HUMAIN : Pourquoi les autres êtres humains ne viennent-ils jamais nous voir ?
MIRO : Nous sommes seuls autorisés à franchir la clôture.
HUMAIN : Pourquoi n’escaladent-ils pas la clôture ?
MIRO : Avez-vous déjà touché la clôture ? (Humain ne répond pas.) On a très mal quand on touche la clôture. En escaladant la clôture, on aurait l’impression que toutes les parties du corps sont aussi douloureuses que possible toutes en même temps.
HUMAIN : C’est stupide. N’y a-t-il pas de l’herbe des deux côtés ?
Ouanda Quenhatta Figueira Mucumbi, Transcriptions de dialogues, 103 :0 :1970 :1 :1 :15
Le soleil n’était qu’à une heure de l’horizon quand Bosquinha gravit l’escalier conduisant au bureau privé de l’Evêque Peregrino, à l’intérieur de la cathédrale. Dom et Dona Cristão étaient déjà là, le visage grave. L’Evêque Peregrino, toutefois, paraissait satisfait de lui-même. Il aimait que l’ensemble de la direction politique et religieuse de Milagre soit réunie sous son toit. Peu importait que Bosquinha ait convoqué la réunion, puis ait proposé de l’organiser à la cathédrale parce qu’elle était seule à disposer d’un véhicule.
Peregrino aimait pouvoir se dire que, d’une certaine façon, il dirigeait la colonie lusitanienne. Eh bien, à la fin de cette réunion, ils auraient tous compris qu’ils ne dominaient rien du tout.
Bosquinha les salua. Cependant, elle ne prit pas place sur la chaise qui lui était proposée. Elle s’assit devant le terminal de l’évêque, s’identifia et demanda le programme qu’elle avait préparé. Plusieurs couches de cubes minuscules apparurent au-dessus du terminal. La couche supérieure ne comportait que quelques cubes ; les couches inférieures en avaient beaucoup, beaucoup plus. Plus de la moitié des cubes, en commençant par le haut, étaient rouges ; le reste était bleu.
— Très joli, dit l’Evêque Peregrino.
Bosquinha se tourna vers Dom Cristão :
— Reconnaissez-vous ce modèle ?
Il secoua la tête.
— Mais je crois connaître la raison d’être de cette réunion.
Dona Cristã se pencha en avant.
— Existe-t-il un endroit sûr où nous pourrions cacher ce que nous voulons conserver ?
L’expression d’amusement hautain disparut du visage de l’Evêque Peregrino.
— Je ne connais pas la raison d’être de cette réunion, dit-il.
Bosquinha se tourna vers lui.
— J’étais très jeune quand j’ai été nommée gouverneur de la colonie de Lusitania. Le fait d’avoir été choisie était un grand honneur, une grande marque de confiance. J’étudiais le gouvernement des communautés et les systèmes sociaux depuis l’enfance et j’avais donné satisfaction, au cours de ma brève carrière à Oporto. Ce qui a apparemment échappé à la commission, c’est que j’étais déjà méfiante, sournoise et patriote.
— Ce sont des vertus que nous avons appris à admirer, nota l’Evêque Peregrino.
— Mon patriotisme signifiait que, dès l’instant où la colonie lusitanienne me fut attribuée, je fus plus fidèle aux intérêts de la colonie qu’à ceux des Cent Planètes ou du Congrès Stellaire. Ma sournoiserie m’a amenée à faire croire à la commission que, au contraire, les intérêts du Congrès me tenaient davantage à cœur. Et ma méfiance m’a conduite à croire que le Congrès n’accorderait vraisemblablement pas à Lusitania un statut d’indépendance et d’égalité au sein des Cent Planètes.
— Naturellement, releva l’Evêque Peregrino, nous sommes une colonie.
— Nous ne sommes pas une colonie, précisa Bosquinha. Nous sommes une expérience . J’ai étudié notre, contrat, notre licence, ainsi que tous les Ordres du Congrès nous concernant, et j’ai constaté que les lois habituelles relatives à l’autonomie ne s’appliquent pas à nous. J’ai constaté que la commission dispose de la possibilité d’accéder à toutes les archives de toutes les personnes et institutions de Lusitania.
