– Si j'y tiens! s'exclama le gros homme en s'approchant de l'écran, mais nous devons tous y tenir! De la vie de Jâ Benal dépendent peut-être les destinées de notre civilisation. Professeur, je vous conjure de mettre tout en oeuvre pour le sauver.
– Je…
– Je sais ce que vous voulez dire. On ne guérit pas de la trichocystie. Eh bien, vous vous trompez. Pardonnez à ma brutalité, mais il faut dire: on n'a encore jamais guéri de la trichocystie. Jâ Benal sera le premier rescapé de cette maladie. Professeur, il le faut. Vous nous avez déjà donné des preuves de génie. Soyez digne de votre passé.
Un mince sourira détendit les traits du vieux savant.
– Vous n'aviez pas besoin de prononcer cette dernière phrase, Excellence. Il y a longtemps que je ne suis plus sensible à la vanité. Mais je comprends votre inquiétude. Sachez que je vais tenter l'impossible.
– Merci, Professeur, je vous fais confiance.
Le visage du savant s'effaça de l'écran.
* * *
Le professeur Kam sortit de son bureau et enfila un couloir. Il pénétra dans une petite chambre où Jâ Benal était allongé sur un hamac translucide. Il regarda son malade.
– Eh bien, mon ami, comment vous sentez-vous?
– Parfaitement bien, Professeur. Vous m'avez drogué, ou quoi? Je ne gens plus du tout ma jambe.
Le professeur Kam pinça fortement le genou de Jâ.
– Je vous fais mal?
– Absolument pas.
Il remonta un peu plus haut.
– Et là?
– Non plus!
– Bien, bien. Reposez-vous, mon petit. Et ne vous en faites pas.
– Si vous croyez que c'est facile! Avec votre contention magnétique, je ne peux plus du tout remuer à partir des genoux. J'ai un tempérament actif, moi. Je n'aime pas être malade.
– Il faut m'obéir, si vous voulez guérir vite.
– Écoutez, Professeur. Pourquoi ne pas soigner les fractures comme font les Terriens? Une simple gaine de méthacryl et on peut marcher tout de suite! Je ne veux pas dire du mal de la médecine lunaire, et votre machin magnétique, là, je ne sais plus comment vous appelez ça… c'est très ingénieux, mais on ne peut se lever qu'au bout de huit jours.
– Laissez-vous faire, mon ami, les fractures ouvertes donnent lieu, sur la Lune, à des complications assez graves, quelquefois. Notre thérapeutique est justifiée, croyez-moi.
Le savant tira un petit tube de la poche de son maillot collant. Il y prit une pilule.
– Tenez, avalez-moi ça. Vous aurez de jolis rêves qui vous feront oublier vos soucis.
Il fit à Jâ un signe amical et sortit. Il revint dans son bureau, s'installa derrière sa table et pressa un bouton.
Une voix parla
– Ici, laboratoire d'enmicrobainie.
– Ici, Professeur Kam. Où en sont vos essais en cabine?
– Nous avons eu quelques difficultés, mais nos ingénieurs ont réussi à les surmonter. Tenez-vous bien, Professeur, ce matin, nous avons réussi à réduire une cabine contenant dix hommes à la taille de deux microns.
– C'est le miracle que j'attendais. Pas d'accidents?
– Un incident, tout au plus. L'un des volontaires a perdu connaissance pendant le retour. A part lui, les autres ont très bien supporté l'expérience.
– Dites à votre patron que j'aimerais le voir rapidement.
– Ne quittez pas, Professeur.
Le savant attendit quelques minutes. Une grosse voix de basse se fit entendre.
– Ici Terol, comment va, Kam? Vous vouliez me parler?
– C'est important, Terol! On vient de me dire que vous avez réduit une cabine à deux microns, ce matin.
– Qu'est-ce que vous dites de ça?
– J'admire, mon vieux, j'admire sans comprendre; je ne suis pas physicien. Félicitations!
– N'en jetez plus!
