Lorsque je me suis tourné pour demander à Damon ce qu’il comptait faire, il avait déjà disparu dans la nuit. Heureusement, nous avions été enterrés avec les bagues que Katherine nous avait données. Et la sienne se trouvait dans ma poche. Ils avaient dû penser qu’elle m’en avait fait cadeau… Ensuite, j’ai voulu tout bêtement rentrer chez moi. Évidemment, à peine m’ont-ils vu que les serviteurs ont hurlé en courant chercher un prêtre.
Alors, j’ai gagné le seul endroit où j’étais en sécurité : l’ombre. J’y suis toujours resté, jusqu’à maintenant. C’est au monde des ténèbres que j’appartiens, Elena. C’est mon orgueil et ma jalousie qui ont tué Katherine, et c’est ma haine qui a causé la mort de Damon. Mais ce que j’ai infligé à mon frère est bien pire. À cause de moi, il a été banni pour toujours de l’espèce humaine : si je ne l’avais pas tué, le sang de Katherine qui courait dans ses veines aurait fini par perdre de sa force, et il n’aurait pas pu finir sa transformation. Il serait redevenu un être humain. En le tuant, je lui ai ôté sa seule chance de salut, et l’ai contraint à vivre dans la nuit.
Stefan se mit à rire.
— Tu sais ce que veut dire Salvatore, en italien, Elena ? Ça signifie « sauveur ». Et Stefan est un dérivé du prénom Étienne… le premier martyr chrétien. Et c’est moi qui ai condamné mon frère à l’enfer !
— Non… , murmura Elena. Il s’est lui-même damné en te tuant… Est-ce que tu sais ce qu’il est devenu ?
— Il a fait partie d’un bataillon de mercenaires qui mettaient tout à feu et à sang sur leur passage…
Il a arpenté le pays en se battant et en buvant le sang de ses victimes, pendant que moi je mourrais à moitié de faim aux portes de la ville, où je chassais des animaux. Je n’ai plus entendu parler de lui pendant longtemps. Et puis, un jour, j’ai entendu sa voix dans mon esprit. Il avait acquis cette faculté grâce au sang humain qu’il buvait et qui lui donnait une force bien supérieure à la mienne. D’autant plus qu’il ne se contentait pas de cet élixir : à force d’assécher les veines de ses victimes, il leur prenait leur vie, ce qui lui donnait une puissance supplémentaire.
Lorsqu’un homme est mis à mort, son âme se fortifie, dans les derniers moments de terreur et de lutte, donnant à celui qui boit son sang un pouvoir incroyable.
— Quel… pouvoir ? demanda Elena, intriguée.
— Il ne s’agit pas d’un seul pouvoir, en fait, mais de tout un ensemble de facultés. Un mélange de force et de rapidité, d’abord. Une acuité de tous les sens, aussi, surtout la nuit. Et puis, la possibilité de… sentir les esprits. Nous sommes capables de déceler leur présence, et la nature de leurs pensées. Nous pouvons aussi subjuguer totalement les plus faibles, ou simplement les faire obéir à nos ordres. Et, ce n’est pas tout : si nous buvons suffisamment de sang humain, nous avons la possibilité de changer d’aspect pour prendre celui d’un animal, par exemple. Plus nous tuons, plus notre pouvoir est décuplé.
Dans mon esprit, la voix de Damon était parfaitement distincte. Il me disait qu’il était désormais le chef de son propre bataillon, et qu’il revenait à Florence ; s’il me trouvait encore là lorsqu’il arriverait, il me tuerait. Je savais qu’il tiendrait parole, alors je suis parti. Depuis, je ne l’ai croisé qu’une fois ou deux, et j’ai aussitôt disparu de son chemin : je sentais que sa puissance croissait de jour en jour. Damon a su à merveille s’adapter à son état, et il semble très fier d’appartenir au royaume de l’ombre… Moi aussi, pourtant, que je le veuille ou non, j’en fais partie : je porte la marque des ténèbres. J’ai beau essayer de maîtriser mes instincts, rien n’y fait… J’ai eu tort de penser que je pourrais vivre tranquillement à Fell’s Church, loin des vieux souvenirs qui me rappelaient ma véritable nature. Parce que, ce soir, j’ai tué un homme.
