Aujourd’hui, avait révélé le conseiller Nansen, le TechnoCentre avait mis au point une arme qui utilisait le même principe, mais sur une plus grande échelle. Le Centre avait hésité à révéler son existence, mais, devant la terrible menace de l’invasion extro…
Les questions posées par les membres du conseil de guerre avaient été énergiques, parfois cyniques, et les militaires s’étaient montrés beaucoup plus sceptiques que les politiciens. Même si le bâton de la mort pouvait débarrasser l’humanité du péril extro, quelles seraient les conséquences sur les populations de l’Hégémonie ?
Il suffisait de les mettre à l’abri dans l’un des mondes labyrinthiens, avait répliqué Nansen en reprenant les arguments déjà cités par Albedo. Cinq mille mètres d’épaisseur de roche suffiraient à mettre tout le monde à l’abri des radiations mortelles.
Jusqu’où ces ondes de mort se propageaient-elles ?
Leur effet diminuait avec la distance, et le seuil mortel se situait à un peu moins de trois années-lumière.
Nansen s’exprimait avec la confiance tranquille d’un super-vendeur récitant pour la énième fois son super-boniment. Cette portée, disait-il, était suffisante pour débarrasser n’importe quel système de l’essaim qui l’attaquait. Les systèmes voisins ne seraient pas affectés. Quatre-vingt-douze pour cent des mondes du Retz se situaient à cinq années-lumière au moins du monde habité le plus proche.
— Et ceux qui ne peuvent pas être évacués ? avait demandé Morpurgo.
Le conseiller Nansen avait alors souri, en écartant les mains comme pour bien montrer qu’il n’y dissimulait rien. Il suffirait de ne pas activer la bombe tant que les autorités de l’Hégémonie n’auraient pas la certitude absolue que tous les citoyens étaient en sécurité. Après tout, ce seraient les humains qui contrôleraient entièrement cette arme.
Feldstein, Sabenstorafem, Peters, Persov et plusieurs autres s’étaient montrés aussitôt enthousiastes. Enfin une arme secrète capable de mettre fin à toutes les guerres. On pourrait lancer un ultimatum aux Extros. Organiser une démonstration.
Désolé, avait dit le conseiller Nansen en exhibant des dents aussi blanches et brillantes que la robe qu’il portait. Il ne pouvait y avoir de démonstration. L’arme ne fonctionnait qu’à pleine puissance, sur un secteur très vaste. Aucun effet physique ne pouvait être constaté, aucune onde de choc au-delà du niveau du neutrino ne pouvait être mise en évidence. Seuls les envahisseurs morts attesteraient le bon fonctionnement de l’arme.
La seule démonstration possible, avait expliqué le conseiller Albedo, c’était d’utiliser la bombe au moins sur un essaim.
L’enthousiasme des membres du conseil de guerre n’avait en rien diminué.
— Parfait, avait déclaré le speaker de la Pangermie, Gibbons. Choisissons un essaim, essayons l’arme sur lui, communiquons les résultats par mégatrans aux autres essaims, et donnons-leur un délai d’une heure pour suspendre leurs attaques. Ce n’est pas nous qui avons déclenché cette guerre. Mieux vaut causer la mort de quelques millions d’ennemis aujourd’hui que poursuivre une guerre qui fera des milliards de victimes au cours de la décennie qui vient.
— Hiroshima , avait murmuré Gladstone, dont c’était à peu près le seul commentaire de la journée.
Mais seule Sedeptra était suffisamment près d’elle pour l’entendre.
Morpurgo avait alors voulu savoir si les IA étaient certaines que les radiations seraient sans danger au-delà de trois années-lumière, et si des tests avaient été effectués.
Le conseillé Nansen s’était contenté de sourire. Répondre oui, c’était admettre qu’il y avait, quelque part, un monceau de cadavres humains dont personne n’avait entendu parler. Répondre non, c’était semer le doute sur la fiabilité de l’arme.
