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Philip Dick: Le maître du Haut Château

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Philip Dick Le maître du Haut Château

Le maître du Haut Château: краткое содержание, описание и аннотация

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C’est en 1947 qu’avait eu lieu la capitulation des Alliés devant les forces de l’Axe. Cependant que Hitler avait imposé la tyrannie nazie à l’est des États-Unis, l’ouest avait été attribué aux Japonais. Aujourd’hui, quelques années plus tard, la vie avait repris son cours normal dans la zone occupée par les Nippons. Ceux-ci se mon­traient des maîtres fermes mais corrects. Ils avaient apporté avec eux l’usage du Yi-king, le livre des transformations, le célèbre ora­cle chinois dont l’origine se perd dans la nuit des temps. Sa consul­tation permettait de régler toutes les affaires, qu’elles soient com­merciales, politiques ou même sen­timentales. Pourtant, dans cette nouvelle civili­sation, une rumeur étrange cir­culait. Un homme vivant dans un Haut Château, un écrivain de science-fiction, avait écrit un ou­vrage qui racontait la victoire des Alliés en 1945…

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Philip K. Dick

Le maître du Haut Château

À ma femme, Anne, sans le silence de laquelle ce livre n’aurait jamais été écrit.

La version du Yi King ou Le Livre des Transformations utilisée et citée dans ce roman est celle de Richard Wilhelm transcrite en français par Etienne Perrot – Éditions Médicis, Paris, 1968.

1

Depuis une semaine, Mr R. Childan guettait avec anxiété l’arrivée du courrier. Mais la précieuse expédition en provenance des États des Montagnes Rocheuses n’était toujours pas là. En ouvrant son magasin, ce vendredi matin, il ne vit sur le sol que quelques lettres tombées par la fente et il pensa : « Il y a un client qui ne va pas être content ! » Au distributeur mural à cinq cents, il se versa une tasse de thé instantané, prit un balai et se mit à faire le ménage. La devanture de l’American Artistic Handcrafts Inc. fut bientôt prête à recevoir les clients ; tout était reluisant de propreté, la caisse enregistreuse avait son tiroir plein de monnaie, il y avait dans un vase un bouquet de soucis fraîchement cueillis, la radio diffusait une musique de fond. Dehors, sur le trottoir, des hommes d’affaires se hâtaient vers leurs bureaux de Montgomery Street. Au loin, un tramway passait ; Childan s’interrompit un instant dans son travail pour le regarder avec satisfaction. Des femmes, dans leurs longues robes de soie aux couleurs vives… Il y eut une sonnerie de téléphone. Il se retourna pour aller répondre.

— Allô, dit une voix familière. (Il défaillit.) Ici, Mr Tagomi. Est-ce que mon affiche des services de recrutement de la guerre de Sécession est arrivée, monsieur ? Rappelez-vous, je vous en prie ; vous me l’aviez promise pour le courant de la semaine dernière. (La voix était sèche, impérative, à peine polie, à peine dans le code.) Ne vous ai-je pas donné des arrhes, Mr Childan, en précisant bien cette condition ? C’est pour faire un cadeau, voyez-vous. Je vous l’ai expliqué. Il s’agit d’un client.

— Des recherches approfondies, commença Childan, que j’ai fait faire à mes frais, Mr Tagomi, au sujet du paquet promis qui, vous vous en rendez compte, provient d’une autre région et qui est par conséquent…

— Ainsi, il n’est pas arrivé, dit Tagomi, en l’interrompant.

— Non, Mr Tagomi. Non, monsieur.

Un silence glacial.

— Je ne peux attendre plus longtemps, dit Tagomi.

— Non, monsieur.

Childan contemplait d’un air morose, à travers la vitrine, à la lumière d’une belle journée d’été, les immeubles administratifs de San Francisco.

— Quelque chose pour remplacer alors. Que recommandez-vous, Mr Childan ?

Tagomi avait délibérément accentué la dernière syllabe ; selon le code, c’était une insulte, et le rouge vint au visage de Childan. Il perdait pied, leur situation lui causait une terrible mortification. Les aspirations, les terreurs, les tourments de Robert Childan surgirent devant lui, vinrent le submerger, lui paralyser la langue. La main crispée sur le téléphone, il se mit à bégayer. On sentait flotter l’odeur acre des soucis ; la musique se faisait toujours entendre, mais il avait l’impression de sombrer dans une mer lointaine.

— Eh bien, parvint-il à marmonner. Une baratte. Une sorbetière datant environ de 1900.

