Harry Harrison - Le monde de la mort

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Joueur professionnel, Jason dinAlt ne se sent vivre que dans le défi. Alors, quand on lui offre de gagner aux dés trois mille millions d'unités galactiques, il ne résiste pas. Qu'im-porte si la partie achevée — qu'elle soit gagnée ou perdue — sa vie doit être en danger...
Il gagne et relève aussitôt un nou-veau défi : affronter la planète Pyrrus, appelée aussi le Monde de la Mort.
Tout sur Pyrrus est hostile à l'hom-me: la plus délicate des fleurs est poison, les cailloux sont meurtriers, chaque insecte est mortel. Et dès l'âge de six ans les enfants sont adultes, prêts au combat. Les autres ont été éliminés.
Pour Jason, c'est la plus formidable partie de sa carrière : il joue sa vie contre le sort de toute une planète.

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— Vous voulez manger ? Je parie que oui. J’ai accéléré votre métabolisme afin que vous fassiez du muscle plus rapidement. La seule façon pour que vous surmontiez la pesanteur un jour. Cela vous donne bon appétit pendant un certain temps.

Brucco mangea avec lui et Jason eut l’occasion de lui poser une question :

— Quand aurai-je la chance de visiter votre fascinante planète ? Ce voyage jusqu’ici a été à peu près aussi intéressant que la visite d’une prison.

— Détendez-vous et profitez de la bonne nourriture. Il se passera certainement des mois avant que vous ne puissiez sortir. Si ça arrive un jour.

Jason sentit sa mâchoire tomber et la referma d’un coup sec.

— Auriez-vous l’amabilité de me dire pourquoi ?

— Bien sûr. Vous aurez à suivre les mêmes cours d’entraînement que nos enfants. Cela leur prend six ans. Naturellement, ce sont les six premières années de leur vie. Et vous pourriez penser que vous, un adulte, apprendrez plus vite. Mais ils ont l’avantage de l’hérédité. Tout ce que je peux dire, c’est que vous sortirez de ces bâtiments étanches lorsque vous serez prêt.

Tout en parlant, Brucco avait fini de manger et fixait ses yeux sur les bras nus de Jason avec un dégoût croissant.

— La première chose à faire est de vous trouver un pistolet. Ça me rend malade de voir quelqu’un ainsi démuni.

Évidemment, Brucco portait le sien continuellement, même à l’intérieur des bâtiments étanches.

— Chaque pistolet est adapté à son propriétaire et serait sans utilité sur quelqu’un d’autre, dit Brucco. Je vais vous montrer pourquoi.

Il emmena Jason dans une armurerie bourrée d’armes.

— Mettez votre bras là-dedans pendant que je prends les mesures.

C’était une machine ressemblant à une boîte et comportant une crosse de pistolet sur le côté. Jason serra la crosse et reposa le coude sur un anneau de métal. Brucco fixa les pointes qui vinrent toucher son bras, puis nota les résultats des indicateurs. En lisant les chiffres de sa liste, il choisit divers composants dans les boîtes et assembla rapidement un pistolet dans sa main. Jason remarqua pour la première fois que l’étui et l’arme étaient reliés par un câble flexible. Le pistolet lui tombait parfaitement dans la main.

— Voici le secret de l’étui, dit Brucco en tapotant le câble. Il est parfaitement détendu pendant que vous utilisez l’arme. Mais il se raidit lorsque vous voulez qu’elle retourne dans l’étui.

Brucco effectua un réglage et le câble devint une tige rigide qui enleva le pistolet de la main de Jason et le suspendit en l’air.

— Le retour ensuite. (Le câble bruissa et fit claquer le pistolet dans son étui.) C’est naturellement l’inverse pour le sortir.

— C’est un beau gadget, dit Jason. Mais comment dégaine-t-on réellement ? Il faut que je siffle pour qu’il sorte ?

— Non, ce n’est pas une commande sonique. C’est beaucoup plus précis que cela. Tenez, prenez votre main gauche et serrez une crosse imaginaire de pistolet. Tendez votre doigt pour la détente.

» Vous remarquez la forme de l’ensemble des tendons de votre poignet ? Des dispositifs, sensibles touchent les tendons de votre poignet droit. Ils ignorent toutes les positions sauf celle qui indique que votre main est prête à recevoir le pistolet. Au bout d’un moment, les mécanismes deviennent complètement automatiques. Lorsque vous voulez le pistolet, il est dans votre main. Sinon, il est dans sa gaine.

