Paul s’éclairât la gorge et dit : « Nous parlions du trône, Majesté. »
L’Empereur se retourna, le regard flamboyant :
« C’est moi qui suis sur le trône ! » aboya-t-il.
« Vous en aurez un autre sur Salusa Secundus », dit Paul.
« J’ai baissé les bras et je suis venu ici avec votre parole ! cria l’Empereur. Vous osez me menacer…»
« Vous êtes en sécurité en ma présence, dit Paul. C’est un Atréides qui vous l’a promis. Mais Muad’Dib, quant à lui, vous condamne à résider sur votre planète-prison. Mais n’ayez nulle crainte, Majesté : j’utiliserai tous les moyens dont je dispose pour que ce lieu soit rendu moins rude. Il deviendra un véritable monde-jardin, tout empli de choses charmantes. »
L’Empereur perçut le sens caché des paroles de Paul et le regarda en grinçant : « A présent, je discerne vos motifs véritables. »
« Évidemment », dit Paul.
« Et Arrakis ? En ferez-vous un autre monde-jardin plein de choses charmantes ? »
« Les Fremen ont la parole de Muad’Dib, dit Paul. Sous le ciel de ce monde il y aura de l’eau et de vertes oasis pleines de bonnes choses. Mais nous devons aussi penser à l’épice. Il faudra maintenir du désert sur Arrakis… et des vents violents, des épreuves pour endurcir l’homme. Nous autres Fremen avons une maxime : Dieu a créé Arrakis pour former les fidèles. On ne peut aller contre la parole de Dieu. »
La Révérende Mère Gaïus Helen Mohiam avait lu autre chose dans les paroles de Paul. Elle avait entrevu le jihad et elle dit : « Vous ne pouvez lâcher ces gens sur l’univers ! »
« Vous regretterez les manières si douces des Sardaukar ! » lança Paul.
« Vous ne pouvez pas…»
« Vous êtes une Diseuse de Vérité, dit-il. Mesurez donc vos paroles. (Il se tourna vers la Princesse Royale, puis vers l’Empereur.) Le plus tôt sera le mieux, Majesté. »
L’Empereur, médusé, regarda sa fille. Elle lui toucha le bras et dit d’un ton apaisant : « J’ai été éduquée pour cela, Père. »
Il prit une profonde inspiration.
« Vous ne pouvez tolérer cela », marmonna la vieille Diseuse de Vérité.
L’Empereur se redressa, retrouvant un semblant de dignité.
« Qui négociera en votre nom, sujet ? » demanda-t-il.
Paul se retourna, il vit sa mère qui baissait les paupières aux côtés de Chani, dans un groupe de Fedaykin. Il s’approcha et s’arrêta devant Chani.
« Je connais tes raisons, dit-elle. S’il doit en être ainsi… Usul…»
Il perçut les larmes dans sa voix, leva la main et toucha sa joue. « Ma Sihaya n’aura jamais rien à craindre, jamais. (Il baissa le bras et se tourna vers sa mère.) Vous négocierez pour moi, Mère, avec Chani. Elle possède la sagesse et un regard acéré. Et l’on dit avec justesse que nul n’est plus dur en affaire qu’un Fremen. Pour moi, elle aura les yeux de l’amour et la pensée de ses fils à venir ne la quittera pas. Écoutez-la. »
Jessica devina les froids calculs qui se dissimulaient derrière les paroles de son fils et elle réprima un frisson. « Quelles sont tes instructions ? » demanda-t-elle.
« J’exige en dot la totalité des intérêts de l’Empereur dans la Compagnie des Honnêtes Ober Marchands. »
« La totalité ? » Elle avait du mal à trouver ses mots.
« Il doit être entièrement dépouillé. Je veux le titre de comte et un directorat de la CHOM pour Gurney Halleck, ainsi que le fief de Caladan. Des pouvoirs et des titres seront attribués à tous les gens d’Atréides jusqu’au plus humble soldat. »
« Et les Fremen ? » demanda-t-elle.
