Comme il levait les yeux sur elle, le Baron cessa de trembler. La présence de la Révérende Mère Gaïus Helen Mohiam, Diseuse de Vérité de l’Empereur, révélait l’importance véritable de cette audience. Il observa la suite. Deux agents de la Guilde étaient présents, un personnage gras et grand et un autre petit et gras. Tous deux avaient des yeux au regard gris et doux. Parmi les laquais apparaissait l’une des filles de l’Empereur, la Princesse Irulan, une femme que l’on disait éduquée selon la plus absolue discipline Bene Gesserit et destinée à devenir Révérende Mère. Elle était grande, blonde, d’une beauté fragile, avec des yeux verts qui semblaient regarder bien au-delà du Baron.
« Mon cher Baron…»
L’Empereur daignait s’apercevoir de sa présence. Sa voix au timbre de baryton était admirablement contrôlée et il parvenait, par son ton seul, à congédier le Baron tout en l’accueillant.
Le Baron s’inclina profondément et s’avança jusqu’à dix pas du dais, selon l’usage. « Je suis accouru selon votre volonté, Majesté. »
« Votre volonté ! » railla la vieille sorcière.
« Allons, Révérende Mère, dit l’Empereur. Mais il souriait du trouble du Baron en poursuivant : Tout d’abord, dites-moi où vous avez envoyé votre mignon, Thufir Hawat. »
Le regard du Baron alla de droite à gauche. Il s’en voulait d’être ainsi venu sans ses gardes personnels. Bien sûr, ceux-ci eussent été de peu d’utilité face aux Sardaukar. Cependant…
« Eh bien ? »
« Il est parti depuis cinq jours, Majesté. (Le Baron jeta un rapide coup d’œil aux agents de la Guilde avant de revenir à l’Empereur.) Il devait se rendre dans une base de contrebandiers et essayer d’infiltrer ses hommes dans le camp du Fremen fanatique, Muad’Dib. »
« Incroyable ! » s’exclama l’Empereur.
La main de rapace de la sorcière se referma sur l’épaule de l’Empereur. Elle se pencha en avant et chuchota à son oreille.
L’Empereur acquiesça et dit : « Depuis cinq jours, Baron… Dites-moi, pourquoi ne vous êtes-vous pas soucié de son absence ? »
« Mais je suis inquiet, Majesté ! »
L’Empereur ne le quitta pas du regard. La Révérende Mère émit un rire caquetant.
« Ce que je veux dire, Majesté, reprit le Baron, c’est que Hawat mourra dans quelques heures. » Et il expliqua alors ce qu’il en était du poison latent et de l’antidote.
« Très habile, Baron, dit l’Empereur. Et où sont donc vos neveux, Rabban et le jeune Feyd-Rautha ? »
« La tempête arrive, Majesté. Je les ai envoyés inspecter notre périmètre, craignant une attaque fremen. »
« Le périmètre… dit l’Empereur. (Il semblait avoir craché le mot.) La tempête n’affectera guère ce bassin, et la racaille fremen n’attaquera pas aussi longtemps que je serai là avec mes cinq légions de Sardaukar. »
« Certainement pas. Majesté, dit le Baron, mais la sécurité doit tenir compte de l’erreur. »
« Ahh, fit l’Empereur. Il faut en tenir compte, oui. Alors, que dire de tout le temps que cette comédie d’Arrakis m’a coûté ? Et je ne parle pas des bénéfices de la CHOM. qui s’engloutissent dans ce trou de rat. Ni des problèmes d’État et de juridiction que j’ai dû retarder ou annuler à cause de cette stupide histoire…»
Le Baron baissa la tête, effrayé par la colère impériale. Il était seul ici, il ne dépendait plus que de la Convention et du dictum familia des Grandes Maisons, et cela le mettait mal à l’aise.
Est-ce qu’il a l’intention de me tuer ? se demanda-t-il. Non, il ne le peut pas ! Pas avec les Grandes Maisons qui le guettent et qui attendent de tirer un quelconque profit de cette crise.
« Avez-vous capturé des otages ? » demanda l’Empereur.
