit fait, monseigneur, répondit Clodomir, nous l’égorgerons si vous voulez, et vous le servirons troussé comme un cochon de lait.

– Non, mon ami, répondit M. de Longeville, il suffit de le mettre dans un sac avec des pierres dedans, et de le descendre en cet équipage au fond des fossés du château.

– Cela sera.

– Oui, mais avant tout il faut le prendre et nous ne le tenons pas.

– Nous l’aurons, monseigneur, il sera bien fin s’il se sauve de nous, nous l’aurons, vous dis-je.

– Il viendra ce soir à neuf heures, dit l’époux offensé, il passera par le jardin, arrivera de plain-pied dans les salles basses, ira se cacher dans le cabinet qui est auprès de la chapelle et se tiendra blotti là jusqu’à ce que madame me croyant endormi, vienne le délivrer pour le conduire en son appartement; il faut lui laisser faire toutes ses manœuvres, nous contenter de le guetter, et dès qu’il se croira à l’abri nous mettrons la main dessus et nous l’enverrons boire afin de tempérer ses feux.

Rien de mieux conduit que ce plan et le pauvre Colas allait certainement être mangé des poissons si tout le monde eût été discret; mais le baron s’était confié à trop de monde, il fut trahi: un jeune garçon de cuisine qui chérissait beaucoup sa patronne et qui peut-être aspirait à partager un jour ses faveurs avec le meunier, se livrant plutôt au sentiment que lui inspirait sa maîtresse qu’à la jalousie qui eût dû le rendre enchanté du malheur de son rival, courut donner avis de tout ce qui venait de se tramer, et en fut récompensé d’un baiser et de deux beaux écus d’or qui valaient moins pour lui que le baiser.

– Assurément, dit Mme de Longeville dès qu’elle fut seule avec celle de ses femmes qui servait son intrigue, c’est un homme bien injuste que monseigneur… eh quoi, il fait ce qu’il veut, je ne dis mot, et il trouve mauvais que je me dédommage de tous les jours de jeûne qu’il me fait faire. Ah! je ne le souffrirai pas, ma mie, je ne le souffrirai pas. Écoute, Jeannette, es-tu fille à me servir dans le projet que j’invente et pour sauver Colas, et pour attraper monseigneur?

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