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Philip Dick: Le maître du Haut Château

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Philip Dick Le maître du Haut Château

Le maître du Haut Château: краткое содержание, описание и аннотация

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C’est en 1947 qu’avait eu lieu la capitulation des Alliés devant les forces de l’Axe. Cependant que Hitler avait imposé la tyrannie nazie à l’est des États-Unis, l’ouest avait été attribué aux Japonais. Aujourd’hui, quelques années plus tard, la vie avait repris son cours normal dans la zone occupée par les Nippons. Ceux-ci se mon­traient des maîtres fermes mais corrects. Ils avaient apporté avec eux l’usage du Yi-king, le livre des transformations, le célèbre ora­cle chinois dont l’origine se perd dans la nuit des temps. Sa consul­tation permettait de régler toutes les affaires, qu’elles soient com­merciales, politiques ou même sen­timentales. Pourtant, dans cette nouvelle civili­sation, une rumeur étrange cir­culait. Un homme vivant dans un Haut Château, un écrivain de science-fiction, avait écrit un ou­vrage qui racontait la victoire des Alliés en 1945…

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Il se tut, parce qu’il avait remarqué que le cuisinier devenait écarlate. Il se mit à boire son café.

— Joe, tu es snob, lui dit le chauffeur plus âgé.

— Vous pourriez habiter Denver, dit Juliana. C’est plus gentil qu’ici.

Je vous connais, vous autres Américains de la Côte Est, se disait-elle. Vous aimez la grande vie. Vous échafaudez des projets grandioses. Les Montagnes Rocheuses, pour eux, c’est la cambrousse. Rien ne s’y est passé depuis avant la guerre. Des vieux à la retraite, des agriculteurs, tous les gens stupides, obtus, pauvres… Et tous les gars malins sont partis vers l’Est, vers New York, en traversant la frontière légalement ou pas. Parce que c’est là que se trouve l’argent, celui que rapporte abondamment l’industrie. L’expansion. Les investissements allemands ont fait énormément… il ne leur a pas fallu longtemps pour rétablir la prospérité des États-Unis.

Le cuisinier parlait à présent d’une voix rauque et furieuse.

— Dis donc, mon vieux, je n’aime pas particulièrement les Juifs, mais en 49 j’ai vu des réfugiés israélites fuir les États-Unis, alors tu peux te les garder, tes États-Unis. Si on a énormément reconstruit par là-bas, si l’argent y est facile, c’est parce qu’on a dépouillé les Juifs avant de les chasser de New York à coups de pied dans le cul, avec leur saloperie de loi nazie de Nuremberg. Quand j’étais môme j’habitais Boston ; je n’aimais pas plus que ça les Juifs mais je n’aurais jamais pensé que cette loi raciale nazie serait appliquée aux États-Unis, même après avoir perdu la guerre. Je suis étonné que tu ne te sois pas engagé dans les forces armées des États-Unis, prêt à envahir quelque petite république d’Amérique du Sud pour ouvrir un nouveau front au profit des Allemands et leur permettre de faire reculer les Japonais un peu plus loin…

Les deux chauffeurs de camions s’étaient levés, l’air résolu. Le plus âgé saisit sur le comptoir une bouteille de ketchup et la brandit en la tenant par le goulot. Sans leur tourner le dos, le cuisinier chercha à tâtons derrière lui jusqu’à ce qu’il trouve l’une de ses grandes fourchettes de rôtisseur et il la tint levée au-dessus de sa tête.

— Denver va avoir une des pistes résistant à la chaleur si bien que les fusées de la Lufthansa pourront y atterrir, dit Juliana.

Aucun des trois hommes ne broncha ni n’ouvrit la bouche. Les autres consommateurs restaient assis sans rien dire.

— Il y en a une qui est passée au-dessus de nous ce soir, dit finalement le cuisinier.

— Elle n’allait pas à Denver, dit Juliana. Elle piquait vers la Côte Ouest.

Les deux chauffeurs finirent par se rasseoir.

— J’oublie toujours, marmonna le plus âgé, ils sont un peu jaunes par ici.

— Les Japonais n’ont pas tué de Juifs, pendant la guerre ou après, dit le cuisinier. Les Japonais n’ont pas construit de fours crématoires.

— Eh bien ! c’est dommage, dit simplement le plus âgé des chauffeurs.

Puis il reprit sa tasse de café et se remit à manger.

Jaunes, se disait Juliana. Je crois que c’est en effet vrai. Nous aimons beaucoup les Japonais par ici.

— Où allez-vous passer la nuit ? demanda-t-elle en s’adressant au plus jeune des chauffeurs, Joe.

— Je ne sais pas. Je suis juste descendu du camion pour venir ici. Tout l’État, dans l’ensemble, me déplaît. Peut-être que je dormirai dans le camion.

— Le motel Honey Bee n’est pas trop mal, dit le cuisinier.

