— Merci de m’avoir sauvé la vie. Que s’est-il passé ensuite ? Je croyais que c’était fini, je me souviens de ça. J’avais tous les symptômes de la pneumonie. On dirait que vous vous trompiez en disant que vos remèdes étaient inutiles.
Rhes et Naxa, qui était là aussi, hochèrent la tête tristement en signe de dénégation.
— Qu’y a-t-il ? demanda Jason en ressentant un sentiment de gêne. Si vos remèdes n’ont pas été efficaces – mon médikit étant vide – que s’est-il passé ?
— Vous étiez en train de mourir, dit Rhes lentement. Nous ne pouvions pas vous soigner. Seul un médikit pouvait vous sauver. Nous avons pris celui du conducteur du camion.
— Comment ? Il ne vous l’aurait certainement pas donné, c’était interdit. À moins que…
Rhes approuva de la tête et termina la phrase.
— Il est mort. Je l’ai tué moi-même avec un très grand plaisir.
Cela fut un coup dur pour Jason. Il se laissa retomber contre les oreillers et pensa à tous ceux qui étaient morts depuis son arrivée sur Pyrrus. Cela s’arrêterait-il avec la mort de Krannon – ou les gens de la ville allaient-ils essayer de venger ce cadavre ?
— Vous rendez-vous compte de ce que cela signifie ? La mort de Krannon va lancer toute la cité contre vous. Vous n’aurez plus d’approvisionnements. Ils vous attaqueront dès qu’ils le pourront, ils tueront votre peuple…
— Bien sûr, nous savons cela ! (Rhes se pencha en avant, la voix rauque.) Cette décision n’a pas été facile à prendre. Mais vous êtes notre seul et dernier lien avec les autres planètes, notre unique espoir d’entrer en contact avec elles.
Il s’arrêta de parler, puis, lisant une interrogation muette sur le visage de Jason, reprit :
— La cité subissait une attaque et nous avons vu s’effondrer une partie de leurs murs. En même temps, le vaisseau survolait l’océan, lâchant des bombes – l’éclair nous a été signalé. Le vaisseau est reparti et vous l’avez quitté à bord d’un petit engin.
Ils vous ont tiré dessus mais ne vous ont pas tué. L’engin n’est pas détruit non plus, nous sommes en train de le récupérer. Quelle était la signification de tout cela ? Nous savions que c’était d’une importance vitale. Vous alliez mourir avant de pouvoir parler. Nous ne pouvions pas vous laisser partir, même si cela signifiait une guerre totale contre la cité.
» Dites-nous maintenant : qu’est-ce que tout cela signifie ? Quel est votre projet ?
Les Pyrrusiens se penchèrent en avant, attendant ses paroles. Jason ferma les yeux afin de ne pas voir leurs visages. Le remords l’envahissait. Que pouvait-il leur dire ? Il ne connaissait toujours aucun moyen de mettre fin à cette guerre planétaire. Il avait tous les éléments, mais il fallait encore les mettre en ordre. S’il n’eût pas été aussi fatigué, il aurait trouvé la solution qu’il sentait toute proche, cachée dans un coin de son esprit.
Il fut le seul à entendre le bruit soudain d’une lourde galopade et les cris étouffés d’un homme. Les autres étaient suspendus à ses lèvres. Le bruit de la porte ouverte à la volée déchira le silence de la pièce. Un homme trapu apparut dans l’encadrement de la porte, le visage rouge de colère.
— Vous êtes tous sourds ? Râla-t-il. Je chevauche toute la nuit, je m’épuise à crier et vous restez assis là comme des oiseaux en train de pondre. Sauvez-vous ! Tremblement de terre ! Un grand tremblement de terre arrive !
Ils étaient tous debout maintenant, posant des questions. La voix de Rhes domina.
— Il nous reste combien de temps ?
— Du temps ? Qu’en savons-nous ? Sortez ou vous êtes morts, c’est tout ce que je sais.
Plus personne ne discuta. En moins d’une minute, Jason se retrouva sur le dos d’un dorym.
