— Nom de Dieu ! Si j’avais pu – (Plaisir. Plaisir . PLAISIR.) J’ai combien de fonctions ?
Trouvez par vous-même.
Il y a un mécanisme de contrôle dans le collier dont vous pouvez vous servir, n’est-ce pas ?
Qu’est-ce que vous croyez ?
Aiken eut un sourire rusé.
— C’est mieux que le gris, mais moins bien que l’or. Mais je vais vous dire : j’accepte ! (Il plia soigneusement son poncho et le remit dans sa poche dorsale.) Et maintenant, Chef, que se passe-t-il ?
— Nous allons vous laisser attendre un moment dans une confortable salle de réception. Plus agréable. Et dans quelques heures, vous partirez pour notre capitale, Muriah. Ne redoutez rien. La vie, ici, dans l’Exil, peut être très plaisante.
Pour autant que l’on sache qui est le chef ?
Affirmatif.
Les gardes lui firent franchir une porte. Il se retourna et lança par-dessus l’épaule :
Dites à un de vos larbins de m’apporter quelque chose de raide à boire, Chef, voulez-vous ? Toute cette bagarre m’a donné une soif terrible.
Creyn ne put s’empêcher de rire.
— Ce sera fait.
Les gardes refermèrent la porte sur Aiken et mirent la barre en place.
Anna-Maria entendit les échos du combat dans le couloir et appuya l’oreille contre la lourde porte pour avoir confirmation de ses soupçons. Ce devait être Stein ou Felice. Le choc de la translation les avait-il rendus fous ? Ou bien avaient-ils une bonne raison de se déchaîner ainsi ?
Elle ouvrit précipitamment son sac-à-dos et fouilla dans l’Unité de Petite Exploitation à la recherche de la petite enveloppe de pall qui contenait la scie souple. Puis elle approcha l’un des bancs de la fenêtre, noua ses jupes sous sa ceinture et se dressa.
Elle coupa les barreaux supérieurs sur la moitié de leur longueur. Puis ceux du bas.
Et maintenant, se dit-elle, tu bascules le tout vers l’extérieur. Comment ? Avec cet autre banc que tu vas casser ! D’accord, tu pourrais aussi défaire le tapis et confectionner une corde avec la laine – mais attends ! Tu peux aussi te servir des sections de pont décamole. Deux pour l’échelle et une troisième pour franchir cette cour où il y a ces maudis chiens-ours —
— Eh, Ma Sœur ! Qu’est-ce que vous faites ?
Elle se retourna brusquement, les deux index toujours pris dans les anneaux de la scie souple. Tully se tenait sur le seuil, en compagnie d’un énorme gardien. Sa tunique était souillée de taches sombres.
— Je vous en prie, descendez, Ma Sœur. Quelle affreuse idée ! Tellement irréfléchie et inutile ! Croyez-moi : vous ne courez aucun danger.
Anna-Maria le regarda droit dans les yeux, puis descendit enfin, résignée. Le gros gardien tendit la main vers la scie. Elle la lui donna sans un mot de commentaire. Il la glissa dans l’une des poches de son sac et dit :
— Je vais vous porter ça, Ma Sœur.
— Nous allons être dans l’obligation d’écourter notre programme d’entrevues à cause d’un regrettable incident, dit Tully. Si vous voulez bien nous suivre, Shubash et moi…
— J’ai entendu des bruits de lutte. Qui a été blessé ? Etait-ce Felice ? (Elle s’avança dans le couloir.) Dieu miséricordieux !
Les gardes avaient enlevé les morts et les blessés et on nettoyait déjà les murs et le sol à grands baquets d’eau, mais les traces du combat étaient encore hideusement visibles.
— Qu’avez-vous fait ? cria Anna-Maria.
— Ce sang est celui de nos hommes, dit Tully d’un air sombre. C’est votre compagnon, Stein, qui l’a répandu. Quant à lui, il n’a rien, si ce n’est quelques contusions. Mais cinq de nos hommes sont morts et sept autres sérieusement blessés.
— Seigneur ! Qu’est-il donc arrivé ?
