Cette fois, c’en était trop. Elena claqua la porte de son casier et se dirigea droit vers elles.
— Salut Beckie, salut Sheila. Oh, et salut Caroline ! lança-t-elle avec insistance.
Les deux premières marmonnèrent un vague bonjour avant de se diriger vers la sortie.
— Y a un problème ? demanda Elena.
— Un problème ? fit Caroline d’un air faussement étonné.
Elle se délectait visiblement de la situation, la faisant durer avec un malin plaisir.
— Te fous pas de moi. Je te connais par cœur. Tout le monde m’évite comme si j’avais la peste. Et comme par hasard, tu as l’air très fier de toi. Qu’est-ce que t’as été raconter derrière mon dos ?
Un sourire narquois se dessina sur le visage de Caroline.
— Tu ne te souviens pas ? Je t’ai dit il y a quelque temps que la fin de ton règne était proche… Mais je n’y suis pour rien, après tout. Ce qui se passe, c’est simplement… comment dire… la loi de la jungle…
— Qu’est-ce que tu racontes ?
— Disons que sortir avec un assassin n’est pas forcément un atout pour briller en société…
L’insulte lui fit l’effet d’une gifle. Bouillant d’une colère sourde, elle fit un effort gigantesque pour ne pas se jeter sur Caroline.
— Stefan n’a rien fait, protesta-t-elle entre ses dents. La police l’a interrogé, et il a été mis hors de cause.
Caroline prit un air condescendant.
— Elena, je te connais depuis la maternelle, alors permets-moi de te donner un conseil d’amie : laisse tomber Stefan. À moins que tu tiennes absolument à t’acheter une clochette de lépreuse…
Caroline tourna les talons, l’air très satisfait de sa pique. Elena écumait de rage. Elle se retint de lui balancer les pires insultes.
— Caroline ?
Celle-ci se retourna.
— Tu vas à la soirée de Saltzman ?
— Sans doute. Pourquoi ?
— Parce que j’y serai aussi. Avec Stefan. Rendez-vous dans la jungle…
Elle passa devant elle d’un air très digne pour gagner la porte principale. Cependant, en apercevant une silhouette noire au bout du couloir, sa démarche se fit hésitante, ce qui gâcha un peu sa sortie. En reconnaissant Stefan, elle lui adressa un sourire forcé. Celui-ci ne fut pas dupe.
— L’entraînement de foot a été annulé ? demanda-t-elle en pénétrant avec lui dans la cour.
Il approuva d’un signe de tête.
— Qu’est-ce qui s’est passé ? S’enquit-il.
— Rien. Je demandais à Caroline si elle venait ce soir.
Elle leva la tête vers le ciel gris.
— Ah bon ? Vous parliez vraiment de ça ?
— Oui, affirma-t-elle avec aplomb, les yeux toujours fixés sur les nuages menaçants.
— Et c’est ce qui t’a mise en colère ?
— Oui.
— C’est faux, Elena, affirma-t-il sans la quitter du regard.
— Si tu arrives à lire dans mes pensées, tu n’as pas le besoin de me poser toutes ces questions…
— Tu sais très bien que je ne m’amuserais pas à ça. Mais je croyais que tu voulais une relation basée sur la franchise, non ?
— Cette pétasse de Caroline faisait des insinuations au sujet du meurtre, lâcha-t-elle. De toute façon, qu’est que t’en as à faire ?
— Elle a peut-être raison, lança durement Stefan. Pas à propos du crime, mais à propos de nous deux… Je savais bien qu’ils allaient nous mettre dans le même sac toi et moi.
J’ai senti de l’hostilité et de la peur toute la journée. Ils sont toujours persuadés que je suis l’assassin, et c’est sur toi que ça va retomber.
— Je me fous de leur opinion ! Éclata Elena. Ils finiront bien par se rendre compte de leur erreur, et tout redeviendra comme avant !
— Tu crois vraiment ? demanda Stefan avec un sourire triste. Et s’ils ne comprennent pas ? ajouta-t-il, les traits soudain durcis. La situation risque de devenir invivable. …
— Qu’est-ce que tu racontes ?
