Lamia fit feu à quatre reprises en plein visage. Les lourds projectiles de 16 mm atteignirent leur cible et continuèrent leur trajectoire sifflante dans la nuit.
— Je ne suis pas venue ici pour mourir, créature métallique de mon cul, reprit Lamia en visant posément puis en tirant une douzaine de projectiles qui atteignirent tous leur but.
Des étincelles volèrent. Le gritche redressa la tête comme pour écouter un bruit lointain.
Puis il disparut.
Haletante, Lamia s’accroupit, pivota plusieurs fois sur elle-même, les bras tendus en avant. Mais il n’y avait plus rien. La vallée était éclairée par les étoiles, il y avait une accalmie dans le ciel. Les ombres étaient d’un noir d’encre, mais lointaines. Même le vent avait cessé.
Brawne Lamia retourna en titubant vers ses paquetages, et s’assit sur le plus gros. Elle laissa les battements de son cœur reprendre leur rythme normal. Il était intéressant de constater qu’elle n’avait pas eu peur – pas vraiment, mais elle ne pouvait pas nier la présence d’adrénaline dans son système.
Le pistolet à la main, une demi-douzaine de balles dans le magasin et la charge de propulsion encore forte, elle prit une gourde et but longuement.
Le gritche apparut à côté d’elle. Son arrivée avait été soudaine et silencieuse.
Elle laissa tomber la gourde, en essayant d’amener de l’autre côté le bras qui tenait le pistolet.
Elle aurait pu aussi bien faire ce mouvement au ralenti. Le gritche tendit le bras droit. Les lames de ses doigts, longues comme des aiguilles à repriser, captèrent la lumière. L’une d’elles se glissa derrière sa tête, trouva une certaine partie de son crâne et s’enfonça à l’intérieur sans la moindre sensation de friction, sans autre douleur que celle d’une pénétration glacée et anesthésiante.
Le colonel Fedmahn Kassad avait franchi la porte en s’attendant à quelque chose d’étrange. Au lieu de cela, il ne trouva que l’insanité chorégraphiée de la guerre. Monéta l’avait précédé. Le gritche l’avait escorté, les lames de ses doigts enfoncées dans son avant-bras. Lorsque Kassad émergea de l’autre côté du rideau vibrant d’énergie, Monéta l’attendait et le gritche avait disparu.
Kassad reconnut immédiatement l’endroit où ils se trouvaient. La vue était celle que l’on avait du sommet de la montagne basse où Billy le Triste avait fait sculpter son effigie, près de deux siècles auparavant. L’étroit plateau qui formait le sommet du pic était vide, à l’exception des débris encore fumants d’une batterie défensive de missiles antispatiaux. D’après l’éclat vitrifié du granit et l’aspect du métal fondu encore bouillonnant par endroits, il supposait que la batterie avait été anéantie par un engin en orbite.
Monéta s’avança jusqu’au bord de la falaise, qui dominait, cinquante mètres plus bas, le front massif de Billy le Triste. Kassad la rejoignit. Le spectacle de la vallée, de la cité et du port spatial, dix kilomètres plus haut en direction de l’ouest, était suffisamment éloquent.
La capitale d’Hypérion était en flammes. La vieille ville, Jacktown, était une tempête de feu miniature. Une centaine de foyers secondaires s’éparpillaient dans les faubourgs et le long de l’autoroute du port spatial comme des balises lumineuses allumées à dessein. Même le fleuve Hoolie était en feu, et la nappe de pétrole enflammé se répandait rapidement en direction des anciens quais et entrepôts. Kassad aperçut le clocher d’une vieille église qui se dressait au-dessus du brasier. Il chercha l’emplacement de Chez Cicéron , mais la taverne était cachée par les flammes et la fumée qui venaient de l’amont du fleuve.
