Isaac Asimov - Terre et Fondation

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Mission surhumaine pour Golan Trevize : choisir le meilleur avenir pour l’humanité.Un avenir qui ne recréera pas les erreursde l’Empire galactique,entre le matérialisme de la Première Fondationet le mentalisme de la Seconde. Un avenir qui a pour modèle Gaïa, la planète pensante, et pour nom : Galaxia. Trevize a choisi mais il voudrait savoir pourquoi. Et la réponse à ses interrogations se trouve sur la Terre. Mais où la trouver, cette planète des origines, mystérieusement disparuede toutes les archives galactiques ? Trevize et ses deux compagnons, l’historien Pelorat et Joie, la belle Gaïenne, deviennent, bien malgré eux, trois personnagesen quête de Terre... Une quête qui va les mener de planète en planètejusqu’à ce but mythique, jusqu’à la révélation finale, qui leur fera découvrir que l’aventurene fait que commencer.

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— Pas du tout. L’ordinateur s’occupe de tout une fois que je lui ai fourni les instructions adéquates. Et parfois, il semble les deviner et les satisfaire avant même que j’aie eu le temps de les énoncer. » Trevize caressa avec amour le dessus de la console.

« Nous sommes devenus très amis, Golan, durant le peu de temps qui s’est écoulé depuis que nous avons fait connaissance, bien que je doive admettre que le temps ne m’ait pas paru court. Tant de choses se sont passées. C’est vraiment étrange, si je veux bien songer à mon existence modérément longue, que la moitié de tous les événements que j’aie pu vivre soient tous advenus dans ces tout derniers mois. C’est du moins l’impression que j’en retire. J’en viendrais presque à supposer… »

Trevize éleva une main. « Janov, vous vous écartez de votre sujet initial, j’en suis certain. Vous commencez par me dire que nous sommes devenus très amis en très peu de temps. Oui, certes, et nous le sommes toujours. Dans ce même ordre d’idée, vous connaissez Joie depuis un temps encore plus court et vous êtes devenus encore plus proches.

— C’est différent, bien entendu », observa Pelorat tout en se raclant la gorge, quelque peu gêné.

« Bien entendu, dit Trevize, mais que doit-il découler de notre brève quoique solide amitié ?

— Si, mon brave compagnon, nous sommes encore amis, comme vous venez de le dire, alors il m’en faut venir à Joie, qui, comme vous venez également de le faire remarquer, m’est tout particulièrement chère.

— Je comprends. Et alors ?

— Je sais, Golan, que vous n’aimez guère Joie, mais pour me faire plaisir, je souhaiterais… »

Trevize éleva la main. « Une seconde, Janov. J’avoue ne pas être enthousiasmé par Joie mais elle n’est pas non plus pour moi un objet de haine. A vrai dire, je ne nourris pas la moindre animosité à son égard. C’est une jeune femme séduisante, et même si ce n’était pas le cas, eh bien, pour vous faire plaisir, je n’en serais pas moins prêt à l’admettre. Non, c’est Gaïa que je n’aime pas.

— Mais Joie est Gaïa.

— Je sais, Janov. C’est bien ce qui complique les choses. Tant que je songe à Joie comme à une personne, tout va bien. C’est quand je pense à elle en tant que Gaïa que les problèmes surgissent.

— Mais vous n’avez pas donné une seule chance à Gaïa, Golan… Écoutez, mon bon, laissez-moi vous avouer une chose. Lorsque Joie et moi sommes dans l’intimité, elle me laisse parfois partager son esprit durant une minute peut-être. Pas plus longtemps car elle dit que je suis trop âgé pour m’y adapter… Oh ! ne souriez pas, Golan, vous seriez trop vieux, vous aussi. Si un Isolat, tel que vous ou moi, devait demeurer au contact de Gaïa plus d’une minute ou deux, il y aurait des risques de dommages cérébraux, et si le délai s’étendait à cinq ou dix minutes, ces dommages seraient irréversibles… Si seulement vous pouviez en faire l’expérience, Golan.

— Quoi ? De dommages cérébraux irréversibles ? Non merci.