Jason effectua des mouvements de serrage avec la main droite, recourba l’index. Il ressentit une pression soudaine contre sa main. La moitié de ses doigts lui faisaient mal et de la fumée s’échappait du canon.

— Naturellement, il n’y aura que des balles à blanc dans le pistolet tant que vous n’aurez pas appris à le maîtriser. Les pistolets sont toujours chargés. Il n’y a pas de cran de sûreté. Vous remarquez qu’il n’y a pas de pontet à la détente. Cela vous permet de plier votre index un tout petit peu plus en dégainant et le pistolet fait feu à l’instant où il touche votre main.

C’était sans aucun doute l’arme la plus meurtrière que Jason eût jamais maniée, mais aussi la plus difficile à utiliser. Luttant contre la gravité double qui lui brûlait les muscles, il batailla pour contrôler le dispositif diabolique. Le pistolet avait une façon énervante de disparaître dans la gaine juste au moment où il allait appuyer sur la détente. Pis encore, il avait tendance à lui sauter dans la main avant qu’il ne fût tout à fait prêt. Il allait à l’endroit où sa main aurait dû être. Si les doigts n’étaient pas placés correctement, ils étaient brutalement repoussés. Jason n’arrêta l’entraînement que lorsque sa main fut devenue un hématome livide.

Une maîtrise complète viendrait avec le temps ; mais il pouvait déjà comprendre pourquoi les Pyrrusiens ne se séparaient jamais de leur pistolet. C’eût été s’arracher une partie de leur propre corps. Le déplacement du pistolet de l’étui à la main était trop rapide pour qu’on pût le détecter. Il était certainement plus rapide que le courant neuronique qui mettait la main en position de tir. C’était comme un éclair de foudre au bout des doigts. Pointez un doigt et blamm, c’est l’explosion.

Brucco avait laissé Jason s’entraîner seul. Lorsque sa main douloureuse ne put en supporter davantage, il s’arrêta et retourna dans sa chambre. Au moment de bifurquer dans un couloir, il entr’aperçut une silhouette familière qui s’éloignait de lui.

— Méta ! Attendez-moi une seconde ! Je voudrais vous parler.

Elle se retourna impatiemment pendant qu’il traînait les pieds vers elle, allant aussi vite qu’il le pouvait malgré la pesanteur. Elle était entièrement différente de la jeune fille qu’il avait rencontrée sur le vaisseau. De lourdes bottes lui montaient jusqu’aux genoux, son corps était perdu dans une épaisse combinaison qui semblait faite d’un tissu métallique. La taille fine disparaissait sous une ceinture de boîtes. Même son expression était froide et distante.

— Vous m’avez manqué, dit-il. Je ne savais pas que vous étiez dans ce bâtiment.

Il tendit la main vers elle, mais elle s’en éloigna.

— Que voulez-vous ?

— Ce que je veux ? Répéta-t-il avec une colère mal dissimulée. Je suis Jason, vous vous souvenez ? Nous sommes amis. Il est permis à des amis de bavarder sans « vouloir » quelque chose.

— Ce qui s’est passé dans le vaisseau n’a rien à voir avec ce qui se passe sur Pyrrus. (Elle recommença à marcher impatiemment tout en parlant.) J’ai terminé mon reconditionnement et dois reprendre mon travail. Vous allez rester dans ce bâtiment étanche et je ne vous verrai plus. Restez donc avec les autres enfants. Et n’essayez pas de sortir, nous avons un certain nombre de choses à régler.

Il commit l’erreur d’avancer la main pour l’arrêter. Il ne sut jamais vraiment ce qui se passa ensuite. L’instant d’avant il était debout et il se retrouva étalé sur le sol. Son épaule lui faisait mal, et Méta avait disparu dans le couloir.

Retournant en boitillant dans sa chambre, il grommela des jurons à voix basse. Il se laissa tomber sur son lit dur comme la pierre et essaya de se souvenir des raisons qui l’avaient amené ici. Il pensa à la torture perpétuelle de la double pesanteur, aux rêves angoissés, au mépris automatique de ces gens pour tous ceux qui venaient de l’extérieur. Il décida qu’il s’était suffisamment penché sur son triste sort. Selon les normes de Pyrrus, il était effectivement faible et sans soutien. S’il voulait qu’ils aient une meilleure opinion de lui, il lui faudrait changer beaucoup.

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