Nous avons de la chance. Bienvenue. De tous les Tanu.
— Jamais aucun méta n’a franchi la Porte ?
— Un groupe de près d’une centaine est arrivé brusquement il y a de cela vingt-sept ans. Je suis désolé de devoir vous dire qu’ils se sont montrés incapables de s’adapter à nos conditions locales.
Attentiontention. Barrage. Barrage.
Elizabeth hocha la tête.
— C’étaient sans doute des rebelles, des fugitifs. C’était une période tragique pour le Milieu Galactique… Et tous sont donc morts ? Et je suis la seule Opérante dans l’Exil ?
Peut-être pas pour longtemps.
Elle prit appui sur la table, se leva et marcha jusqu’à Creyn. Son expression affable changea.
— Il n’est pas dans nos coutumes de pénétrer avec une telle désinvolture dans l’espace d’autrui. Je vous demanderai courtoisement de reculer.
Regret poli.
— Je désirais simplement examiner votre collier d’or. Voudriez-vous l’ôter ? C’est une pièce remarquable.
Horreur !
— Je suis désolé, Elizabeth. Le torque d’or a valeur de symbole religieux parmi nous. Nous le portons durant toute notre existence.
— Je crois que je comprends.
Elle commença à sourire.
SONDE.
Elle rit.
A présent, Creyn, c’est à vous de vous excuser !
Gêne et dépit.
Je regrette, Elizabeth. Vous finirez par vous habituer.
Elle se détourna et demanda :
— Que va-t-on faire de moi ?
— Vous allez vous rendre dans notre capitale, la riche cité de Muriah, dans la Plaine d’Argent Blanc. C’est au sud du Pays Multicolore. Les Tanu vont vous faire un merveilleux accueil, Elizabeth.
Elle pivota pour affronter son regard.
— Et ceux que vous dominez. M’accueilleront-ils de même ?
Méfiance.
— Ils vous aimeront autant que nous vous aimons. Essayez d’éviter de nous juger avant d’en savoir plus sur nous. Je sais que certains aspects de votre situation présente continuent de vous troubler. Mais montrez-vous patiente. Vous ne courez aucun danger.
— Qu’est-il arrivé à mes amis ? Ceux qui ont passé la Porte du Temps avec moi ?
— Certains d’entre eux iront aussi dans notre capitale. D’autres ont d’ores et déjà déclaré qu’ils avaient un autre choix. Nous leur trouverons à chacun un endroit où vivre heureux.
Heureux et dominés ? Sans liberté ?
— Nous gouvernons, Elizabeth. Mais avec jugement. Vous verrez. Ne nous condamnez pas avant d’avoir vu ce que nous avons fait de ce monde. Il n’était rien, et nous l’avons transformé en quelque chose de merveilleux, pour ne prendre que cette petite région.
C’était trop pour elle… La douleur fusa de nouveau dans sa tête et le vertige revint. Elle se laissa aller dans les coussins disposés sur une banquette.
— D’où… d’où venez-vous ? Je connais toutes les races intelligentes qui peuplent le Milieu, coadnées ou non. A six millions d’années de là. Aucune ne vous ressemble, à l’exception des humains. Et je suis certaine que nous ne sommes pas de la même souche. Votre schéma mental est différent.
Similarités et différences se retrouvent en nombre incalculable dans d’autres tourbillons d’étoiles, jusqu’aux limites les plus lointaines.
— Je comprends. Nul dans l’avenir n’a encore mis au point le voyage intergalactique. Nous n’avons pas réussi à vaincre la barrière de souffrance inhérente à la translation. Et elle s’accroît géométriquement avec la distance. Apaisant.
— Très intéressant. Si seulement il était possible de transmettre une telle information par la Porte.
— Nous discuterons de cela plus tard, Elizabeth. Dans la capitale. A Muriah, d’autres mystères deviendront clairs pour vous.
Distraction. Il porta les doigts à son collier et, aussitôt, on frappa à la porte. Un petit homme aux gestes nerveux, vêtu de bleu, entra et salua Creyn en posant les doigts sur son front. Le Tanu lui répondit de même, avec hauteur.