— Je crois qu’il vaudrait mieux ne plus se voir pendant quelques temps… S’ils pensent qu’on n’est plus ensemble, ils te laisseront tranquille.
Elle le dévisagea avec horreur.
— Quoi ? Tu pourrais arrêter de me voir pendant je ne sais pas combien de temps ?
— S’il le faut, oui… On a qu’à faire semblant d’avoir cassé…
Elena le fixa sans rien dire. Puis, elle se mit à arpenter le sol en cercles concentriques autour de lui.
— Il n’y a qu’à une seule condition que j’annoncerai aux autres qu’on n’est plus ensemble : si tu me dis que tu ne m’aime plus, et que tu ne veux plus me voir. Alors dis-le-moi Stefan. Dis-moi que tu ne veux plus me moi !
Stefan resta sans voix.
— Allez, le défia-t-elle. Ose me dire que tu me jettes… Ose me dire que…
La fin de sa phrase fut étouffée par un baiser.
Assis sur le canapé des Gilbert, Stefan acquiesçait poliment aux propos de tante Judith. Elle s’efforçait visiblement d’être aimable, et Stefan s’évertuait à en faire autant pour ne pas froisser Elena.
La jeune fille, à ses côtés, lui renvoyait des ondes bienfaisantes. Il l’aimait tant… Elle était si différente de Katherine, finalement. Certes, elle avait les mêmes cheveux blonds, le même teint d’albâtre, les mêmes traits délicats, les mêmes yeux bleus. Mais, la ressemblance s’arrêtait là : contrairement à Katherine, elle était dotée d’une force de caractère exceptionnelle.
L’intensité de leur amour n’était cependant pas sans danger : la semaine précédente, il avait été incapable de refuser le sang qu’elle lui avait offert C’était beaucoup trop risqué… Pour la centième fois, il scruta son visage guettant l’apparition des premiers symptômes. Il avait l’impression que son visage avait légèrement pâli… que son regard était plus froid.
Désormais, ils devaient se montrer d’une extrême vigilance. Surtout lui. Il irait assouvir son appétit dans la forêt. Rien que d’y penser, la faim recommençait à le tourmenter. Ce picotement insistant dans les mâchoires, cette brûlure familière dans les veines. Il devrait déjà être dans les bois, à l’affût d’une proie… loin de ce salon… , et de la gorge tendre d’Elena qu’il ne pouvait pas quitter du regard.
Elle se tourna vers lui en souriant.
— Ça te dit d’aller à la soirée de Saltzman ? Tante Judith nous prête sa voiture.
— Vous allez quand même rester dîner ! intervint celle-ci.
— T’inquiète pas, on achètera un truc en route, affirma Elena.
Stefan se rembrunit. Il avait perdu depuis longtemps le goût de la nourriture du commun des mortels, et s’ils se rendaient à cette soirée, il devrait patienter encore quelques heures avant de pouvoir apaiser sa faim.
— Comme tu veux, dit-il pourtant à Elena.
— Super, je vais me changer.
Il la suivit jusqu’au pied de l’escalier.
— Mets un col roulé, lui souffla-t-il.
— Pas de problème, c’est presque guéri, regard répondit-elle après s’être assurée que le salon était désert.
Stefan contempla les deux petites marques rondes et d’un rose rappelant le vin coupé d’eau. Il détourna les yeux, les mâchoires crispées. Quel supplice !
— Ce n’est pas pour cette raison… Elena surprit enfin son air affamé : elle comprit ce qu’il voulait dire et laissa retomber ses cheveux sur son cou.
Quand ils franchirent le seuil de la maison, les conversations s’interrompirent brusquement. Les visages tournés vers eux reflétaient la plus grande méfiance. Elena n’était pas habituée à ce genre d’accueil.
Le professeur d’histoire n’était pas en vue. Caroline, en revanche, exhibait ses longues jambes fuselées sur un tabouret de bar. Elle glissa un commentaire au garçon assis à sa droite avec un sourire narquois en direction d’Elena. Q s’esclaffa. Elena sentait le feu lui monter aux joues. Heureusement, une voix familière l’interpella.
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