Lois Bujold - Opération Cay

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Environ deux cents ans avant la naissance de Miles…
Leo Graf, spécialiste des soudures en milieu spatial, est envoyé par sa compagnie dans une station orbitale pour y enseigner son art aux ingénieurs qui y vivent. Il découvre sur place une réalité déconcertante : ses élèves sont des Quaddies, des êtres dotés de quatre bras. Bien que leur « humanité » ne fasse aucun doute pour qui les côtoie, la compagnie n’entend pas conférer le moindre droit à cette main-d’oeuvre gratuite et servile. Jusqu’au jour où…
Prix Nebula 1988.

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Leo regarda son équipe une dernière fois. Quatre quaddies, vêtus de leur scaphandre et armés d’un laser, étaient adossés aux murs, encadrant la masse. Les instruments de mesure de Leo flottaient autour de lui, reliés par une laisse à sa ceinture, à portée de ses mains gantées. Il modifia légèrement les commandes de son casque pour en assombrir la visière.

— Feu ! dit-il dans son canal com.

Quatre faisceaux laser jaillirent à l’unisson et attaquèrent la masse métallique. Il ne parut rien se passer pendant les premières minutes. Puis la masse se mit à luire. Rouge sombre, puis rouge clair, jaune, blanc… Enfin, une boîte de conserve commença à fondre et à s’amalgamer aux autres. Les quaddies continuèrent à déverser l’énergie.

D’après ses données télémétriques, Leo s’aperçut que la masse se mettait à dériver, bien que ce ne fut pas encore visible.

— Numéro quatre, augmente la pression d’environ dix pour cent, ordonna-t-il.

L’un des quaddies répondit d’un signe de la main et effleura une touche sur sa manette. La dérive cessa. Leo soupira, rassuré. Il avait eu un moment l’horrible vision de la masse fondue s’écrasant contre le mur du fond ou, pire, blessant mortellement l’un des quaddies. Mais les faisceaux qui la liquéfiaient semblaient aussi en mesure d’en contrôler les déplacements.

Le métal ressemblait désormais à une énorme bulle de liquide luminescent en passe de devenir une sphère parfaite. Leo surveillait l’opération, un sourire satisfait aux lèvres.

De nouveau, il vérifia ses données. Ils approchaient à présent de l’instant critique. Quand s’arrêter ? Ils devaient décharger assez d’énergie pour obtenir une fusion uniforme. Pas question d’oublier des grumeaux dans la béchamel… Mais pas trop non plus. Bien que ce fût imperceptible à l’œil nu, Leo savait que la bulle exhalait une vapeur métallique, un paramètre qu’il avait inclus.

Plus important encore, et ce serait l’étape suivante, chaque kilocalorie qu’ils déversaient dans cette masse de titane devrait en être extirpée. Dans un atelier équipé à cette fin, la masse aurait pris sa forme définitive dans un moule de cuivre, avec des tonnes de litres d’eau pour dissiper la chaleur et l’amener à la température souhaitée en un temps record. Enfin… une fois de plus, il avait dû faire appel au bon vieux système D… D pour démentiel et désespéré, bien sûr.

— Cessez le feu ! dit-il.

Leur sphère de métal fondu, blanc bleuté, pleine d’énergie en fusion, était parfaite. Leo vérifia sa position centrale et demanda au numéro deux d’appuyer une demi-seconde de plus sur la détente de son laser. Rien que pour lui imprimer une légère poussée sur la droite.

— Très bien, dit-il dans son canal com. Maintenant, on va sortir du module ce qui n’a rien à y faire, et recontrôler ce qui doit rester. On ne peut pas se permettre de lâcher la cuillère dans la soupe, compris ?

Leo rejoignit les quaddies pour les aider à jeter leur matériel par l’ouverture du module. Deux de ses assistants sortirent, les deux autres restant avec lui. Après que Leo se fut une dernière fois assuré de la bonne position de la sphère, tous trois se sanglèrent contre le mur.

— Prête, Zara ? appela-t-il sur le com.

— Prête, Leo, répondit-elle depuis son pousseur fixé à la poupe du module.

— N’oublie pas… tout en douceur. Mais de la fermeté. Imagine que ton pousseur est un scalpel, et que tu t’apprêtes à opérer un de tes amis.

— D’accord, Leo.