Les collines et la vallée formaient une masse en mouvement, comme une fourmilière saccagée d’un coup de botte. Kassad distingua les routes, couvertes d’un flot humain qui s’écoulait plus lentement qu’un vrai fleuve. Des dizaines de milliers de personnes évacuaient la zone des combats. Les éclairs de l’artillerie et des armes énergétiques couvraient tout l’horizon et illuminaient les nuages bas qui flottaient dans le ciel. Toutes les deux ou trois minutes, un engin volant – généralement un glisseur militaire ou un vaisseau de descente – surgissait du nuage de fumée qui entourait le port spatial, ou des collines boisées du nord et du sud. L’atmosphère se remplissait alors de traînées de lumière cohérente venues d’en haut comme d’en bas, et l’engin retombait en laissant derrière lui un sillage de fumée noire et de flammes orangées.
Des aéroglisseurs détalaient sur le fleuve comme des punaises d’eau, zigzaguant au milieu des épaves de bateaux, de barges ou autres glisseurs en flammes. Kassad remarqua que le seul pont qui franchissait le fleuve était détruit. Même sa chaussée et ses butées de pierre et de béton étaient la proie des flammes. Les lasers de combat et les rayons des claps trouaient la fumée ; les missiles antipersonnel étaient visibles sous la forme de taches blanches qui se déplaçaient plus vite que le regard ne pouvait les suivre, en laissant derrière elles des traînées miroitantes d’air superchaud. Sous les yeux mêmes de Monéta et de Kassad, une explosion souleva, aux abords du port spatial, un champignon de flammes.
Ce n’est pas nucléaire , pensa-t-il.
Non , répondit muettement Monéta.
La combinaison qui lui couvrait les yeux agissait comme une visière de la Force considérablement améliorée, et Kassad utilisa toute sa puissance pour observer une colline qui se trouvait à cinq kilomètres au nord-ouest, de l’autre côté du fleuve. Des marines de la Force étaient en train d’en investir le sommet. Certains s’étaient déjà laissés tomber à terre et se servaient de leurs charges creuses pour créer des tranchées individuelles. Leurs armures de combat étaient activées, les polymères de camouflage étaient parfaits. Les signatures thermiques étaient réduites au minimum, mais Kassad n’avait aucune difficulté à les voir. Il pouvait même distinguer les visages, s’il le voulait.
Les canaux de commandement tactique et les faisceaux étroits parvenaient à ses oreilles comme un chuchotement lointain. Il reconnut les exclamations excitées et les obscénités nonchalantes qui sont le propre des combattants depuis trop de générations humaines pour qu’on puisse les compter. Des milliers d’hommes avaient pris position autour du port spatial et des zones de rassemblement. Ils s’enterraient sur un cercle dont la circonférence était à vingt kilomètres de la cité. Les rayons de ce cercle étaient des zones de tir et des vecteurs de destruction totale soigneusement étudiés.
Ils se préparent pour une invasion.
Kassad ressentait l’effort de communication comme un peu plus qu’un message subvocal et un peu moins que de la télépathie.
Monéta leva un bras de vif-argent vers le ciel. Il y avait là un énorme nuage, à deux mille mètres d’altitude au moins, et il eut un choc en voyant sortir de là un point brillant, puis un autre, puis une douzaine et une centaine de vaisseaux qui plongeaient vers le sol. La plupart étaient camouflés par des polymères et par des champs de confinement codés accordés à leur environnement, mais Kassad, là aussi, les distinguait sans difficulté. Sous les polymères, les coques de métal gris portaient des marques discrètes dans la subtile calligraphie des Extros. Les plus gros appareils étaient, de toute évidence, des vaisseaux de descente. Leurs traînes de plasma bleu se voyaient nettement. Les autres descendaient lentement sous le miroitement de leurs champs de suspension. Kassad remarqua la taille et la forme ventrue de leurs cylindres d’invasion, remplis, pour certains, de matériel et d’artillerie, mais probablement vides pour beaucoup d’autres, et destinés à leurrer les défenses au sol.
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