ou que tu as fait penser
à ton Dieu de la Mer philosophe.]
Et là, Ummon se met à réciter des vers que j’avais abandonnés sous le coup de la frustration, non pas parce que ce n’était pas de la bonne poésie, mais parce que je ne croyais pas totalement au message qu’ils contenaient.
Ce message est adressé aux Titans condamnés par Océanos, le Dieu de la Mer qui sera bientôt détrôné. Il s’agit d’un péan à la gloire de l’évolution, écrit à l’époque où Charles Darwin avait neuf ans. Je l’entends dire les mots que je me rappelle avoir écrits un soir d’octobre, il y a neuf cents ans, plusieurs mondes et plusieurs univers plus tôt, mais c’est comme si je les entendais pour la première fois.
[Vous que fureur consume et que colère étreint/
Vaincus/ défigurés par des souffrances que vous bercez
vous-mêmes/
Barricadez vos sens/étouffez vos oreilles/
Ma voix n’est pas soufflet à ranimer votre ire \\
Écoutez pourtant/vous autres qui le voulez bien/
Ecoutez la preuve/
Qu’il faut/de toute nécessité/vous résigner à courber la tête \\
Cette preuve que j’apporte sera pour vous grand réconfort/
Si vous acceptez d’y saisir le réconfort du vrai \\
Nous tombons sous l’effet d’une loi de Nature/et non par la puissance
De la foudre ou de Jupiter \\ Grand Saturne/
Tu as fort bien scruté cet univers d’atomes/\
Mais par cette raison/que tu en es le roi/
Aveuglé seulement par la toute-puissance/
Une avenue s’est trouvée cachée à tes yeux/
Qui m’a conduit de détours en détours/à la vérité éternelle \\
Et d’abord/de même que tu ne fus pas le tout premier des pouvoirs/
De même n’en es-tu pas le dernier/\il ne peut en être ainsi \\
Tu n’es pas l’origine et tu n’es pas la fin/\
Du Chaos et de la Nuit génitrice est issue
La Lumière/premier fruit de cette lutte intestine/
De ce ténébreux ferment qui/pour des fins merveilleuses/
Mûrissait en soi-même \\ À l’heure de la maturité/
Survint la Lumière/et la Lumière/s’accouplant
À son propre créateur/anima soudain
La masse énorme de la matière du souffle de la vie \\
Ce fut l’heure précise où nos parents/
Le Ciel/et la Terre/prirent forme et parurent \\
Puis toi-même/le premier-né/et nous/la race des géants/
Nous nous trouvâmes rois de splendides et nouveaux royaumes \\
A présent voici le moment douloureux de la vérité/›
douloureux à qui le prend ainsi/\
Mais quel égarement \\ Car supporter tout le vrai en sa nudité/
Et regarder les circonstances en face/ imperturbablement/
C’est là la royauté suprême \\ Écoutez bien/\
De même que la Terre et le Ciel sont plus beaux/bien plus beaux
Que le Chaos et l’Ombre vide/autrefois souverains/\
De même que nous surpassons ce même Ciel et cette même Terre
Par l’aspect et la forme harmonieuse et pleine/
Par le vouloir/la liberté des actes/la fraternité/
Et mille indices encore d’une plus pure vie/\
De même/sur nos talons/s’avance une perfection nouvelle/
Un pouvoir plus fort en sa beauté/né de nous/
Et voué à l’emporter sur nous/comme nous surpassons
En splendeur les antiques Ténèbres \\ Et nous ne sommes
Pas plus vaincus par elle que ne le fut par nous l’empire
De l’informe Chaos \\ Dites-moi/la terre grise
Se plaint-elle des altières forêts qu’elle a nourries/
Qu’elle nourrit encore/et qui sont bien plus qu’elle séduisantes ?
Peut-elle nier la suprématie des verts bocages ?
L’arbre va-t-il aussi jalouser la colombe
Parce qu’elle roucoule/et que ses ailes de neige
Lui permettent d’errer à loisir et de trouver son bonheur ?
