Tu as une carte des trajets de chasse des autres ? demanda-t-il.
Presque aussitôt, une carte qu’il « sentit » celle d’Elemak se surimposa à la sienne, puis vinrent celles de Vas, d’Obring et des chasses en groupe. Elles se chevauchèrent jusqu’à former un maillage serré autour de Dostatok.
Sauf à l’endroit de cette zone dans les montagnes. Qu’y a-t-il dans ce secteur où ne passe aucun de nos trajets ?
« De quoi parles-tu ? » demanda l’Index.
Du blanc sur les cartes. Le secteur où personne n’est allé.
« Mais il n’y a pas de blanc », répondit l’Index.
Nafai se concentra sur l’espace en question en y portant toute son attention. Là ! cria-t-il dans sa tête.
« Tu me parles comme si tu montrais quelque chose, et je vois que tu focalises tes pensées sur quelque chose, mais tu n’indiques rien sur la carte. »
Est-ce qu’il pourrait se trouver là quelque chose qui te soit caché, même à toi ?
« Rien ne m’est caché sur Harmonie. »
Pourquoi nous as-tu fait venir à Dostatok ?
« Parce que j’ai préparé ce pays pour vous, pour que vous attendiez que je sois prêt. »
Prêt à quoi ?
« À ce que vous m’emmeniez avec vous sur Terre. »
Et pourquoi fallait-il que nous attendions ici, précisément ?
« Parce que c’était le site le plus proche où vous pouviez vous établir et survivre en attendant que je sois prêt. »
Le site le plus proche de quoi ?
« De vous-mêmes. De là où vous êtes. »
On tournait à nouveau en rond, Nafai s’en rendait compte. Il posa une autre question : Quand seras-tu prêt pour que nous t’emmenions sur Terre ? demanda-t-il.
« Quand je vous ferai venir », répondit l’Index.
Quand tu nous feras venir d’où, et pour aller où ?
« De Dostatok. »
Pour aller où ?
« Sur Terre. »
Pour Nafai, tout était clair : la zone vierge sur la carte, celle que l’Index ne voyait pas, ne pouvait pas nommer, c’était là qu’ils se rassembleraient pour s’envoler vers la Terre.
« Je connais les noms de toute la géographie d’Harmonie, dit l’Index. Je peux t’indiquer tous les noms que de tout temps les hommes ont donnés à tous les lieux de la planète. »
Alors, dis-moi le nom de celui-ci, le pressa Nafai en se concentrant à nouveau sur le blanc de la carte.
« Montre-le moi et je te le dirai. »
Par un simple effort de volonté, Nafai traça mentalement un cercle autour du secteur vierge.
« Vusadka », dit l’Index.
Vusadka. Nafai réfléchit ; cela sonnait ancien, mais ce n’était pas sans rappeler le terme désignant le premier pas hors d’une maison, il demanda à l’Index : Que signifie Vusadka ?
« C’est le nom de ce lieu. »
Depuis quand porte-t-il ce nom ?
« Les habitants de Raspyatny l’appelaient ainsi. »
Et d’où avaient-ils appris ce nom ?
« Il était très connu dans les cités des Étoiles et dans celles de Feu. »
Quelle est la plus ancienne référence à ce nom ?
« Quel nom ? »
Surâme ne pouvait pas avoir déjà oublié. Nafai avait dû retomber sur son blocage mémoriel. Il demanda : De quand date la plus ancienne référence à ce nom dans les cités de Feu ?
« De vingt millions d’années », répondit l’Index.
Existe-t-il une référence antérieure dans les cités des Étoiles ?
« Naturellement – elles sont beaucoup plus anciennes. Trente-neuf millions d’années. »
Le terme « Vusadka » signifiait-il quelque chose dans la langue qu’on parlait à l’époque ?
« Les langues d’Harmonie sont toutes apparentées entre elles », dit l’Index.
Il recommençait à répondre à côté de la question. Nafai tenta une autre approche de biais, qui lui fournirait peut-être le renseignement qu’il cherchait. Quel est le mot de la langue des cités des Étoiles datant de trente-neuf millions d’années qui ressemble le plus à Vusadka, autre que Vusadka lui-même ?
