Il lutta, à travers une brume rouge, pour faire surface, sachant qu’une seconde à peine avait dû s’écouler depuis qu’ils avaient touché le sol. Il se remit debout en chancelant. Monéta se redressait également sur un genou. Il vit que plusieurs dalles de céramique avaient été brisées par leur chute.
Il activa les servomécanismes des jambes de son armure et lança violemment son pied vers la tête de Monéta.
Elle évita le coup, lui saisit la jambe, la tordit et le projeta avec violence, trois mètres plus loin, vers la paroi de cristal, qui vola en éclats. Il se retrouva à l’extérieur, dans la nuit, sur le sable.
Monéta porta la main à son cou. Son visage redevint comme du vif-argent. Elle sortit par le même chemin.
Kassad releva sa visière cassée et ôta son casque. Le vent ébouriffa ses cheveux noirs, le sable lui piqua la joue. Il se mit à genoux, puis debout. Sur son col, les indicateurs de son armure étaient au rouge. Les dernières réserves d’énergie s’épuisaient. Il ignora les avertissements. Il n’avait besoin que de quelques secondes. Ce serait suffisant.
— J’ignore ce qui s’est passé dans mon avenir et ton passé, lui dit Monéta en s’approchant, mais ce n’est pas moi qui me suis transformée. Je ne suis pas le Seigneur de la Douleur. Il…
Kassad franchit d’un bond la courte distance qui les séparait maintenant. Il retomba derrière Monéta, et fit parcourir à son gantelet droit un arc de cercle supersonique, le tranchant de la main rendu rigide par les filaments piézoélectriques au carbone-carbone.
Monéta ne fit rien pour parer ou éviter l’attaque. Le gantelet l’atteignit à la base du cou avec une force capable de sectionner un tronc ou de creuser un sillon de cinquante centimètres dans de la pierre. Sur Bressia, lors d’un corps à corps dans la capitale de Buckminster, il avait ainsi tué un colonel extro avec une telle force et une telle rapidité, le gantelet tranchant d’un seul mouvement dans l’armure d’impact, le casque, le champ de force personnel, la chair et l’os, que la tête de l’homme avait battu des paupières durant vingt bonnes secondes en regardant son propre corps avant que la mort l’emporte.
Le coup avait été porté avec précision, mais fut arrêté par la surface de vif-argent. Monéta n’eut aucune réaction, pas le moindre mouvement de recul. Kassad sentit son armure défaillir au moment où son bras devenait gourd et où les muscles de ses épaules se déchiraient de douleur. Il fit un pas chancelant en arrière, le bras droit pendant inerte, l’armure se vidant de son énergie comme une blessure perdant du sang.
— Tu ne m’écoutes pas, lui dit Monéta.
Elle fit un pas en avant, saisit Kassad par le devant de l’armure de combat et le projeta vingt mètres en arrière dans la direction du Tombeau de Jade.
Il retomba lourdement, son armure d’impact épuisée n’absorbant qu’une partie du choc. Son bras gauche avait protégé son visage et son cou, mais l’armure s’était rigidifiée et le bras était maintenant grotesquement déformé sous lui.
Monéta accomplit un bond de vingt mètres pour le rejoindre, s’accroupit à côté de lui, le souleva d’une main, saisit un pan de l’armure de l’autre et la déchira, mettant à l’air deux cents couches de microfilaments et de polymères oméga. Elle lui donna quelques claques légères, presque nonchalantes. Sa tête bascula, et il faillit perdre connaissance. Le vent et le sable crépitaient sur la peau nue de son torse et de son ventre.
Monéta arracha le reste de l’armure, déchirant les biocapteurs et les rétroprocesseurs. Elle le souleva, nu, par les épaules, et le secoua. Kassad sentit le goût du sang dans sa bouche et vit des taches rouges flotter dans son champ de vision.
— Nous n’étions pas obligés d’être ennemis, murmura-t-elle.
— Tu m’as… tiré dessus.
