George Martin - Le Trône de fer

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Il était une fois, perdu dans un lointain passé, le royaume des Sept Couronnes…
En ces temps nimbés de brume, où la belle saison pouvait durer des années, la mauvaise toute une vie d’homme, se multiplièrent un jour des présages alarmants. Au nord du Mur colossal qui protégeait le royaume, se massèrent soudain des forces obscures ; au sud, l’ordre établi chancela, la luxure et l’inceste, le meurtre et la corruption, la lâcheté et le mensonge enserrèrent inexorablement le trône convoité.
Pour préserver de l’ignominie les siens et la dynastie menacés se dresse alors, armé de sa seule droiture, le duc Stark de Winterfell, aussi rude que son septentrion natal. Mais en dépit du pouvoir immense que vient de lui conférer le roi, a-t-il quelque chance d’endiguer la tourmente qui se lève ?
Dans la lignée des ROIS MAUDITS et d’EXCALIBUR, LE TRÔNE DE FER plonge le lecteur, sans lui laisser reprendre souffle, dans un univers de délices et de feu. L’épique et le chevaleresque côtoient sans cesse le vil et le démoniaque. La bravoure et la loyauté se heurtent à la duplicité et à la fourberie. Mais dans ce tourbillon d’aventures cruelles, ce sont finalement l’amour, la tendresse, l’indestructible force de l’amitié qui rayonnent au-dessus des ténèbres.

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« Corniaud ! » grogna Jon a parte puis, posant sa main sur l’épaule de Bran que la stupeur écarquillait : « Bravo, toi », décréta-t-il gravement. La justice n’avait plus de secret pour ses quatorze ans.

Bien que le vent fût tombé et que le soleil brillât désormais fort au-dessus de l’horizon, Bran eut l’impression, durant le long trajet du retour, que le froid s’aggravait. Il chevauchait avec ses frères assez loin devant le gros de la troupe, et son poney avait fort à faire pour ne pas se laisser distancer.

« Le déserteur est mort en brave », commenta Robb qui, trapu, massif et en pleine croissance, avait hérité de sa mère la carnation délicate, la peau fine, le brun roux et les yeux bleus qui distinguaient les Tully de Riverrun. « Du courage, faut reconnaître.

— Du courage ? riposta calmement Jon Snow, non. Il crevait de peur, le bonhomme. Ça se voyait dans son regard. » Tout gris qu’ils étaient, d’un gris si sombre qu’on les eût dits noirs, les yeux de Jon avaient une formidable acuité. Tout, d’ailleurs, hormis l’âge, le différenciait de Robb. Aussi mince que celui-ci était musculeux, aussi noiraud que son demi-frère avait le teint clair, il se montrait aussi gracieux et vif que l’autre puissant et ferme.

Loin de se laisser impressionner, Robb répliqua par un juron : « Son regard ? Que les Autres l’emportent ! N’empêche qu’il a su mourir », et, sans transition : « On fait la course jusqu’au pont ?

— Soit, dit Jon en éperonnant sa monture.

— Le maudit ! » rugit Robb et, au triple galop, il se lança sur ses traces en l’abreuvant de rires et de quolibets, sans autre écho qu’une vitesse accrue du fuyard parmi les tourbillons de neige sous les sabots.

Bran ne tenta même pas de les suivre sur son poney. A quoi bon ? Puis les yeux du vieillard l’obsédaient. Au bout d’un moment, les éclats de Robb s’éteignirent dans le lointain, la futaie recouvra son profond silence. Oui, l’obsédaient. Et il était si bien perdu dans ses pensées qu’il n’entendit pas la troupe s’approcher, ne reprit conscience qu’en voyant son père se porter à sa hauteur pour lui demander : « Ça va ? » D’un ton non dépourvu d’aménité.

« Oui, Père. » Vu d’en bas, drapé dans ses fourrures et sanglé de cuir sur son immense destrier, celui-ci semblait se perdre dans les nues. « Robb prétend que l’homme est mort en brave, et Jon qu’il était terrifié.

— Et toi, qu’en penses-tu ?

— Est-ce qu’un homme peut être brave, demanda-t-il après réflexion, s’il a peur ?

— L’heure de la mort est la seule où l’on puisse se montrer brave. Tu comprends pourquoi je l’ai exécuté ?

— C’était un sauvageon. Et les sauvageons enlèvent les femmes pour les vendre aux Autres.

