« Pourquoi ne dis-tu rien ? » lança Feyd-Rautha.
Paul se remit en marche. Le silence faisait son effet sur Feyd-Rautha. Il eut un sourire glacé.
« Tu souris, hein », dit Feyd-Rautha, et il bondit avant d’avoir achevé.
Paul s’était attendu à une hésitation et il faillit ne pas se dérober à temps devant le coup. La lame écorcha son bras gauche. Il repoussa la douleur qui jaillit en lui et comprit que la première hésitation qu’il avait notée n’avait été qu’une feinte habile. Son adversaire était plus rusé qu’il ne l’avait cru d’abord. Dans chacune de ses feintes, il devait dissimuler une autre feinte.
« C’est ton Thufir Hawat qui m’a enseigné certains de mes coups, dit Feyd-Rautha. Dommage que ce vieux fou n’ait pas vécu assez longtemps pour me voir. »
Et Paul se souvint alors de ce qu’Idaho lui avait dit une fois : « Ne t’attends qu’à ce qui se passe dans le combat. Ainsi, tu ne seras jamais surpris. »
A nouveau, ils tournaient l’un autour de l’autre, attentifs, le corps ployé.
Paul regarda le visage de son adversaire et y lut, une fois encore, la satisfaction. Feyd-Rautha pouvait-il donc attacher autant d’importance à une simple égratignure ? A moins qu’il n’y ait eu du poison sur la lame ! Mais comment était-ce possible ? Ses propres hommes avaient eu la lame entre les mains et l’avaient testée avant de la lui rendre. Ils avaient trop d’expérience pour que ce genre de chose leur échappe.
« Cette femme à qui tu parlais, dit Feyd-Rautha. Est-elle quelque chose pour toi ? Ton petit animal favori ? Faut-il que je lui réserve des attentions particulières ? »
Paul ne répondit pas. Ses sens internes examinaient le sang qui s’écoulait de l’estafilade sur son bras et découvrirent une trace de soporifique. Paul ajusta son métabolisme afin de repousser la menace et modifia la structure moléculaire du soporifique. Mais il ressentait encore un doute. Ils avaient enduit la lame de soporifique. Un soporifique qui pouvait tromper le goûte-poison mais qui était assez puissant, pourtant, pour ralentir les muscles. L’ennemi avait ses propres plans-gigognes, ses stratagèmes à tiroirs.
A nouveau, Feyd-Rautha bondit et frappa.
Paul, un sourire figé sur ses lèvres, feinta avec une lenteur calculée, comme s’il était sous l’effet de la drogue. A la dernière fraction de seconde, il frappa et la pointe du krys rencontra le bras de Feyd-Rautha.
Celui-ci se déroba et rompit, le couteau dans la main gauche, maintenant, le visage pâle. L’acide mordait la blessure.
Offrons-lui un moment de doute , se dit Paul. Laissons-le croire au poison.
« Traîtrise ! cria Feyd-Rautha. Il m’a empoisonné ! Je sens le poison dans mon bras ! »
Et Paul parla pour la première fois : « Ce n’est rien qu’un peu d’acide pour répondre au soporifique sur la lame de l’Empereur. »
Feyd-Rautha, le regard brillant de rage, leva son couteau en une dérision de salut.
Paul prit son krys dans la main gauche et se remit à tourner en silence.
Feyd-Rautha se rapprocha, brandissant haut la lame de l’Empereur. La colère se lisait dans ses yeux à demi fermés et la ligne de sa mâchoire. Il feinta sur la droite, un peu en dessous, et ils se retrouvèrent l’un contre l’autre, leurs lames liées.
Paul obligea son adversaire à pivoter. Il se méfiait de la hanche droite où devait se dissimuler une aiguille empoisonnée. A l’instant où elle pointa, il faillit ne pas la voir. Il fut alerté par un mouvement de Feyd-Rautha, un relâchement de ses muscles et l’aiguille ne le manqua que d’une infime fraction de centimètre.
Elle était sur la hanche gauche !
Piège sur piège , se dit Paul. Il utilisa le contrôle Bene Gesserit pour relâcher ses muscles afin de provoquer un réflexe de Feyd-Rautha mais, essayant d’échapper à la menaçante pointe, il trébucha, tomba sur le sol et Feyd-Rautha s’abattit sur lui.