« Les Fremen me concernent, moi, dit Paul. Ce qu’ils recevront leur sera donné par Muad’Dib. Et, tout d’abord, Stilgar sera Gouverneur d’Arrakis, mais cela peut attendre. »
« Et pour moi ? »
« Y a-t-il quelque chose que vous souhaitiez ? »
« Caladan, peut-être, dit Jessica en regardant Gurney. Je n’en suis pas sûre. Je suis devenue trop semblable aux Fremen… Je suis une Révérende Mère. J’ai besoin d’une période de paix et de calme pour réfléchir. »
« Cela au moins vous l’aurez, dit Paul, et tout ce que Gurney et moi pourrons vous offrir. »
Elle hocha la tête. Elle se sentait tout à coup vieille et fatiguée. Elle regarda Chani. « Et pour la concubine royale ? »
« Aucun titre pour moi, dit Chani. Rien. Je vous en supplie. »
Paul rencontra son regard et il la revit soudain avec le petit Leto dans ses bras, leur fils qui avait trouvé la mort dans toute cette violence.
« Je te jure, dit-il, que tu n’as besoin d’aucun titre. Cette femme, là-bas, sera mon épouse et tu ne seras qu’une concubine parce que ceci est une affaire politique et que nous devons conclure la paix et rallier les Grandes Maisons du Landsraad. Il faut obéir aux usages. Mais cette princesse n’aura de moi que mon nom. Elle n’aura nul enfant, nul geste, nul regard, nul instant de désir. »
« Tu dis cela maintenant », dit Chani. Et, par-delà la salle, elle contempla la princesse aux cheveux dorés.
« Connais-tu si peu mon fils ? murmura Jessica. Vois donc cette princesse, là-bas, si hautaine, si confiante. On dit qu’elle a des prétentions littéraires. Espérons que cela remplit son existence car elle n’aura que peu de choses en dehors. (Un rire amer lui échappa.) Pense à cela, Chani, pense à cette princesse qui portera le nom mais qui sera moins qu’une concubine, qui ne connaîtra jamais un instant de tendresse avec l’homme auquel elle est liée. Alors que nous, Chani, nous que l’on nomme concubines… l’Histoire nous appellera : épouses. »
Appendice I
Écologie de Dune
Au-delà d’un point critique dans un espace fini, la liberté décroît comme s’accroît le nombre. Cela est aussi vrai des humains dans l’espace fini d’un écosystème planétaire que des molécules d’un gaz dans un flacon scellé. La question qui se pose pour les humains n’est pas de savoir combien d’entre eux survivront dans le système mais quel sera le genre d’existence de ceux qui survivront.
Pardot Kynes Premier Planétologiste d’Arrakis.
Aux yeux du nouvel arrivant, Arrakis apparaît comme une terre d’une désolation absolue. L’étranger pense immédiatement que rien ne peut y vivre ou y pousser, qu’il a devant lui un désert qui n’a jamais connu la fertilité et ne la connaîtra jamais.
Pour Pardot Kynes, la planète n’était qu’une forme d’énergie, une machine mue par son soleil. Il suffisait de la façonner pour répondre aux besoins des hommes et, immédiatement, il pensa à la population humaine d’Arrakis qui se déplaçait librement à la surface d’Arrakis : les Fremen. Quel défi ils représentaient ! Et quel outil ! Une force écologique et géologique de potentiel quasi illimité.
Pardot Kynes était un homme simple et direct. Il lui fallait échapper aux contraintes harkonnens ? Qu’à cela ne tienne. Il épousa une femme fremen. Quand elle lui donna un fils, Liet-Kynes, il entreprit de lui inculquer, ainsi qu’aux autres enfants, les bases de l’écologie, créant pour cela un nouveau langage de symboles qui préparait l’esprit à la manipulation d’un paysage tout entier, de ses climats, de ses saisons, qui rejetait tout concept de force au profit d’une conscience claire de l’ordre.
« Sur toute planète favorable à l’homme, disait Kynes, il existe une sorte de beauté interne faite de mouvement et d’équilibre. Cette beauté produit un effet dynamique stabilisateur qui est essentiel à l’existence. Sa fonction est simple : maintenir et produire des schémas coordonnés de plus en plus diversifiés. C’est la vie qui augmente la capacité de tout système clos à entretenir la vie. La vie dans sa totalité est au service de la vie. Au fur et à mesure qu’elle se diversifie, les aliments nécessaires deviennent plus disponibles. Tout le paysage s’éveille, les relations s’établissent, s’interpénètrent. »
Читать дальше