Son esprit se refusait à penser. Juste au moment où l’on oublie, juste au moment où l’on se fait des illusions. Il avait trente-huit ans, il se rappelait la période d’avant la guerre, une autre époque. Franklin D. Roosevelt et la Foire internationale ; le monde d’avant, meilleur.

— Puis-je vous apporter différents échantillons très précieux à votre bureau ? marmonna-t-il.

Rendez-vous fut pris pour 2 heures. Il faut fermer, se dit-il en raccrochant. Pas le choix. Il faut conserver les bonnes grâces de ce genre de clients ; on dépend d’eux si l’on veut faire des affaires.

Il était là, toujours tremblant, quand il s’aperçut que des gens – un couple – étaient entrés dans le magasin. Un jeune homme et une jeune femme, beaux l’un et l’autre, bien habillés. Charmants à voir. Il se calma et il s’avança vers eux en arborant le sourire commercial. Ils étaient penchés, examinant les objets exposés ; leur choix s’était porté sur un ravissant cendrier. Des gens mariés, se dit-il. Ils doivent habiter en dehors de la Ville des Brumes, dans l’un de ces nouveaux immeubles avec vue sur Belmont.

— Bonjour, dit-il – et il se sentit mieux.

Ils lui sourirent avec affabilité, sans l’ombre d’un air de supériorité. Les objets qu’il présentait – qui étaient vraiment dans le genre les plus beaux qu’on pût trouver sur la Côte – avaient provoqué en eux une admiration un peu craintive ; il le remarqua et leur en fut reconnaissant. Ils comprenaient.

— Ce sont réellement de très beaux objets, dit le jeune homme.

Childan s’inclina.

Leur regard chaleureux était dû à une sorte de sympathie, de solidarité humaine, mais aussi au fait qu’ils appréciaient avec lui la beauté des objets d’art exposés. Ils avaient les mêmes goûts, ils ressentaient les mêmes joies. Les deux jeunes gens gardaient les yeux fixés sur Childan. Ils semblaient le remercier de leur montrer ces merveilles, de leur permettre de les prendre en main, de les examiner, de les toucher, même sans rien acheter. Oui, se disait-il, ils savent très bien dans quel genre de magasin ils se trouvent ; ce qu’il y a ici, ce n’est pas de la camelote pour touristes, de ces plaques de séquoia portant l’inscription : Muir Woods, comté de Marin, E.A.P., des enseignes amusantes, des bagues pour jeunes filles, des cartes postales représentant le Pont. Les yeux de la jeune femme étaient particulièrement grands et sombres. « Comme il me serait facile, se disait Childan, de tomber amoureux d’une fille comme celle-ci. Ma vie serait tragique, alors ; comme si cela n’allait pas déjà assez mal. » Les cheveux noirs coiffés avec élégance, les ongles laqués, les oreilles percées pour porter les longues boucles d’oreilles de cuivre, faites à la main.

— Vos boucles d’oreilles, dit-il à mi-voix, achetées ici, peut-être ?

— Non, répondit-elle, dans mon pays.

Childan acquiesça. Ce n’était pas de l’art américain contemporain ; dans un magasin comme celui-ci, seul le passé pouvait être représenté.

— Vous êtes ici pour longtemps, dans notre ville de San Francisco ? demanda Childan.

— Je suis fixé ici définitivement, répondit l’homme. Avec la commission d’enquête sur le niveau de vie dans les régions sinistrées !

Son visage exprimait la fierté. Rien de militaire. Rien de ces scribouillards malappris, mâcheurs de gomme, avec leur gueule de paysans avides qui déambulaient dans Market Street, qui bâillaient d’admiration devant les spectacles aguicheurs, les films pornos ; qui fréquentaient les stands de tir, les boîtes de nuit à bon marché affichant des photos de blondes mûrissantes qui lancent des œillades en laissant apparaître le bout de leurs seins entre des doigts ridés… les bouges à jazz et attractions minables qui constituaient l’essentiel des bas quartiers de San Francisco, des cambuses branlantes et des baraques en planches qui, la dernière bombe à peine tombée, avaient surgi des ruines. Non, cet homme faisait partie de l’élite. Cultivé, instruit, encore plus que Mr Tagomi, qui était après tout un haut fonctionnaire avec le grade d’attaché commercial pour la côte du Pacifique. Tagomi était un vieil homme. Il avait acquis ses façons au temps du cabinet de Guerre.

— Cherchiez-vous des objets traditionnels américains pour faire un cadeau ? demanda Childan. Ou bien pour décorer un nouvel appartement que vous allez habiter ici ?

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