— Ah, sourit lord Stark, Vieille Nan t’a encore conté de ses histoires ! A la vérité, cet homme était un parjure. Un déserteur de la Garde de Nuit. Rien de si dangereux qu’un déserteur. Se sachant perdu, en cas de capture, il ne recule devant aucun crime, aucune vilenie. Mais ne t’y méprends pas, la question est non de savoir pourquoi il fallait qu’il meure mais pourquoi je devais le tuer. »

Faute de réponse à cet égard, Bran finit par bredouiller :

« Le roi Robert a pourtant un bourreau…

— Certes. Au même titre que ses prédécesseurs, les rois targaryens. Mais nous suivons, nous, une tradition plus ancienne. Dans nos veines coule toujours le sang des Premiers Hommes, et nous croyons fermement que celui qui prononce une sentence doit en personne l’exécuter. Si tu t’arroges la vie d’un homme, tu lui dois de le regarder dans les yeux et d’écouter ses derniers mots. Si cela t’est insupportable, alors peut-être ne mérite-t-il pas de mourir…

« Un jour, Bran, tu seras le porte-bannière de Robb, tu tiendras ta propre place forte au nom de ton frère et au nom du roi, et la justice t’incombera. Ce jour-là, garde-toi de prendre le moindre plaisir à l’accomplissement de ton devoir, garde-toi tout autant d’en détourner tes yeux. Il ne tarde guère à oublier ce qu’est la mort, le chef qui se cache derrière des exécuteurs mercenaires. »

A peine achevait-il ces mots que Jon apparut au sommet de la colline qui leur faisait face et, tout en gesticulant à leur adresse, cria : « Père ! Bran ! venez…, venez vite voir ce qu’a découvert Robb ! » avant de disparaître à nouveau.

« Quelque chose qui ne va pas, messire ? s’inquiéta Jory en les rejoignant.

— Sans l’ombre d’un doute. Allons donc nous rendre compte du guêpier qu’auront déniché mes fils », dit-il en adoptant le trot, Bran et tous les autres sur ses talons.

Une fois en vue du pont, ils aperçurent Jon, encore à cheval, sur la rive droite. A ses côtés se dressait Robb. Tombée en abondance au dernier changement de lune, la neige lui montait au genou. Et comme il avait repoussé son capuchon, le soleil faisait flamboyer ses cheveux. Enfin, la chose qu’il berçait dans ses bras lui arrachait comme à son frère des exclamations étouffées.

Les cavaliers, cependant, frayaient prudemment leur route à travers les vasières invisibles qui les forçaient à tâtonner en quête de terre ferme. Escorté de Jory Cassel, Theon Greyjoy abordait le premier les garçons, la bouche fleurie de rires et de blagues, quand Bran l’entendit brusquement souffler : « Bons dieux ! » puis le vit réprimer une embardée de sa monture et porter la main à son épée.

Jory avait déjà dégainé, lui. « Laissez ça, Robb ! » cria-t-il, tandis que son cheval se cabrait.

L’œil pétillant de malice, Robb se détourna de la chose qui reposait au creux de ses bras : « N’aie crainte, Jory, elle est morte. »

Dévoré de curiosité, Bran aurait volontiers éperonné son poney pour savoir plus vite, mais Père lui ordonna de démonter près du pont et de poursuivre à pied. D’un bond, il fut à terre et se mit à courir.

Entre-temps, Jon, Jory et Theon avaient également démonté, et ce dernier s’ébahissait :

Mais que diable est-ce là ?

— Une louve, répondit Robb.

— Une farce ! Regardez sa taille… ? »

Malgré la neige qui lui montait jusqu’à la ceinture, Bran, le cœur battant, parvint à se couler au centre du groupe.

A demi ensevelie dans la neige maculée de sang, une énorme masse sombre gisait, terrassée par la mort. La glace en pétrifiait le pelage hirsute, et le vague remugle de corruption qui s’en dégageait rappelait un parfum de femme. Bran entrevit les orbites aveugles où des asticots grouillaient, les babines crispées sur des crocs jaunis, mais ce qui le laissa pantois, c’est que la bête était plus grosse que son poney, et deux fois plus grande que le plus colossal des limiers qu’entretenait son père.

« Pas une farce, rectifia Jon, impavide. Un loup-garou. C’est plus gros que les autres, adulte.

— Mais ça fait deux cents ans, protesta Greyjoy, qu’on n’en a pas repéré au sud du Mur…

— Hé bien, voilà qui est fait. »

La contemplation du monstre médusait tellement Bran qu’il ne parvint à s’en arracher qu’en apercevant ce que portait Robb. Avec un cri de ravissement, il se rapprocha. Gros comme une balle de fourrure gris-noir, le chiot avait encore les yeux clos et, à l’aveuglette, tout en émettant un pleurnichement désolé, fourrageait contre la poitrine qui le berçait sans lui offrir à téter que du cuir.

Sans trop oser, Bran avança la main. « Vas-y, l’encouragea Robb, tu peux. »

Bran aventurait une brève caresse fébrile quand la voix de Jon : « Tiens, maintenant… », le fît en sursaut se retourner, « il y en a cinq ». Ses bras se refermèrent sur un autre chiot et, s’asseyant à même la neige, il enfouit son visage dans la douce fourrure tiède.

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