— Pour tester tes réactions, pas pour te tuer.
Ses lèvres remuaient normalement derrière la pellicule de vif-argent. Elle le gifla de nouveau, et il fit un bond de deux mètres pour retomber sur le versant d’une dune où il roula dans le sable froid. L’air était rempli d’un million de particules de neige, de sable et de poussière irisées par la lumière solaire. Kassad roula sur le côté, réussit à se mettre à genoux et s’agrippa au sable de la dune avec des doigts qui n’étaient plus que des griffes mortes.
— Kassad… murmura Monéta.
Il se laissa rouler sur le dos et attendit.
Elle avait désactivé sa combinaison à énergie. Sa peau semblait chaude et vulnérable, d’une pâleur presque translucide. De fines veinules bleues étaient visibles dans la partie supérieure de ses seins parfaits. Ses jambes avaient un galbe musclé, ses cuisses étaient légèrement écartées à l’endroit où elles faisaient jonction avec le reste de son corps. Ses yeux étaient d’un vert profond.
— Tu aimes la guerre, Kassad, murmura-t-elle en se penchant sur lui.
Il lutta pour se dégager, leva le bras pour la frapper. Elle lui cloua les deux poignets d’une seule main au-dessus de sa tête. Une chaleur irradiait de son corps tandis qu’elle frottait, à plusieurs reprises, ses seins contre son torse et se glissait entre ses jambes écartées. Il sentit la courbe de son ventre contre son abdomen.
Il se rendit compte que c’était un viol et qu’il pouvait résister simplement en ne réagissant pas, en la refusant. Mais cela ne marcha pas. L’air semblait liquide autour d’eux. La tempête de sable était lointaine, les particules en suspension dans l’air formaient un rideau de dentelle porté par une brise régulière.
Monéta commença à remuer les hanches au-dessus de lui, contre lui. Il sentit le surgissement implacable de son propre émoi, voulut lutter contre lui, contre elle, en essayant de libérer ses bras. Mais elle était beaucoup plus forte que lui. Du genou droit, elle l’obligea à écarter les jambes. Les pointes de ses seins frottèrent sa poitrine comme des cailloux brûlants. La chaleur de son ventre et de son sexe le fit réagir comme une fleur qui se tend vers la lumière.
— Non ! hurla-t-il.
Mais son cri fut étouffé par la bouche de Monéta qui se colla contre la sienne tandis qu’elle continuait de lui maintenir les poignets d’une main et que, de l’autre, elle le saisissait pour le guider.
Kassad lui mordit la lèvre tandis qu’une intense chaleur l’enveloppait. Plus il se débattait, plus il se rapprochait d’elle et la pénétrait. Il essaya de relâcher tous ses muscles, mais elle se fit plus lourde, jusqu’à ce qu’il soit plaqué contre le sable. Il se souvint des autres fois où ils avaient fait l’amour, trouvant l’un dans l’autre un îlot d’équilibre et de santé mentale au milieu de la guerre qui faisait rage.
Kassad ferma les yeux, rejeta la nuque en arrière pour essayer de retarder l’explosion douloureuse de plaisir qui allait l’engloutir comme une énorme vague. Il sentit le goût du sang sur ses lèvres. Il ignorait si c’était le sien ou celui de Monéta.
Une minute plus tard, tandis qu’ils remuaient encore à l’unisson, Kassad s’aperçut qu’elle lui avait lâché les poignets. Sans hésiter, il l’entoura de ses deux bras, les mains à plat sur son dos, et l’attira violemment contre lui. Puis sa main monta jusqu’à la nuque de Monéta, sur laquelle elle se referma doucement.
Le vent recommença à souffler, les bruits revinrent, le sable vola en tourbillons sur le versant de la dune. Kassad et Monéta se laissèrent glisser sur la pente, dans un creux de chaleur où ils étaient à l’abri de tout, de la tempête, de la nuit, des combats oubliés, à l’abri de tout excepté de l’instant et d’eux-mêmes.
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