— Que se passe-t-il ? demanda-t-il à l’homme qui fixait sa civière.
— Un séisme se prépare, répondit-il en s’activant. Hananas sait toujours lorsqu’un tremblement de terre doit se produire. Nous nous enfuyons dès qu’il nous prévient. Il sent toujours ces choses-là à l’avance.
La nuit tomba lorsqu’ils se mirent en route, et un grondement sourd secoua le sol sous leurs pieds, encore lointain. Les doryms adoptèrent une sorte de galop sans y être invités. Lorsque le ciel explosa quelque temps plus tard vers le sud, Jason devina pourquoi. Des flammes illuminèrent la scène et de gros morceaux de rocher firent jaillir de la vapeur en retombant dans les marais.
Une grande forme sombre se faufila le long de leur caravane et lorsqu’ils traversèrent une clairière, Jason regarda attentivement.
— Rhes…, dit-il d’une voix étranglée, en pointant un doigt.
Rhes regarda la grosse bête au corps velu et aux cornes tordues, puis détourna son regard. Il ne semblait pas effrayé.
Jason regarda autour de lui et comprit. Aucun des animaux en fuite ne faisait de bruit mais, de part et d’autre de leur colonne, des formes couraient parmi les arbres. Des volatiles géants les survolaient. Toutes les autres batailles étaient oubliées sous la grande menace du volcan. La vie respectait la vie. De petits animaux s’accrochaient de temps en temps sur le dos des plus gros afin de se reposer avant de sauter de nouveau à terre.
Secoué sans pitié dans sa litière, Jason s’assoupit. Mais, les yeux ouverts ou fermés, il voyait toujours la même cavalcade sans fin d’animaux sauvages.
Tout cela devait avoir une signification et il luttait pour la découvrir. Soudain il se releva sur sa couche, pleinement éveillé et le regard lucide.
— Qu’y a-t-il ? demanda Rhes en s’approchant de son dorym.
— Continuons, répondit Jason. Mettons-nous à l’abri. Je sais comment votre peuple peut obtenir ce qu’il veut et comment mettre un terme à cette guerre. Il y a un moyen et je le connais maintenant.
Il ne conserva que peu de souvenirs cohérents du trajet. À l’aube ils avaient laissé la zone dangereuse derrière eux et la fuite était devenue une marche. Les animaux avaient disparu, chacun reprenait sa route, mais respectant toujours le silencieux armistice.
Mais la trêve tacite devant le danger commun était terminée : ils durent tuer un chien sauvage qui les attaqua brusquement lorsqu’ils s’approchèrent du tronc couché derrière lequel il se reposait. En essuyant soigneusement son couteau sur la fourrure de l’animal, Rhes expliqua calmement.
— Généralement, ils ne nous ennuient pas, mais celui-ci était excité. Il avait probablement perdu sa bande dans le tremblement de terre.
Ses réactions étaient à l’opposé de celles des citadins. Il n’avait pas cherché la lutte et au lieu de se vanter de sa victoire, il semblait troublé par cette mort inutile.
Jason savait maintenant comment la guerre avait commencé sur cette planète mortelle et il savait comment y mettre un terme. Il ne restait plus qu’une chose à faire.
Rhes le regarda et il sut qu’ils partageaient les mêmes pensées.
— Expliquez-vous, dit Rhes. Que vouliez-vous dire en affirmant que nous pouvions réduire l’ennemi et recouvrer notre liberté ?
— Réunissez les autres et je vais vous le dire, répondit Jason. Je veux voir spécialement Naxa et tous les parleurs qui sont ici.
Ils se rassemblèrent rapidement, sachant tous que le conducteur de camion avait été tué pour sauver cet étranger qui portait tous leurs espoirs de salut.
— Nous voulons tous mettre fin à la guerre qui se déroule sur Pyrrus, commença Jason, et un moyen existe. Mais il coûtera des vies humaines. Je pense toutefois que le prix est acceptable, car le succès vous apportera tout ce que vous avez toujours désiré. Nous allons envahir la cité, forcer le périmètre. Je sais comment y arriver…
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