— Nous sommes certains que cela marchera, avait-il murmuré. Nos simulations sont à toute épreuve.
Les IA du groupe de Kiev avaient dit la même chose à propos de la première singularité distrans. Celle qui a détruit la Terre.
Gladstone garda cette pensée pour elle tandis que Morpurgo, Van Zeidt et leurs experts harcelaient Nansen en essayant de lui démontrer que Mare Infinitus ne pourrait jamais être évacuée assez rapidement et que le seul monde du Retz de la première vague d’invasion qui disposât d’un labyrinthe était Armaghast, qui se trouvait à moins d’une année-lumière de Pacem et de Svoboda.
Cela ne suffit pas, cependant, à désamorcer le sourire de Nansen.
— Vous voulez une démonstration, et c’est une demande qui paraît tout à fait légitime, leur dit-il. Vous désirez montrer, une fois pour toutes, aux Extros que vous ne tolérerez pas leur invasion, et vous avez le souci d’épargner un maximum de vies, en particulier celles des populations indigènes.
Il s’interrompit, et croisa les bras devant lui sur la table.
— Pourquoi ne pas choisir Hypérion ? demanda-t-il.
Le brouhaha s’accentua.
— Ce n’est pas à proprement parler un monde du Retz, fit remarquer le speaker Gibbons.
— Il en fait pourtant officiellement partie aujourd’hui, et le terminal distrans de la Force est toujours en place ! s’écria Garion Persov, des services diplomatiques, visiblement déjà convaincu par la suggestion de l’IA.
L’expression austère du général Morpurgo n’avait pas changé.
— Il ne sera plus là très longtemps, dit-il. Nous avons besoin de protéger la sphère de singularité encore quelques heures, mais elle risque de sauter d’un instant à l’autre. Une grande partie d’Hypérion est déjà tombée aux mains des Extros.
— Les ressortissants de l’Hégémonie ont tous été évacués ? demanda Persov.
— Tous, à l’exception du gouverneur général, répondit Singh. Dans la confusion, il est demeuré introuvable.
— Dommage, fit Persov sans grande conviction. Le fait est que le reste de la population est surtout indigène, n’est-ce pas ? Et que les labyrinthes sont aisément accessibles.
Barbre Dan-Gyddis, du ministère de l’Économie, dont le fils dirigeait une plantation de fibroplastes dans la région de Port-Romance, protesta :
— En l’espace de trois heures ? Impossible !
— Je ne serais pas aussi catégorique, fit Nansen en se levant. Nous pouvons diffuser un appel par mégatrans à l’intention des autorités du Conseil intérieur qui sont restées dans la capitale, et l’évacuation commencera immédiatement. Il y a des milliers d’accès aux labyrinthes d’Hypérion.
— La capitale, Keats, est assiégée, grogna Morpurgo. Toute la planète est sous le coup de l’invasion.
Le conseiller Nansen hocha tristement la tête.
— Bientôt, les barbares passeront tout le monde au fil de l’épée, dit-il. Mesdames et messieurs, je sais que le choix est difficile. Mais l’arme est fiable. Si elle est utilisée, il n’y aura plus un seul envahisseur dans l’espace d’Hypérion. Des millions d’habitants de cette planète seront sauvés, et les forces d’invasion qui convergent sur le Retz seront stoppées. Nous savons que ce qu’ils appellent leurs essaims frères communiquent entre eux par mégatrans. L’anéantissement de l’essaim d’Hypérion constituera la meilleure dissuasion possible.
Il secoua de nouveau la tête, et regarda autour de lui avec une expression de sollicitude presque paternelle. Une telle sincérité peinée ne pouvait être simulée.
— La décision vous appartient, reprit-il. C’est à vous de déterminer si vous voulez utiliser cette arme ou faire comme si elle n’existait pas. Le TechnoCentre répugne à supprimer des vies humaines, mais aussi à les laisser supprimer sans réagir. Dans ce cas précis, où des milliards d’êtres humains sont menacés, je pense que…
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