« C’est inutile, Majesté, dit le Baron. Ces fous de Fremen honorent chaque prisonnier selon le cérémonial funèbre et se comportent comme s’il était déjà mort. ».
« Vraiment ? » dit l’Empereur.
Et le Baron attendit, regardant furtivement les murs de métal du selamlik, songeant à la monstrueuse tente qui s’étendait autour de lui, s’élevait au-dessus de lui, songeant aussi à la richesse que cela représentait. Il amène des pages, songea le Baron, et des laquais inutiles, ses femmes et ses compagnons, ses coiffeurs, ses dessinateurs, tout. Tous les parasites de la Cour jusqu’aux plus infimes. Ils sont tous là… Ils grouillent, ils complotent leurs petites intrigues, ils tournent autour de lui… Ils sont là pour le voir mettre un terme à cette affaire, pour écrire des épigrammes sur la bataille et idolâtrer les blessés.
« Peut-être, dit l’Empereur, n’avez-vous pas songé aux otages qui convenaient. »
Il sait quelque chose , pensa immédiatement le Baron. Et la peur pesa sur son estomac, comme une pierre très lourde, très froide. C’était comme la faim et le désir de commander immédiatement à manger lui vint et il le repoussa, tremblant entre ses suspenseurs. Autour de lui, il n’y avait personne pour obéir à ses ordres.
« Selon vous, Baron, qui peut bien être ce Muad’Dib ? » demanda l’Empereur.
« Certainement un Umma, un fanatique, un aventurier. Ils apparaissent régulièrement sur ces frontières. Votre Majesté sait bien cela. »
L’Empereur regarda sa Diseuse de Vérité puis ses yeux revinrent sur le Baron. « Et vous n’avez aucun autre renseignement sur ce Muad’Dib ? »
« Un fou, dit le Baron. Mais tous les Fremen sont un peu fous. »
« Fous ? »
« Ils crient son nom quand ils vont au combat. Les femmes lancent leurs bébés sur nos hommes et s’empalent sur nos couteaux pour ouvrir une brèche à leurs hommes quand ils attaquent. Ils n’ont pas… de… de décence ! »
« C’est grave, dit l’Empereur. (Et la dérision qui imprégnait ses paroles n’échappa pas au Baron.) Dites-moi, mon cher Baron, avez-vous exploré les régions du sud polaire d’Arrakis ? »
Le Baron le regarda, surpris par le soudain changement de sujet. « Mais… Mais, Votre Majesté sait bien que toute cette région est inhabitable, entièrement livrée au vent et aux vers. Il n’y a même pas d’épice sous ces latitudes. »
« Jamais aucun équipage des vaisseaux à épice ne vous a rapporté avoir aperçu des zones vertes dans ces régions ? »
« Oui, il y a eu de tels rapports. Certains ont donné lieu à des enquêtes… il y a longtemps. On a décelé quelque végétation. Beaucoup d’ornithoptères ont été perdus. Beaucoup trop. Cela coûte cher, Votre Majesté. Les hommes ne peuvent survivre longtemps dans un tel territoire. »
« Certainement », dit l’Empereur. Il claqua les doigts et une porte s’ouvrit à gauche, derrière le trône. Deux Sardaukar apparurent, escortant une fillette qui ne semblait pas avoir plus de quatre ans. Elle portait une aba noire dont le capuchon était rejeté en arrière, révélant les fixations d’un distille. Ses yeux bleus étaient ceux des Fremen. Son visage était rond, avec des traits doux. Elle ne semblait pas éprouver la moindre peur et il y avait même dans son regard quelque chose qui mit le Baron mal à l’aise.
La vieille Diseuse de Vérité elle-même fit un pas en arrière lorsque l’enfant passa devant elle et elle esquissa un signe dans sa direction.
L’Empereur s’éclaircit la gorge pour parler, mais ce fut la fillette qui prit la parole. Sa voix était aiguë avec un très léger zézaiement enfantin, mais claire et nette, pourtant. « Ainsi c’est lui, dit-elle. (Elle s’avança au bord du dais.) Il n’a pas grande allure, non ? Un vieil homme empli de peur, trop faible pour supporter sa propre graisse sans l’aide des suspenseurs. »
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