L’évêque commença à se mettre en colère.
— Voulez-vous dire que la commission a le droit d’examiner les archives confidentielles de l’Eglise ?
— Ah ! fit Bosquinha. Un autre patriote !
— L’Eglise a des droits dans le cadre du Code Stellaire.
— Ne vous mettez pas en colère contre moi .
— Vous ne me l’avez jamais dit.
— Si je vous l’avais dit, vous auriez protesté, ils auraient feint de reculer et je n’aurais pas pu faire ce que j’ai fait.
— À savoir ?
— Ce programme. Il enregistre tous les accès par ansible aux archives de Lusitania.
Dom Cristão eut un rire étouffé.
— Vous n’êtes pas censée faire cela.
— Je sais. Comme je l’ai dit, j’ai de nombreux vices secrets. Mais mon programme n’a jamais constaté la moindre intrusion majeure – oh, quelques dossiers chaque fois que les piggies ont tué un de nos xénologues, c’était prévisible –, mais rien d’important. Jusqu’à il y a quatre jours.
— Quand le Porte-Parole des Morts est arrivé, souligna l’évêque.
Bosquinha trouva plaisant que la venue du Porte-Parole des Morts constituât un tel événement qu’il eût immédiatement fait le rapport.
— Il y a trois jours, reprit Bosquinha, une détection inoffensive a été réalisée par ansible. Elle a suivi une structure intéressante. (Elle se tourna vers le terminal et changea l’affichage.) Elle a trié et examiné tout ce qui était lié aux xénologues et aux xénobiologistes de Milagre. Elle n’a tenu aucun compte des procédures de sécurité, comme si elles n’existaient pas. Tout ce qu’ils ont découvert et toute leur existence personnelle. Et oui, Evêque Peregrino, j’ai cru sur le moment, et je crois toujours, que cela est lié à la présence du Porte-Parole.
— Il ne dispose vraisemblablement d’aucune autorité au sein du Congrès Stellaire, avança l’évêque.
Dom Cristão hocha gravement la tête.
— San Angelo a écrit dans son journal intime que seuls lisent les Enfants de l’Esprit…
L’évêque se tourna brusquement vers lui :
— Ainsi, les Enfants de l’Esprit possèdent effectivement les écrits secrets de San Angelo !
— Pas secrets, précisa Dona Cristã, seulement ennuyeux. Tout le monde peut lire ce journal, mais nous sommes seuls à en prendre la peine.
— Ce qu’il a écrit, reprit Dom Cristão, c’est que le Porte-Parole Andrew est plus âgé que nous ne croyons. Plus âgé que le Congrès Stellaire et peut-être, à sa façon, plus puissant.
L’évêque ironisa :
— Il est tout jeune. Il n’a sûrement pas quarante ans.
— Vos rivalités stupides me font perdre du temps, les coupa Bosquinha. J’ai convoqué cette réunion en raison d’une affaire urgente. Par politesse vis-à-vis de vous parce que j’ai déjà agi dans l’intérêt du gouvernement de Lusitania.
Les autres se turent.
Bosquinha fit réapparaître l’affichage d’origine.
— Ce matin, mon programme m’a alertée une deuxième fois. Un nouvel accès systématique par ansible mais, cette fois, il ne s’agissait pas de la détection inoffensive constatée il y a trois jours. Cette fois, c’était une lecture complète à la vitesse des transferts d’informations, ce qui signifie que toutes nos archives étaient copiées par les ordinateurs d’autres planètes. Ensuite, les directives seraient réécrites afin qu’un ordre unique transmis par ansible soit en mesure de détruire complètement tous nos dossiers dans les mémoires de nos ordinateurs.
Bosquinha constata que l’évêque était surpris – mais que les Enfants de l’Esprit ne l’étaient pas.
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