« Tu la vois hein, là, sur ma hanche ? murmura-t-il. C’est ta mort, fou. (Il roula sur lui-même et l’aiguille se rapprocha du flanc de Paul.) Je vais d’abord paralyser tes muscles, puis mon couteau t’achèvera. Et il ne restera pas la moindre trace ! »
Tous les muscles de Paul luttaient tandis que, au fond de son esprit, s’élevaient les cris silencieux de ses ancêtres qui exigeaient qu’il prononce le mot-clé qui freinerait Feyd-Rautha et le sauverait, lui.
« Non, je ne le dirai pas ! » souffla-t-il.
Feyd-Rautha le regarda et il eut la plus infime hésitation. Ce qui suffit à Paul pour découvrir la faille dans l’équilibre de son adversaire et pour le faire basculer. Feyd-Rautha se retrouva sous lui, la hanche droite vers le haut, paralysé par l’aiguille qui, sur sa hanche gauche, était maintenant en contact avec le sol.
Paul libéra sa main gauche et son geste fut rendu plus aisé par le sang qui s’écoulait toujours de son bras. Puis il frappa Feyd-Rautha à hauteur de la mâchoire. La pointe du krys se fraya un chemin jusqu’au cerveau. Feyd-Rautha tressaillit et roula, maintenu sur le sol par l’aiguille qui s’y était enfoncée.
Respirant à fond pour retrouver son calme, Paul se redressa et se remit sur pied. Debout au-dessus du corps de Feyd-Rautha, sans lâcher son couteau, il leva lentement les yeux vers l’Empereur.
« Majesté, votre troupe se trouve réduite encore d’un élément. Allons-nous maintenant cesser de tergiverser et de nous donner la comédie ? Allons-nous discuter de mon mariage avec votre fille et de la part de trône qui reviendra ainsi aux Atréides ? »
L’Empereur se retourna et regarda le comte Fenring. Et le comte Fenring affronta son regard. Tous les mots étaient inutiles entre eux, car ils se connaissaient depuis si longtemps que leurs yeux parlaient pour eux.
Tue-le pour moi, disait l’Empereur. Cet Atréides est jeune et plein de ressources, oui… mais il est également fatigué et tu n’auras aucun mal à le vaincre. Défie-le maintenant… tout de suite. Tu sais comment faire. Et tue-le.
Lentement, très lentement, Fenring détourna son regard et ses yeux vinrent enfin se poser sur Paul.
« Allez ! » dit l’Empereur.
Le Comte regardait Paul ainsi que sa Dame Margot le lui avait enseigné, selon la Manière Bene Gesserit. Et il lut le mystère et la grandeur cachés qui habitaient ce jeune descendant des Atréides.
Je pourrais le tuer, oui , songea Fenring. Et il savait bien que c’était la vérité.
Dans ses profondeurs les plus secrètes, quelque chose, alors, retint le Comte. Il eut la vision brève, inadéquate, de sa supériorité vis-à-vis de Paul, du côté secret de sa personne, de la qualité furtive de ses motivations que nul ne pouvait pénétrer.
Et Paul, par le nexus bouillonnant du temps, comprit cela en partie, et il s’expliqua enfin pourquoi il n’avait jamais entrevu Fenring dans la trame des avenirs révélés par sa prescience. Fenring était un Kwisatz Haderach possible qu’une simple faille du schéma génétique avait rejeté, un eunuque dont les talents étaient furtifs, secrets, cachés. Il éprouva alors une compassion profonde pour le Comte, un sentiment de fraternité que jamais encore il n’avait connu.
Fenring s’aperçut de son émotion, la comprit et dit : « Majesté, il me faut refuser. »
La fureur submergea Shaddam IV. Il fit deux pas entre ses gens et gifla à toute volée Fenring.
Le visage du Comte devint sombre. Il leva les yeux, regarda droit dans ceux de l’Empereur et déclara avec une tranquillité délibérée : « Nous avons été amis, Majesté. Ce que je fais maintenant, je ne le fais que par amitié. J’oublierai votre geste. »
Читать дальше