– Mais il se trouve que l'application pratique de vos expériences m'intéresse, sur le plan médical. Excusez-moi si ma question est idiote, et dites-moi, pouvez-vous réduire une cabine de n'importe quelle forme?
– Comment ça?
– Les vôtres sont cubiques. Vous serait-il possible de réduire des cabines de forme ovoïde, par exemple?
– Du moment qu'elle est construite en stillite, je peux vous réduire une cabine de n'importe quel aspect: en forme de poire, de verre à dent ou de bigorneau, peu importe. Pourquoi me demandez-vous ça?
– J'ai un essai à tenter sur un cas désespéré. Pourrions-nous nous voir
– Bien sûr, Kam! Je vous attends tout de suite si vous voulez.
– Merci, mon vieux. J'arrive!
Cinquante étudiants en médecine étaient assemblés dans l'amphithéâtre. A l'entrée du Professeur Kam, ils se levèrent respectueusement. Celui-ci avait le visage fatigué, ayant travaillé deux nuits de suite avec le physicien Terol à établir les plans d'une cabine à usage médical.
– Asseyez-vous, mes enfants, dit-il d'une voix faible due à son grand âge.
Les étudiants obéirent. Le professeur resta debout un bon moment à les considérer. Enfin, il parla.
– Mes amis, laissez-moi d'abord vous dire que le spectacle de votre jeunesse fait plaisir à voir. Vous avez tous le regard enthousiaste de ceux qui commencent leur vie. Je peux me permettre de vous parler avec cette bonhomie paternelle, puisque le plus âgé d'entre vous dépasse à peine quarante ans. Je devine que vous vous demandez où je veux en venir. Eh bien, voilà…
«Je vous ai choisis parmi les plue doués parce que j'ai besoin de vous pour une mission de confiance. J'ai pour vous un travail qui sort de l'ordinaire, un véritable travail de gladiateurs, où vous aurez besoin de toute votre force physique.»
«Ne vous demandez pas si je deviens fou et mettez-vous bien dans la tête que je vais vous former en véritable commando. Vous allez être transformés en chevaliers de légende pour affronter des monstres redoutables. Prenez mes paroles au sens propre.»
«Vous devez penser que j'aurais pu m'adresser à des soldats de métier pour cette tâche. Eh bien, non! Il importe que ma petite armée soit constituée de médecins, car les monstres que vous serez chargés de détruire seront des microbes géants. Le théâtre des opérations sera le corps d'un malade.
«Je m'explique:
Vous connaissez tous la chlorotrichocystie, seule maladie lunaire que notre science n'ait pas encore vaincue. Vous connaissez la raison de cet échec. L'agent de cette maladie, le trichocyste, est protégé des attaques leucocytaires par une membrane graisseuse non saponifiable.»
«D'autre part, il provoque un chimiotactisme négatif: les leucocytes le fuient comme la peste et laissent se faire l'invasion.»
«Une méthode, simple en laboratoire, consisterait à blesser la membrane protectrice des microbes, afin que les globules blancs puissent les attaquer facilement. Encore faudrait-il que le chimiotactisme négatif disparût…»
Le professeur parla longtemps. A mesure que la conférence avançait, les visages devenaient plus tendus.
– Voilà pourquoi, mes amis, j'ai été conduit à adopter une thérapeutique nouvelle qui va assimiler votre travail de médecins à celui de chasseurs de fauves. Vous serez divisés en cinq groupes de dix, plus un physicien chargé de manœuvrer la cabine que nous avons mise au point, le Professeur Terol et moi. Chaque groupe aura une cabine à sa disposition. Vous serez réduits chacun à la taille approximative de deux microns, ce qui vous permettra d'attaquer en corps à corps les microorganismes.
«Maintenant, je vais vous familiariser avec l'aspect de vos ennemis. J'ai fait installer par le Professeur Terol une section d'enmicrobainie attachée à la faculté. Un groupe de ses élèves a capturé pour nous un trichocyste dans une lymphe du malade et l'a ramené dans notre monde, c'est-à-dire à notre échelle. Venez avec moi.»
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