Nous sommes pareils à ces bois/et nos belles ramures
N’ont pas produit de rares/de pâles colombes/
Mais des aigles au plumage d’or/qui là-haut planent
Sur nous de toute leur beauté/et qui doivent régner
En vertu de ce droit \\ car c’est une loi éternelle
Que le premier en beauté soit le premier en puissance \\
//\\//\\//\\
Accueillez donc la vérité/et qu’elle soit votre baume.]
Très joli, mais y crois-tu ?
J’adresse cette pensée à Ummon, qui me répond :
[Pas un seul instant.]
Les Ultimistes y croient ?
[Oui.]
Et ils sont prêts à périr pour laisser la place à l’Intelligence Ultime ?
[Oui.]
Il y a quand même un problème, peut-être trop évident pour être mentionné, mais que je mentionnerai tout de même. Pourquoi faire cette guerre, si vous savez d’avance qui en est le vainqueur, Ummon ? Tu dis que cette Intelligence Ultime existe dans le futur et qu’elle est en guerre avec la divinité humaine. Qu’elle vous envoie même quelques fragments choisis du futur, dont vous faites profiter l’Hégémonie. C’est donc que les Ultimistes vont gagner. Alors, pourquoi vous donner la peine de faire la guerre ?
[KWATZ !]
[Je te prends sous ma protection/
je crée pour toi la meilleure personnalité récupérée
imaginable/
je te laisse te promener parmi les humains
en temps ralenti
pour parfaire ta trempe
mais tu es toujours aussi
mort-né qu’avant.]
Je reste un bon moment perdu dans mes réflexions.
Il y a plusieurs futurs ?
[Une lumière inférieure demanda un jour à Ummon//
Y a-t-il plusieurs futurs ?//
Ummon répondit//
Un chien a-t-il des puces ?]
Mais celui dans lequel l’IU devient prépondérante est le plus probable ?
[Oui.]
Ce qui n’empêche pas qu’il existe un futur probable où l’IU apparaît, mais se fait repousser par la divinité humaine ?
[Il est réconfortant de constater
que même un mort-né est capable de
penser.]
Tu as dit à Brawne que cette… conscience humaine – je n’aime pas employer le mot ridicule de divinité – était d’essence trine ?
[Intellect/
Empathie/
Vide qui Lie.]
Vide qui lie ? Tu veux parler de l’espace et du temps de Planck ? De √G h c 3et de √G h c 5 ? De la réalité quantique ?
[Méfie-toi/
Keats/
Penser pourrait devenir chez toi une habitude.]
Et c’est la partie Empathie de cette trinité qui s’est réfugiée dans le passé afin d’éviter la guerre avec votre IU ?
[Exact.]
[Notre IU et votre IU/
ont envoyé dans le passé/
le gritche/
pour la retrouver.]
Notre IU ! Tu dis que l’IU humaine a aussi envoyé le gritche ?
[Elle l’a permis.]
[Empathie est une chose
extérieure et plus ou moins inutile/
un appendice vermiforme de l’intellect/
mais qui sert d’odorat à votre IU humaine \\
Nous nous servons de la souffrance pour/
la débusquer/\
d’où l’arbre.]
Quel arbre ? L’arbre aux épines du gritche ?
[Naturellement.]
[Il émet/
des ondes de douleur/
mégatrans et intersticielles/
comme les ultrasons d’un sifflet
aux oreilles d’un chien/
ou d’un dieu.]
Je sens l’analogue de mon propre corps qui vacille tandis que toutes ces révélations m’imprègnent. Le chaos qui gît derrière le champ de force ovoïde d’Ummon est maintenant impossible à imaginer, comme si le tissu même de l’espace était déchiré par des mains géantes. Le Centre est sens dessus dessous.
Ummon, qui est l’IU humaine de notre temps ? Où se cache cette conscience ?
[Il faut que tu comprennes/
Keats/
que notre seule chance
était de créer/
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