Au-delà du vaisseau, la cité d’Arrakeen était figée, froide et brillante.
Ce n’était pas tant le vaisseau qui excitait Stilgar que la construction qui s’élevait à proximité. Un vaste camp métallique, une seule et immense tente faite de feuilles de métal, haute de plusieurs étages, et qui s’étendait en un cercle dont le vaisseau occupait le centre et qui devait mesurer près de mille mètres de rayon. C’était là que résidaient temporairement sa Majesté Impériale, l’Empereur Padishah Shaddam IV et ses cinq légions de Sardaukar.
Accroupi à côté de Paul, Gurney Halleck remarqua : « Je compte en tout neuf niveaux. Cela doit faire un certain nombre de Sardaukar. »
« Cinq légions », dit Paul.
« Il va faire jour, murmura Stilgar. Nous n’aimons pas que tu t’exposes ainsi, Muad’Dib. Retournons aux rochers, maintenant. »
« Je suis tout à fait en sécurité ici », dit Paul.
« Ce vaisseau est équipé d’armes à projectiles », dit Gurney.
« Ils croient que nous sommes protégés par des boucliers, observa Paul. Même s’ils nous apercevaient, ils ne gâcheraient pas leurs munitions sur un trio non identifié. »
Paul braqua le télescope sur la paroi opposée du bassin, sur les taches sombres qui, au flanc de la falaise, marquaient les tombes de tant d’hommes de son père. Et les ombres de ces hommes, en ce moment, regardaient peut-être. Les cités et les citadelles harkonnens étaient toutes tombées aux mains des Fremen ou bien, isolées, elles dépérissaient comme des branches sectionnées. Seuls ce bassin, cette cité appartenaient encore à l’ennemi.
« Ils pourraient tenter une sortie en ornis, s’ils nous voyaient », dit Stilgar.
« Qu’ils viennent, dit Paul. Nous avons des ornis à griller, aujourd’hui… et nous savons qu’une tempête approche. »
A nouveau, il fit pivoter le télescope et observa le terrain de débarquement d’Arrakeen où s’alignaient les frégates d’Harkonnen sous une bannière de la Compagnie CHOM qui flottait dans le vent léger. Il fallait que la Guilde fût désespérée pour avoir ainsi autorisé ces deux groupes à débarquer tandis que les autres étaient maintenus en réserve. La Guilde se comportait comme un homme qui tâte le sable du pied pour vérifier sa température avant d’ériger une tente.
« Y a-t-il autre chose à voir ? demanda Gurney. Nous devrions nous mettre à couvert. La tempête arrive. »
Paul revint au campement géant. « Ils ont même amené leurs femmes, dit-il. Et leurs valets, leurs servantes… Ahh, mon cher Empereur, comme vous êtes confiant ! »
« Des hommes approchent par le passage secret, dit Stilgar. Ce doit être Otheym et Korba. »
« D’accord, Stil, fit Paul. Repartons. »
Mais il jeta un dernier coup d’œil dans le télescope sur la vaste plaine et les grands vaisseaux, la tente de métal scintillante, la cité silencieuse, les frégates des mercenaires. Puis il se laissa glisser le long du rocher. Un garde Fedaykin le remplaça devant le télescope.
Il émergea dans un creux ménagé dans la falaise du Bouclier, un repaire naturel d’environ trente mètres de diamètre, profond de trois, que les Fremen avaient dissimulé sous un camouflage translucide. Le matériel radio était groupé autour d’un trou, sur la paroi de droite. Les Fedaykin s’étaient déployés dans l’attente de l’ordre d’attaque.
Deux hommes émergèrent du boyau qui s’ouvrait près de la radio et interpellèrent les gardes.
Paul regarda Stilgar et désigna les deux hommes. « Va prendre leur rapport, Stil. »
Stilgar obéit et s’avança vers les deux hommes.
Paul s’accroupit, le dos contre le rocher, détendant ses muscles, puis se redressa. Stilgar renvoyait les deux hommes par où ils étaient venus et Paul songea à la longue descente qui les attendait au long de l’étroit boyau creusé de main d’homme qui débouchait, là-bas, au fond du bassin.
