— Sarah Halifax, dit-elle dans le combiné beige.
— Sarah, c’est Don. Tu as écouté les infos ?
— Hello, mon chéri. Non, je n’ai rien entendu. Pourquoi ?
— Il y a un message de Sigma Draconis.
— De quoi parles-tu ?
— Il y a un message, répéta Don – comme si Sarah avait simplement un problème d’audition –, de Sigma Draconis. Je suis au bureau en ce moment. Toutes les chaînes d’infos en parlent, et c’est partout sur le Web.
— C’est impossible, dit-elle tout en allumant quand même son ordinateur. J’aurais été informée avant que ça ne soit diffusé au public.
— Il y a un message, répéta-t-il. Ils voudraient que tu passes ce soir sur As It Happens .
— Hmm, oui, bon. Mais c’est sûrement un canular. La Déclaration de principes dit que…
— Seth Shostak est sur NPR en ce moment même pour en parler. Apparemment, ils ont reçu le message hier, mais il y a eu une fuite.
L’ordinateur de Sarah en était encore au démarrage. Les quelques notes habituelles de Windows se firent entendre dans les haut-parleurs.
— Qu’est-ce que dit le message ?
— Personne n’en sait rien. C’est la mêlée générale, tout le monde se précipite dans le monde entier pour essayer de le comprendre.
Elle commença à tapoter impatiemment sur le bord de son bureau en pestant contre la lenteur de son ordinateur. De grandes icônes commencèrent à s’afficher sur l’écran, avec quelques-unes plus petites dans la barre des tâches.
— Bon, fit Don, moi, il faut que j’y aille. Ils ont besoin de moi dans la salle de contrôle. Ils t’appelleront un peu plus tard dans la journée pour une interview préliminaire. Tu trouveras le message partout sur le Web, y compris sur Slashdot. Bon, à plus.
— À plus.
Elle reposa le combiné tout en manipulant sa souris, et elle trouva rapidement le message, un grand tableau de zéros et de uns. Encore sceptique, elle ouvrit trois autres fenêtres pour récupérer des informations sur quand et comment ce message avait été reçu, ce qu’on en savait pour l’instant, et cætera.
Il n’y avait pas d’erreur. Le message était bien authentique.
Il n’y avait personne à côté d’elle pour l’entendre, mais elle se laissa tomber dans son fauteuil et prononça quand même les mots à haute voix, ces mots qui avaient été le mantra de tous les chercheurs du SETI depuis que Walter Sullivan en avait fait le titre de son célèbre ouvrage : Nous ne sommes pas seuls dans l’univers…
— Mais enfin, professeur Halifax, n’est-il pas vrai que nous pourrions très bien ne jamais comprendre ce que les extraterrestres cherchent à nous dire ? lui avait demandé l’animatrice de radio, une certaine Carol Off, lors d’une interview en 2009 sur As It Happens . Après tout, nous partageons cette planète avec les dauphins, et nous n’avons jamais réussi à les comprendre, eux. Comment imaginer de comprendre ce que des habitants d’une autre planète essaieraient de nous dire ?
Sarah sourit à Don, qui se trouvait dans la salle de contrôle de l’autre côté de la vitre. Ils avaient déjà discuté ensemble de ce point.
— D’abord, dit-elle, il est possible que les dauphins ne possèdent pas vraiment de langage, ou en tout cas pas un langage aussi riche et abstrait que le nôtre. Comparé à celui des humains, leur cerveau est plus petit par rapport à leur poids, et ils en utilisent la majeure partie pour ce qu’on appelle l’écholocalisation.
— Vous voulez dire que si nous n’avons pas réussi à comprendre leur langage, c’est peut-être parce qu’il n’y a rien à comprendre ?
— Exactement. Et par ailleurs, ce n’est pas parce que nous habitons la même planète que nous avons plus en commun avec eux qu’avec d’éventuels extraterrestres. En fait, nous avons très peu de choses en commun avec les dauphins. Ils n’ont même pas de mains, alors que les extraterrestres en ont forcément.
— Oh là, professeur Halifax ! Comment pouvez-vous le savoir ?