— Elizabeth, voici Tully, l’un de nos fidèles membres du comité d’accueil. Il s’est entretenu avec vos compagnons, il a discuté avec eux de leurs projets d’avenir et a répondu à leurs questions.
— Se sont-ils tous remis du passage ? demanda-t-elle. J’aimerais les voir à présent. Leur parler.
— Au moment opportun, Ma Dame, dit Tully. Tous vos amis sont en sécurité et entre de bonnes mains. Vous ne devez vous faire aucun souci. Certains vont se rendre dans le sud et d’autres partiront pour le nord, pour une autre cité. Ils ont la certitude que, là-bas, leurs talents, seront mieux appréciés. Vous serez certainement intéressée d’apprendre que les caravanes partiront d’ici dès ce soir.
— Oui, je comprends, dit-elle.
Mais comprenait-elle vraiment ? Ses pensées étaient redevenues confuses. Elle lança une interrogation vers l’esprit de Creyn, qu’il para aussitôt.
Ayez confiance en moi, Elizabeth. Tout se passera bien.
Elle se tourna vers l’homme du comité d’accueil.
— Je voudrais être certaine de pouvoir dire au revoir à ceux de mes amis qui vont partir vers le nord.
— Certainement, Ma Dame. Ce sera fait.
Tully porta la main à son collier et Elizabeth l’examina attentivement. Il semblait identique à celui que portait Creyn, si ce n’est que le métal était plus sombre.
Creyn. Je veux interroger celui-ci.
Dédain. Il est sous protection. Un sondage prématuré le blesserait. Peut-être pour toujours. Le voulez-vous vraiment ? Il n’a que peu d’informations. Mais faites comme vous le désirez.
— Tully, dit-elle, merci de m’avoir parlé de mes amis.
Il prit une expression soulagée.
— Puis-je me rendre auprès de la personne suivante, en ce cas ? Je pense que le Seigneur Creyn a déjà répondu à toutes vos questions d’ordre… hum… général.
— Pas vraiment. (Elle prit la cruche et emplit un gobelet.) Mais je compte bien qu’il le fera, en temps voulu.
A peine l’homme en bleu eut-il quitté la pièce qu’Aiken Drum se précipitait à la porte, découvrait qu’elle était verrouillé et décidait de faire le nécessaire pour l’ouvrir.
Il introduisit dans la fente du loquet une longue aiguille qu’il avait prise dans sa trousse de maroquinerie et explora l’intérieur jusqu’à découvrir un linguet caché qui bloquait la barrette-verrou. Il ouvrit avec précaution et découvrit le mécanisme qui, de l’autre côté du battant, commandait le verrouillage. Il le coinça avec un fragment de dalle. Il referma alors et s’avança dans le couloir, entre d’autres portes closes qui, supposa-t-il, devaient accéder à des pièces où étaient enfermés ses compagnons du Groupe Vert. Le moment n’était pas encore venu de les libérer. Pas avant qu’il ait pu évaluer la situation et vu de quelle façon il pouvait en tirer avantage. Il se passait quelque chose de bizarre et très important dans ce monde du Pliocène. En tout cas, il était d’ores et déjà évident que les plans élémentaires de Stein et de Richard ne viendraient pas à bout des ploucs du coin…
…Attention !
Il plongea dans le renfoncement d’une des grandes baies qui donnaient sur la cour intérieure du château. Otant son poncho de caméléon, il se blottit dans l’ombre et s’efforça de se fondre contre les dalles de pierre.
Quatre gardes musclés, sous la conduite d’un homme en bleu, passèrent en courant, sans regarder dans sa direction. Il comprit très vite pourquoi.
Un grondement rageur se fit entendre dans le lointain en même temps que l’écho assourdi d’un fracas. On frappait à grands coups contre l’une des portes donnant sur le couloir. Aiken risqua un œil hors de son alcôve juste à temps pour voir les serviteurs du château qui battaient en retraite précipitamment, devant la première porte, en haut de l’escalier. De l’endroit où il se tenait, à plus de dix mètres de là, Aiken pouvait distinguer le panneau de chêne épais qui commençait à céder sous les coups répétés.
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