En entrant dans son bureau, Arvardan lui trouva l’air fatigué. Le colonel avait ouvert le col de sa chemise et sa tunique, frappée du flamboyant emblème de l’empire – le Soleil et l’Astronef était accrochée au dossier de son fauteuil. Il fit craquer distraitement ses phalanges en enveloppant l’archéologue d’un regard solennel.
— C’est une affaire bien troublante, commença-t-il. Je me souviens de vous, jeune homme. Vous êtes Bel Arvardan, de Baronn, et vous nous avez déjà causé bien du souci. Vous ne pouvez donc pas éviter les ennuis ?
— Ce n’est pas seulement moi qui ai des ennuis, mon colonel, mais la galaxie tout entière.
— Oui, je sais, répliqua l’officier non sans quelque agacement. Je sais, en tout cas, que c’est ce que vous prétendez. Il paraît que vous n’avez plus de pièces d’identité ?
— On me les a prises, mais je suis connu à Everest. Le procurateur peut se porter garant de moi et j’espère qu’il le fera avant ce soir.
— Nous verrons. (Le colonel croisa les bras sur sa poitrine et se carra dans son fauteuil.) Je vous serais reconnaissant de bien vouloir me donner votre version des faits.
— J’ai eu connaissance d’un grave complot ourdi par un petit groupe de Terriens décidés à renverser par la force le gouvernement impérial, et qui, si les autorités compétentes ne sont pas prévenues sur-le-champ, risque fort de détruire non seulement le régime, mais une grande partie de l’empire lui-même.
Vous y allez un peu fort, mon jeune ami. Pareille affirmation est inconsidérée et peu crédible. J’admets volontiers que les Terriens pourraient fomenter des émeutes gênantes, assiéger le fort et causer des dommages considérables, mais je ne saurais imaginer qu’ils soient capables de chasser les forces impériales de cette planète et encore moins d’abattre le gouvernement de Trantor. Néanmoins, je suis disposé à entendre les détails de… euh… de cette conspiration.
— Malheureusement, l’affaire est d’une telle gravité que je ne peux donner les détails essentiels qu’au procurateur en personne. Aussi, je vous serais reconnaissant de bien vouloir me mettre en communication avec lui sans délai, si vous n’y voyez pas d’inconvénient.
— Hemm… gardons-nous d’agir de façon précipitée. Savez-vous que l’homme que vous nous avez amené est, le secrétaire du haut ministre de la Terre ? Qu’il fait partie de la Société des Anciens et que c’est un personnage très important aux yeux des Terriens ?
— Je le sais fort bien.
— Et, selon vous, c’est une clé de voûte de la conspiration à laquelle vous faites allusion ?
— Absolument.
— Avez-vous des preuves de ce que vous avancez ?
— Vous me comprendrez, j’en suis sûr, si je vous dis que je ne peux les dévoiler qu’au procurateur lui-même.
Le colonel fronça les sourcils et s’abîma dans la contemplation de ses ongles.
— Cela signifie-t-il que vous mettez ma compétence en doute ?
— Aucunement, colonel. Simplement, le procurateur est la seule autorité habilitée à prendre les mesures décisives qu’exige la situation.
— Quelles mesures décisives, d’après vous ?
— Un édifice de la Terre doit être bombardé et totalement anéanti dans un délai de trente heures, faute de quoi la plupart des citoyens de l’empire, sinon tous, périront.
— Quel édifice ? s’enquit le colonel d’une voix lasse.
— Puis-je être mis en contact avec le procurateur, je vous prie ? rétorqua sèchement Arvardan.
C’était l’impasse. Le colonel brisa le silence qui avait suivi ces derniers mots en demandant sur un ton gourmé :
— Vous rendez-vous compte qu’en vous rendant coupable du rapt d’un Terrien, vous avez commis un délit qui vous rend passible des tribunaux terriens. En général, les autorités impériales protègent leurs ressortissants et tiennent à ce qu’ils soient jugés par des tribunaux galactiques. — c’est une question de principe. Mais la situation est délicate sur la Terre et mes instructions sont précises : j’ai ordre d’éviter les risques d’affrontement dans toute la mesure du possible. En conséquence, si vous refusez de répondre pleinement à ma question, je serai dans l’obligation de vous remettre, vous et vos compagnons, à la police locale.
— Mais ce serait nous condamner, nous et vous, à mort ! Je suis citoyen de l’empire et j’exige d’avoir une audience avec le pro…
Le vrombissement du ronfleur interrompit Arvardan. Le colonel enfonça une touche.
— J’écoute.
— Mon colonel, une troupe d’indigènes a encerclé le fort, annonça une voix retentissante. On croit qu’ils sont armés.
— Y a-t-il eu des actes de violence ?
— Non, mon colonel.
Nulle émotion ne se lisait sur la physionomie de l’officier. Sur ce point, au moins, l’entraînement qu’il avait subi avait été efficace.
— Que l’artillerie et l’aviation se tiennent prêtes à intervenir. Que chacun regagne son poste de combat. Interdiction d’ouvrir le feu sauf en cas de légitime défense. C’est compris ?
— Oui, mon colonel. Un Terrien sous la protection du drapeau blanc désire être reçu.
— Envoyez-le-moi. Et faites également revenir le secrétaire du ministre.
Le colonel décocha un regard glacé à l’archéologue.
— J’espère que vous vous rendez compte des conséquences catastrophiques de vos menées ?
J’exige d’assister à cette entrevue, s’écria Arvardan dont la fureur était telle qu’il avait du mal à s’exprimer de façon cohérente. Et j’exige aussi de savoir pour quelle raison vous m’avez laissé croupir pendant des heures sous bonne garde, alors que vous discutiez en tête à tête avec un indigène qui, de surcroît, est un traître. Car je sais fort bien que vous avez eu une entrevue avec lui avant de me parler.
— Est-ce une accusation ? demanda le colonel en haussant le ton. Si tel est le cas, exprimez-vous clairement.
— Non, ce n’est pas une accusation. Mais je vous rappelle que, à partir de maintenant, vous aurez à rendre compte de vos actes et que la postérité, si nous devons avoir une postérité, vous tiendra peut-être pour responsable de la destruction de votre peuple du fait de votre entêtement.
— Silence ! En tout cas, ce n’est pas à vous que j’ai des comptes à rendre. L’affaire sera menée comme je l’entends. Avez-vous compris ?
Le secrétaire entra, introduit par un soldat. Un sourire glacé joua fugitivement sur ses lèvres violacées et enflées. Il s’inclina devant le colonel et fit mine de ne pas s’apercevoir de la présence d’Arvardan.
— J’ai averti le haut ministre que vous étiez parmi nous et je lui ai fait part des circonstances de votre arrivée, commença l’officier. Votre détention dans cette enceinte, est, bien sûr, totalement… euh… anormale et je me propose de vous rendre la liberté au plus vite. Cependant, ce monsieur, que vous connaissez sans doute, a porté contre vous une très grave accusation et nous sommes dans l’obligation d’enquêter à ce sujet.
Je comprends, colonel, répondit calmement le secrétaire. Toutefois, comme je vous l’ai déjà exposé, cet individu n’est sur la Terre que depuis deux mois environ, si je suis bien informé, et sa connaissance de notre politique intérieure est nulle. C’est là, en vérité, une base bien fragile pour porter des accusations.
— Je suis archéologue de métier, rétorqua Arvardan avec colère, et je suis spécialiste de la Terre et de ses coutumes. Mes connaissances relatives à la politique terrienne sont loin d’être nulles. En outre, il n’y a pas que moi qui accuse.
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