— Parce qu’ils ont construit des émetteurs radio. Ils ont prouvé qu’ils étaient une espèce technologique. En fait, ils vivent probablement hors de l’eau, ce qui montre à nouveau que nous avons plus en commun avec eux qu’avec les dauphins. Il faut nécessairement avoir maîtrisé le feu pour pouvoir pratiquer la métallurgie et toutes les autres opérations indispensables à la fabrication d’une radio. En plus, les émissions radio requièrent une compréhension des mathématiques, ce qui est encore un point commun avec nous.
— Nous ne sommes pas tous forcément bons en maths, dit l’animatrice en souriant. Mais êtes-vous en train de dire que, par nécessité, ceux qui envoient des messages doivent forcément avoir beaucoup en commun avec le genre de personnes qui cherchent à les recevoir ?
Sarah resta silencieuse un instant, le temps de réfléchir à la question.
— Ma foi, je… hem, oui. Je crois que c’est bien ça.
Le Dr Petra Jones était une grande femme noire impeccablement habillée, qui devait avoir dans les trente ans – même si, avec les employés de Rejuvenex, on ne pouvait jamais être vraiment sûr, songea Don. Elle était d’une beauté saisissante, avec des pommettes hautes et des yeux très vifs. Elle portait des dreadlocks, une mode que Don avait vue apparaître et disparaître plusieurs fois au fil du temps. Elle était venue comme chaque semaine faire le point avec Don et Sarah, une étape de son circuit de visites de clients de Rejuvenex dans différentes villes.
Petra s’assit dans le salon de la maison de Betty Ann Drive et croisa ses longues jambes. Elle faisait face à l’une des fenêtres placées de part et d’autre de la cheminée. Dehors, la neige avait fondu ; le printemps arrivait. Elle regarda d’abord Sarah, puis Don, et se tourna de nouveau vers Sarah. Au bout d’un moment, elle se résolut à parler.
— Nous avons un gros problème…
— Que voulez-vous dire ? répliqua aussitôt Don.
Mais Sarah, elle, se contenta de hocher la tête et dit d’une voix empreinte de tristesse :
— Je ne régresse pas, c’est ça ?
Don sentit son cœur s’arrêter de battre.
Petra secoua la tête, et les petites perles insérées dans ses dreadlocks cliquetèrent doucement.
— Je suis vraiment désolée, dit-elle d’une voix très douce.
— Je le savais, dit Sarah. Je… j’en avais le pressentiment.
— Mais bon sang, pourquoi ? fit Don. Pourquoi ?
Petra haussa légèrement les épaules.
— C’est la grande question. Nous avons toute une équipe qui y travaille en ce moment, et…
— Est-ce qu’on peut arranger ça ? demanda-t-il. Ah, mon Dieu, faites que ça puisse s’arranger…
— Nous ne savons pas, répondit Petra. Nous n’avons jamais rien vu de pareil jusqu’ici. (Elle s’interrompit un instant, apparemment pour rassembler ses idées.) Sarah, nous avons réussi à rallonger vos télomères, mais pour une raison encore inconnue, les nouvelles séquences terminales sont tout simplement ignorées quand vos chromosomes se reproduisent. Au lieu de poursuivre sa transcription jusqu’au bout de votre ADN, l’enzyme de réplication s’arrête net, juste à l’endroit où vos chromosomes se terminaient avant. (Un silence.) Plusieurs des autres modifications biochimiques que nous avons introduites sont rejetées, et encore une fois, nous en ignorons la raison.
Don était maintenant debout.
— Mais qu’est-ce que vous racontez là ? s’écria-t-il. Vos équipes nous ont dit qu’elles savaient ce qu’elles faisaient !
Un peu prise de court, Petra sembla finalement se ressaisir.
— Écoutez, dit-elle, je suis médecin, je ne suis pas chargée des relations publiques. (Elle avait un léger accent… De Géorgie, peut-être ?) Nous en savons effectivement plus que n’importe qui sur le vieillissement et la mort cellulaire programmée. Mais pour l’instant, nous avons effectué à peine deux cents traitements de rajeunissement sur des humains. (Elle écarta légèrement les bras.) C’est un domaine encore largement inexploré.
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