Il entendit le sourire dans sa voix. Ne fanfaronne pas, Zara, ce n’est pas le moment…

— Vas-y quand tu veux.

— J’y vais. Accrochez-vous, les gars !

Il n’y eut tout d’abord aucun changement notable. Puis Leo sentit les sangles tirer imperceptiblement sur ses épaules et sa taille. Le module, et non la boule de titane, bouge, dut-il se rappeler. Le métal restait sur place. Immobile. Et c’était le mur du fond qui s’avançait vers lui.

Ça marchait, bon Dieu ! La boule en fusion toucha le mur du fond et s’étala docilement dans son moule.

— Accélère un tout petit peu, ordonna-t-il.

Zara augmenta à peine la vitesse du pousseur et le titane fondu s’étira plus encore, proche des trois mètres de diamètre désirés. Déjà, il perdait de sa luminescence. Le flan de titane, après avoir refroidi, serait bientôt, grâce à une charge d’explosif, moulé dans sa forme définitive.

— C’est bon, Zara. Maintiens cette vitesse, maintenant…

L’étape suivante était tout aussi délicate. Le résultat ne serait pas parfait, il en avait conscience. Mais ils pouvaient atteindre un degré d’efficacité tout à fait honorable. Du moment qu’ils n’étaient pas contraints de refondre la masse pour recommencer. Ils avaient juste le temps de fabriquer un miroir. Pas deux.

Il pointa son indicateur de température sur le mur du fond. La masse refroidissait aussi vite qu’il l’avait espéré. Ils devraient cependant attendre encore deux bonnes heures pour pouvoir la détacher du mur et la manipuler sans risquer de la déformer.

— Bobbi, je te laisse avec Zara. Tout va bien, pour l’instant. Quand la température sera tombée à près de cinq cents degrés, fais-moi signe. On essaiera d’être prêts pour le refroidissement final et la seconde phase du moulage.

Avec d’infinies précautions pour ne pas faire vibrer les murs, Leo se détacha de son harnais et sortit du module. De là, il avait une bonne vue sur le D-620, à présent à moitié chargé, et Rodeo au-delà. Il activa ses propulseurs, puis s’éloigna du module dans la direction de l’Habitat, où l’attendait la phase II de l’opération « réparation-minute ».

Le soleil se couchait sur le lac asséché. Silver, anxieuse, surveillait l’écran de la cabine de pilotage qui balayait sans cesse l’horizon.

— Ils ne seront sans doute pas de retour avant au moins une heure, remarqua M me Minchenko. Dans le meilleur des cas…

— Ce n’est pas ce que je regarde.

— Hmm…

La vieille dame inclina le dossier de son siège et fixa le plafond d’un air songeur.

— Non, bien sûr… Mais ne croyez-vous pas que si la tour de contrôle nous avait vus atterrir, ils auraient depuis longtemps envoyé un jetcopter ? Votre arrivée est peut-être bien passée inaperçue, en fin de compte.

— Peut-être aussi qu’ils sont un peu désorganisés, mais qu’ils vont nous tomber dessus d’une minute à l’autre, répondit Silver.

M me Minchenko soupira.

— Oui… c’est possible.

Elle redressa la tête.

— Qu’êtes-vous censée faire, dans ce cas ?

— J’ai une arme.

Silver effleura le soudeur laser posé sur la console, tout près du siège où elle était installée.

— Mais je préférerais ne pas avoir à blesser quelqu’un d’autre.

— Quelqu’un d’autre ? répéta M me Minchenko avec une pointe de respect dans la voix.

Pourquoi les gens étaient-ils si impressionnés par un acte aussi peu glorieux ? se demanda Silver, agacée.

Soudain, elle se pencha, les yeux rivés sur l’écran.

— Oh ! oh !… Nous avons de la visite… Une voiture.

— Ce ne sont sûrement pas nos hommes, dit M me Minchenko. Les choses auraient-elles mal tourné ?

— Ce n’est pas votre Land Rover.

Silver effleura quelques touches du clavier, zoomant sur le véhicule. Un rayon de soleil embrasa soudain le nuage de poussière.

— On dirait une voiture de la sécurité de GalacTech.

— Oh non !…

M me Minchenko se redressa sur son siège.

— Que va-t-on faire ?

— Quoi qu’il arrive, on n’ouvre pas les écoutilles. Ça, c’est sûr.

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