— Golan, vous faites exprès de ne pas comprendre. Je veux dire seulement : de ce bref instant d’union. Vous ne savez pas ce que vous ratez. C’est indescriptible. Joie dit qu’il y a un sentiment de bonheur. C’est comme de dire qu’on éprouve un sentiment de bonheur quand on peut enfin boire une gorgée d’eau après avoir failli mourir de soif. Je ne pourrais même pas commencer à vous raconter à quoi ça ressemble. Vous partagez tous les plaisirs qu’un milliard de personnes éprouvent séparément. Ce n’est pas une joie constante ; sinon, vous auriez tôt fait de ne plus la ressentir. Cela vibre, scintille, est doté d’un étrange rythme puisant qui ne vous lâche pas. C’est un bonheur plus grand – non pas plus grand, mais plus intense – que tout ce que vous pourrez jamais éprouver isolément. J’en aurais pleuré lorsqu’elle m’en a refermé la porte… »

Trevize hocha la tête. « Vous êtes d’une éloquence surprenante, mon bon ami, mais vous me faites tout à fait l’impression de me décrire une accoutumance à la pseudendorphine ou quelque autre drogue qui vous offre le bonheur à bref délai au risque de vous laisser en permanence dans l’horreur à longue échéance. Très peu pour moi ! Je répugne à troquer mon individualité contre quelque fugace sensation de bonheur.

— Je conserve toujours mon individualité, Golan.

— Mais combien de temps encore la garderez-vous si vous persistez dans cette voie, Janov ? Vous réclamerez de plus en plus souvent votre drogue jusqu’au moment où, en fin de compte, votre cerveau sera endommagé. Janov, vous ne devez pas laisser Joie vous faire ça. Peut-être même que je ferais mieux de lui en parler.

— Non ! N’en faites rien ! Le tact et vous, ça fait deux, vous le savez, et je ne veux pas la voir blessée. Je vous assure qu’elle prend soin de moi mieux que vous ne pouvez l’imaginer. Elle s’inquiète encore plus que moi des possibilités de dommage cérébral. Vous pouvez en être certain.

— Eh bien, dans ce cas, c’est à vous que je vais parler. Janov, ne faites plus cela. Vous avez vécu cinquante-deux ans avec votre propre type de plaisir et de bonheur et votre cerveau s’est habitué à le supporter. N’allez pas vous enticher de quelque vice nouveau et inhabituel. Il faudrait en payer le prix ; sinon dans l’immédiat, du moins à terme, soyez-en sûr.

— Oui, Golan », dit Pelorat à voix basse, en regardant le bout de ses chaussures. Puis il ajouta : « Supposons que vous considériez la chose ainsi. Imaginez que vous soyez un être unicellulaire…

— Je sais ce que vous allez me dire, Janov. Laissez tomber. Joie et moi avons déjà évoqué cette analogie.

— Oui, mais réfléchissez un instant. Imaginons, voulez-vous, des organismes unicellulaires dotés d’un niveau de conscience humain et de la capacité de penser, et imaginons-les confrontés à la possibilité de devenir un organisme multicellulaire. Les organismes unicellulaires ne regretteraient-ils pas leur perte d’individualité, ne répugneraient-ils pas à la perspective de cet embrigadement forcé au sein de la personnalité d’un organisme tout-puissant ? Et n’auraient-ils pas tort ? Une cellule individuelle peut-elle même imaginer la puissance du cerveau humain ? »

Trevize fit un vigoureux signe de dénégation. « Non, Janov, c’est une fausse analogie. Les organismes monocellulaires sont dépourvus de conscience ou de capacité de penser – ou s’ils l’ont, c’est à une échelle si infinitésimale qu’on pourrait aussi bien la considérer comme nulle. Pour de tels objets, fusionner et perdre leur individualité, c’est perdre quelque chose qu’ils n’ont jamais vraiment possédé. Un être humain, en revanche, est bel et bien conscient et il jouit de la capacité de penser. Il a bel et bien une conscience et une intelligence autonomes à perdre, tant et si bien que votre analogie n’est pas valable. »

Le silence se prolongea entre eux durant quelques secondes, un silence presque oppressant, et finalement Pelorat, qui voulait orienter la conversation dans une autre direction, reprit : « Pourquoi fixez-vous ainsi l’écran ?

— L’habitude, dit Trevize avec un sourire quelque peu désabusé. L’ordinateur me dit qu’aucun vaisseau gaïen ne me suit et qu’aucune flotte seychelloise ne vient à ma rencontre. Je continue malgré tout à l’observer avec anxiété, conforté par mon propre échec à discerner de tels vaisseaux, alors que les senseurs de l’ordinateur sont des centaines de fois plus aigus, plus perçants que mes yeux. Qui plus est, l’ordinateur est capable de déceler certaines propriétés de l’espace très précisément, des propriétés qu’en aucune condition mes sens ne seraient capables de percevoir – et sachant tout cela, je n’en continue pas moins à le fixer.

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