Stilgar revenait vers lui.
« Était-ce si important qu’ils n’aient pu utiliser un cielago ? » demanda-t-il.
« Ils gardent les oiseaux pour la bataille, dit Stilgar (Il regarda en direction du matériel de communication, puis revint à Paul.) Même avec un faisceau étroit, il ne faut pas utiliser ces choses, Muad’Dib. On pourrait nous détecter en remontant à l’émetteur. »
« Bientôt, dit Paul, ils seront trop occupés pour me retrouver. Que disent les hommes ? »
« Nos Sardaukar apprivoisés ont été relâchés près de la Vieille Faille et retournent vers leur maître. Les lance-fusées et les autres armes à projectiles sont en place. Nos hommes se sont déployés selon tes ordres. Simple routine. »
Le regard de Paul se promena sur les Fedaykin qui attendaient, dans la clarté filtrée par le camouflage. Le temps était comme un insecte cheminant sur un rocher.
« Il faudra un certain temps à nos Sardaukar pour arriver à proximité d’un transport de troupes, dit-il. On les surveille ? »
« On les surveille », dit Stilgar.
Gurney Halleck se racla la gorge avant de demander : « Est-ce que nous ne ferions pas bien de nous mettre à l’abri ? »
« Il n’y a pas d’abri, répliqua Paul. Les rapports sur le temps sont-ils toujours favorables ? »
« La tempête qui arrive est une arrière-grand-mère, dit Stilgar. Est-ce que tu ne le sens pas, Muad’Dib ? »
« L’air me le dit. Mais j’aime mieux m’en assurer en sondant le sable. »
« La tempête sera ici dans une heure », dit Stilgar.
Il désigna la faille qui ouvrait sur le bassin, le camp impérial et les frégates harkonnens.
« Eux aussi le savent, là-bas. Il n’y a pas un orni dans le ciel. Tout est recouvert et arrimé. Leurs petits amis leur ont annoncé le temps depuis l’espace. »
« Plus de sorties ? » demanda Paul.
« Plus depuis le débarquement, la nuit dernière. Ils savent que nous sommes là. Je crois qu’ils attendent maintenant de choisir leur moment. »
« C’est nous qui choisissons », dit Paul.
Gurney leva les yeux et grommela : « S’ils nous en laissent le temps. »
« Cette flotte restera dans l’espace », dit Paul.
Gurney secoua la tête.
« Ils n’ont pas le choix, insista Paul. Nous pouvons détruire l’épice. La Guilde ne courra pas ce risque. »
« Ce sont les gens désespérés qui sont les plus dangereux », dit Gurney.
« Ne le sommes-nous pas, nous ? » demanda Stilgar.
Gurney le regarda, fronçant les sourcils.
« Tu n’as pas vécu avec le rêve fremen, lui dit Paul. Stilgar pense à toute l’eau que nous avons dépensée pour la corruption, à toutes ces années d’attente dans l’espoir de voir naître Arrakis. Il n’est pas…»
« Baahh », fit Gurney.
« Pourquoi est-il si sombre ? » demanda Stilgar.
« Il l’est toujours avant la bataille », dit Paul.
Lentement, un sourire de loup apparut sur le visage de Gurney. Ses dents brillèrent au-dessus de la mentonnière de son distille. « Ce qui me rend sombre, c’est la pensée de tous ces pauvres Harkonnens que nous allons laisser sans sépulture convenable. »
Stilgar sourit. « Il parle comme un Fedaykin. »
« Gurney est né pour les commandos de la mort », dit Paul. Et il songea : Oui, qu’ils occupent leur esprit en bavardant avant que vienne l’heure de se lancer à l’attaque de cette force rassemblée dans la plaine.
Il regarda dans la direction de la faille, puis, comme ses yeux se posaient à nouveau sur Gurney, il vit que le guerrier-troubadour fronçait toujours les sourcils.
« Le chagrin sape les forces, murmura-t-il. Tu m’as dit cela une fois, Gurney. »
« Mon Duc, je me préoccupe surtout des atomiques. Si vous les utilisez pour creuser une brèche dans le Bouclier…»
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