— Très bien, dit le jeune chauffeur. J’irai peut-être là, si ça ne leur fait rien que je sois italien.

Il essayait de le cacher, mais il avait un accent prononcé.

En le regardant, Juliana songea : C’est l’idéalisme qui rend tout cela plus pénible. Demander trop à la vie. Changer sans cesse d’endroit, être anxieux et agité. Je suis comme ça. Je n’ai pas pu rester sur la côte Ouest et il est possible que je ne puisse plus me sentir ici, un beau jour. Est-ce que les gens étaient comme ça, dans le passé ? Pourtant, la frontière n’est plus ici : elle est sur les autres planètes.

Nous pourrions signer un engagement, lui et moi, pour l’un de ces vaisseaux spatiaux de colonisation. Mais les Allemands le refuseraient à cause de son teint basané et moi à cause de mes cheveux noirs. Ces espèces de pédés nordiques SS, maigres et pâles, dans leurs châteaux d’entraînement, en Bavière. Ce type, Joe, n’a même pas l’expression de physionomie qui convient. Il devrait avoir cet air froid mais tout de même enthousiaste de celui qui ne croit en rien, tout en professant cependant une sorte de foi aveugle. Oui, c’est ainsi qu’ils sont. Ce ne sont pas des idéalistes, comme Joe et moi ; ce sont des cyniques doués d’une foi absolue. C’est une sorte de déficience cérébrale, comme celle qui résulte d’une lobotomie – cette mutilation que pratiquent les psychiatres allemands et qui est un succédané misérable de la psychothérapie.

Ce qui ne va pas, conclut-elle, c’est le sexe ; au cours des années 30 ils avaient déjà des pratiques infâmes et ça n’a fût que s’aggraver. Hitler a commencé avec sa… au fait, qu’était-elle ? Sa sœur ? Sa tante ? Sa nièce ? Et sa famille souffrait déjà de consanguinité ; son père et sa mère étaient cousins. Ils commettent tous l’inceste, ils reviennent à ce péché originel qui consiste à coucher avec sa mère. C’est pourquoi l’élite pédérastique SS affiche cette angélique bouche en cœur, cette innocence de bébé blond ; elle se gardait pour maman. Ou pour leur camarade.

Qui est maman pour eux ? se demandait-elle. Le chef, Herr Bormann, qui serait en train de mourir ? Ou bien… le Malade. Le vieil Adolf qu’on suppose être quelque part dans un sanatorium, en train de finir ses jours dans un état sénile. Syphilis cérébrale datant de l’époque misérable où il était clochard à Vienne… long manteau noir, linge de corps dégoûtant, asiles de nuit.

De toute évidence, c’était une vengeance ironique de Dieu, sortie tout droit de quelque film muet. Cet homme affreux rongé par une pourriture interne, la peste qui punit traditionnellement la débauche.

Et ce qu’il y avait d’horrible, c’était que l’Empire allemand actuel était issu de ce cerveau. D’abord un parti politique, puis une nation, enfin la moitié du globe. Et les Nazis eux-mêmes l’avaient diagnostiqué, avaient reconnu la chose ; ce guérisseur charlatan qui avait soigné Hitler par les plantes, ce Dr Morelle qui lui avait administré une spécialité pharmaceutique appelée Pilules antigaz du Dr Koester, avait été à l’origine un vénérologue. On le savait dans le monde entier et cependant les bredouillements du Chef étaient toujours sacrés, étaient toujours paroles d’Évangile. Ces points de vue avaient d’ores et déjà infecté une civilisation et, comme des germes pathogènes, les grandes tantes blondes, aveugles, partaient de la Terre pour se rendre dans les autres planètes et y apporter la contamination.

Voilà ce qu’on tirait de l’inceste : folie, cécité, mort.

Brr… Elle en tremblait.

— Charley, dit-elle en s’adressant au cuisinier, est-ce que ma commande va être bientôt prête ?

Elle se sentait abandonnée ; elle se leva et alla s’installer au comptoir à côté de la caisse enregistreuse.

Personne ne la remarqua, sauf le jeune chauffeur italien ; ses yeux sombres restaient fixés sur elle. Il s’appelait Joe. Joe qui ? Elle se le demandait.

En se trouvant plus près de lui, elle vit qu’il n’était pas aussi jeune qu’elle l’aurait cru. Difficile à dire ; il émanait de lui une énergie qui rendait cette appréciation difficile. Il se passait continuellement la main dans les cheveux, il les peignait de ses doigts raides et recourbés. Cet homme a quelque chose de particulier, se disait-elle. Il respire… la mort. Cela la retournait, mais l’attirait en même temps. Maintenant, le chauffeur plus âgé penchait la tête vers lui et lui parlait à l’oreille. Ils l’examinèrent tous les deux, cette fois d’une façon qui ne traduisait pas uniquement l’intérêt ordinaire du mâle.

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