— Non ! Stefan ! Ce n’est pas vrai ! Tu n’as rien fait, j’en suis sûre.
L’histoire qu’elle avait entendue l’avait certes épouvantée. Mais elle lui avait également inspiré de la pitié, et le dégoût du début avait totalement disparu. Elle était certaine d’une chose : Stefan n’était pas un assassin.
— Dis-moi ce qui s’est passé ce soir. Est-ce que tu t’es disputé avec Tanner ?
— Je… je ne me souviens plus. J’ai utilisé mon pouvoir pour le persuader de faire ce que tu voulais. Et puis je suis parti. Mais un peu plus tard, j’ai senti ma tête tourner, et mes forces décliner… comme à chaque attaque… La dernière fois que ça m’est arrivé, c’était dans le cimetière, à côté de l’église, le soir où Vickie a été agressée…
— Mais ce n’est pas toi qui as fait ça ! Tu n’aurais jamais fait une chose pareille, hein, Stefan ?
— Je n’en sais rien. Comment expliques-tu, alors, que je me suis trouvé là à chaque crime, si ce n’est pas moi le coupable ? Et puis, j’ai bu le sang de l’homme sous le pont. Et on l’a retrouvé à moitié mort… Et puis, j’étais là aussi quand Vickie et Tanner ont été attaqués…
— Peut-être, mais ce n’est pas toi le meurtrier. La preuve, c’est que tu ne t’en souviens pas, déclara Elena.
La lumière s’était soudain faite dans son esprit, lui donnant l’absolue certitude que Stefan était innocent.
— Ça ne veut rien dire ! objecta-t-il. Qui d’autre à part moi aurait pu faire une chose pareille ?
— Damon.
Ce nom le fit d’abord tressaillir. Puis ses épaules s’affaissèrent.
— J’y ai pensé, moi aussi : je me suis dis que quelqu’un comme mon frère aurait pu commettre ces attaques. Alors, j’ai sondé autour de moi la présence d’autres esprits. Personne ne s’est manifesté. Tu vois, la seule explication possible, c’est que c’est moi le tueur.
— Non, tu n’as pas compris. Je ne pense pas que quelqu’un comme Damon soit l’auteur de ces crimes. Ce que je veux dire, c’est que Damon est ici, à Fell’s Church. Je l’ai vu.
Stefan la regarda, incrédule.
— C’est forcément lui, reprit-elle. Je l’ai croisé au moins deux fois, peut-être trois. Stefan, c’est mon tour de te raconter.
Elle lui expliqua alors, de façon la plus succincte possible, ce qui s’était passé dans le gymnase, puis chez Bonnie. Lorsqu’elle lui dit que Damon avait essayé de l’embrasser, Stefan eut du mal à contenir sa colère. Et elle eut honte de lui avouer qu’elle avait failli céder. Elle lui parla ensuite du corbeau, et de tous les événements étranges survenus depuis son retour de France.
— Et je pense même qu’il se trouvait dans le gymnase ce soir, acheva-t-elle. Quelqu’un à la démarche familière m’a frôlée dans l’entrée : il était habillé tout en noir, avec un capuchon sur la tête… comme pour incarner la mort. C’était lui, Stefan, j’en suis presque sûre qu’il est là.
— Mais, alors, comment expliques-tu que l’homme sous le pont ait été retrouvé à moitié mort ?
— Tu as dit toi-même que tu n’as bu qu’un peu de sang ! Peut-être que Damon est venu après ton départ et l’a achevé… Rien n’était plus simple pour lui, surtout s’il t’épiait depuis longtemps, peut-être sous une autre forme…
— Un corbeau, par exemple ?
— Oui. Et pour ce qui est de Vickie, j’ai une petite idée. Voilà, tu m’as dit que tu pouvais subjuguer les esprits plus faibles. Est-ce que Damon n’aurait pas pu faire la même chose avec toi ?
— C’est possible. En me cachant sa présence, il aurait pu contrôler ma volonté.
La voix de Stefan retrouva soudain toute sa vigueur.
— Mais, oui ! s’écria-t-il, c’est sans doute pour cette raison qu’il n’a jamais répondu à mes appels. Il volait…
Читать дальше