« Vuissashivat’h » répondit l’Index.
Et que signifiait ce mot ?
« Débarquer. »
Débarquer d’où ?
« D’un bateau. »
Pourquoi aurait-on donné à un lieu en pleine montagne un nom apparenté au verbe signifiant « débarquer d’un bateau » ? Y avait-il autrefois un rivage à cet endroit ?
« Ces montagnes sont très anciennes ; avant la fracture qui a ouvert la vallée des Feux, elles étaient déjà vieilles. » il n’y a donc jamais eu de rivage le long de la région de Vusadka ?
« Jamais, confirma l’Index, et cela depuis que les hommes ont débarqué de leurs vaisseaux stellaires sur la planète Harmonie. »
L’Index avait utilisé le verbe moderne pour « débarquer » en parlant des vaisseaux stellaires, et Nafai comprit aussitôt que Surâme avait fait de son mieux pour confirmer ce qu’il supposait déjà : que Vusadka était bien le site où les vaisseaux avaient atterri quarante millions d’années plus tôt et par conséquent celui où, s’il existait encore un vaisseau, on aurait le plus de chance de le trouver.
Une nouvelle idée jaillit soudain en lui : Et tu es là aussi, n’est-ce pas, Surâme ? Là où les vaisseaux ont atterri ? Toutes tes mémoires, tous tes processeurs y sont rassemblés et nulle part ailleurs.
« Où ça ? » demanda l’Index.
Nafai se redressa, tout à fait réveillé. Le raclement de son tabouret sur le plancher tira ses compagnons de leur rêverie. « Je vais à la recherche de Surâme, leur annonça-t-il.
— Nous le savons, dit Issib. Surâme nous a montré votre conversation.
— C’était très habile, ajouta Zdorab. Je n’aurais jamais pensé à interroger la carte des trajets de chasse. »
Nafai faillit ne pas leur avouer qu’il ne l’avait pas fait exprès : c’était bien agréable de passer pour quelqu’un d’ingénieux. Mais il s’aperçut qu’il commettrait alors une sorte de mensonge. « Je dormais à moitié, dit-il. Le truc de la carte, ce n’était qu’une idée bizarroïde qui m’est venue plus ou moins en rêvant. Surâme savait qu’il y avait des éléments en lui dont l’accès lui était normalement interdit, et il a compris qu’il pourrait me les communiquer grâce à la carte, c’est tout. Il a dû se duper lui-même pour arriver à m’en faire part. »
Issib éclata de rire. « D’accord, Nyef ! Tu n’as rien d’un génie, nous en convenons tous !
— Mais c’est vrai ! protesta Nafai. Je n’ai rien fait qu’écouter quand Surâme a trouvé le moyen de me parler malgré les barrières dressées dans son cerveau. Bon, si jamais on vous demande où je suis, dites que je suis allé chasser. Mais vous pouvez dire la vérité à Luet et à vos épouses, naturellement : je me suis mis en quête de Surâme. Les deux réponses seront exactes. »
Zdorab acquiesça d’un air entendu. « La paix règne entre nous depuis que nous sommes installés ici, parce que le pays est accueillant, qu’il y a de la place pour tous et que nous ne manquons de rien. Mais personne n’appréciera l’idée de déménager à nouveau, et certains moins encore que d’autres ; mieux vaut en effet remettre la nouvelle à plus tard, en attendant d’avoir de nouvelles informations sérieuses. »
Issib fit la grimace. « Je vois d’ici la bagarre en perspective. Je regrette presque le bonheur que nous avons connu si longtemps. La nouvelle va diviser notre communauté et je n’ose pas imaginer les dégâts qu’elle risque d’entraîner avant que tout le monde se calme. »
Nafai hocha la tête. « Ça ne se passera pas forcément comme ça. Surâme nous a tous embarqués dans cette expédition ? Eh bien, maintenant, c’est le Gardien de la Terre qui nous appelle tous à son tour, et voilà.
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