— Je suis navré de dire que Stein est devenu dément. Fou furieux. Sans doute une réaction tardive à la translation temporelle. Il arrive que le passage dans la Porte du Temps déclenche l’explosion de tensions psychiques profondes. Nous essayons d’assurer notre protection et celle des voyageurs en confinant les nouveaux arrivants dans ces salles de réception durant une certaine période, ce qui explique que votre porte soit verrouillée.
— Je suis désolée pour vos hommes, dit-elle avec un regret sincère. Stein est… bizarre. Mais ce n’est pas un mauvais homme quand on a appris à le connaître. Que va-t-il lui arriver, à présent ?
Tully toucha son collier gris.
— Nous sommes les gardiens de la Porte ; nous avons notre devoir et il est parfois bien lourd à assumer. Votre ami a subi un traitement qui devrait empêcher une autre attaque. Il ne sera pas plus puni qu’un homme malade n’est puni de sa maladie… Et maintenant, Ma Sœur, nous devons nous hâter et passer à la deuxième phase de nos entrevues. Dame Epone a besoin de votre assistance.
Ils gagnèrent l’extrémité du couloir souillé, puis descendirent un petit escalier qui accédait à une salle située de l’autre côté de la barbacane. Felice Landry s’y trouvait seule, assise dans une chaise ordinaire près d’une table sur laquelle était placée une curieuse sculpture de métal tout incrustée de gemmes. Les deux hommes laissèrent Anna-Maria et se retirèrent en refermant la porte.
— Felice ! Stein a —
— Je sais, dit Felice dans un murmure.
Elle leva un doigt ganté jusqu’à ses lèvres, puis resta silencieuse, son casque à plumes d’émeraude posé sur ses genoux. Les cheveux rejetés en arrière, avec ses yeux immenses grands ouverts, elle faisait songer à une enfant fragile et jolie attendant de monter sur scène pour quelque sinistre comédie.
La porte s’ouvrit et Epone se glissa à l’intérieur. Stupéfaite, Anna-Maria leva les yeux sur cette haute silhouette et demanda :
— Une autre race intelligente ? Ici ?
Epone inclina majestueusement la tête.
— Je vous expliquerai bientôt, Ma Sœur. Tout vous apparaîtra clairement le moment venu. Pour l’heure, j’ai besoin de votre aide afin de gagner la confiance de votre jeune compagne pour un simple test de capacités mentales.
Elle prit une couronne argentée et s’approcha de Felice.
— Non ! Non ! Je vous l’ai déjà dit ! cria la fille. Et si vous essayez de m’y contraindre, vous n’obtiendrez rien ! Je connais toutes ces saletés. Je ne le permettrai pas. Et si vous essayez de m’y contraindre, vous n’enregistrerez rien. Je connais tous ces machins psychiques !
Epone fit signe à Anna-Maria.
— Ses craintes sont irrationnelles. Tous les nouveaux arrivants acceptent de se soumettre à ce test afin de mesurer leurs métafonctions latentes. Si nous constatons que vous possédez de telles fonctions, nous sommes en mesure de les rendre pleinement opérantes grâce à la technologie que nous possédons, afin que toute la communauté puisse en bénéficier.
— Vous voulez me sonder ! cracha Felice.
— Certainement pas. Ce n’est qu’un simple test de calibrage.
— Peut-être, proposa Anna-Maria, pourriez-vous me soumettre la première à ce test. Je suis tout à fait certaine que mes capacités métas latentes sont minimes. Mais cela rassurerait probablement Felice.
— Excellente idée, fit Epone avec un sourire.
Anna-Maria prit Felice par la main et l’aida à se lever. Sous le cuir du gant, elle sentit trembler les doigts de la jeune athlète, mais l’émotion qu’elle lisait dans ses yeux était bien autre chose que de la peur.
— Reste ici, Felice. Tu peux regarder et si, ensuite, cette idée de subir le test te déplaît encore, je suis sûre que cette dame respectera tes convictions personnelles. (Elle se tourna vers Epone.) N’est-ce pas ?
— Je vous assure que je ne vous veux aucun mal, dit la Tanu. Et, comme l’a dit Felice, les résultats de ce test ne signifient rien si le sujet ne coopère pas. Veuillez vous asseoir, Ma Sœur.
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