un Fils de l’Homme/
et Fils de la Machine/
hybride \\
Il fallait rendre ce refuge/
suffisamment tentant/
pour que l’Empathie traquée
le préfère à tous les autres/\
Il fallait une conscience/
aussi divine que ce que l’humanité a produit
de meilleur
depuis trente générations \
une imagination capable de transcender
et l’espace et le temps \\
et de former/
dans cet esprit de paix et d’union/
un lien entre deux mondes
qui puisse permettre au monde/
d’exister pour les deux.]
Dis-moi qui c’est, merde ! Qui est-ce, Ummon ? Cesse de jouer aux devinettes avec moi, informe bâtard ! De qui s’agit-il ?
[Par deux fois tu as refusé
cette divinité/
Keats \\
Si tu refuses
une dernière fois/
tout s’arrête là/
car le temps
manque.]
[Va !
Va mourir pour vivre !
Ou vis encore un peu et meurs
pour nous tous !
De toute manière Ummon et les autres
en ont fini avec
toi !]
[Va-t’en !]
Sous le choc et l’incrédulité je tombe, ou bien je suis expulsé, et je vole à travers le TechnoCentre comme une feuille emportée par le vent, tournoyant dans la mégasphère sans guide ni direction, m’enfonçant dans les ténèbres, hurlant des obscénités aux ombres, émergeant finalement dans la métasphère.
Là, tout n’est qu’étrangeté, vastitude, terreur et obscurité, avec une seule lueur de feu de camp qui brûle tout en bas.
Je plonge vers elle, agitant les bras pour progresser dans une viscosité sans forme.
C’est Byron qui se noie, me dis-je. Ce n’est pas moi !
Sauf si l’on considère que l’on peut se noyer dans son propre sang où baignent des morceaux de poumon effiloché.
Mais je sais maintenant que j’ai le choix. Je peux choisir de vivre et de rester mortel, non pas cybride mais humain, non pas Empathie mais poète.
Nageant contre un courant très fort, je descends dans la lumière.
— Hunt ! Hunt !
Le conseiller de Gladstone accourt en trébuchant, le visage hagard et alarmé. C’est toujours la nuit, mais la fausse lumière qui précède l’aube caresse déjà les carreaux de la fenêtre et les murs.
— Mon Dieu ! s’écrie Hunt en me regardant, horrifié.
Je suis son regard, et je vois les draps et ma chemise de nuit imbibés d’un sang rouge vif, artériel.
Ma toux l’a réveillé. L’hémorragie m’a ramené dans mon lit.
— Hunt !
Je laisse retomber ma tête sur l’oreiller, trop faible pour bouger même le bras. Il s’assoit au bord du lit, pose son bras sur mon épaule, me prend la main. Je sais qu’il sait que je vais mourir bientôt.
— Hunt, lui dis-je à voix basse, j’ai des choses à vous raconter. Des choses étonnantes.
Il me fait taire.
— Plus tard, Severn. Reposez-vous. Je vais vous faire un peu de toilette. Vous me raconterez ça après. Nous avons le temps.
Je fais un effort pour me redresser, mais ne réussis qu’à me raccrocher à son bras. Mes petits doigts crispés sont contre son épaule. Je murmure, tandis qu’un bouillonnement monte lentement dans ma gorge, analogue à celui de la fontaine, en bas :
— Non, Hunt. Plus tellement de temps, maintenant. Plus du tout.
Je sais, en cet instant d’agonie, que je ne suis pas le support élu de l’IU humaine. Ce n’est pas moi qui contribuerai à l’unification des IA et de l’esprit humain. Je ne suis pas l’Élu.
Je ne suis qu’un poète qui se meurt loin de chez lui.
Le colonel Fedmahn Kassad mourut glorieusement au combat. Sans cesser de se battre avec le gritche, conscient de la présence de Monéta uniquement sous la forme d’une ombre floue à la lisière de sa vision, Kassad se décala dans le temps d’un bond vertigineux et pirouetta dans le soleil.
Le gritche replia ses bras et recula. Ses yeux rouges semblaient refléter le sang éclaboussé sur la combinaison de Kassad. Le sang de Kassad.
Le colonel regarda autour de lui. Ils n’étaient pas loin de la vallée des Tombeaux du Temps, mais à une autre époque, lointaine. Au lieu des déserts de sable et de roche de cette région aride, il y avait une forêt qui s’avançait jusqu’à cinq cents mètres de la vallée. Au sud-ouest, à peu près à l’endroit où les ruines de la Cité des Poètes s’étendaient à l’époque de Kassad, se dressait une cité vivante, avec ses tours, ses remparts et ses dômes qui luisaient faiblement dans la lumière du soir. Entre la cité au bord de la forêt et la vallée, des prairies couvertes de hautes herbes vertes ondoyaient sous la douce brise qui soufflait de la lointaine Chaîne Bridée.
À la gauche de Kassad, la vallée des Tombeaux du Temps paraissait inchangée, à l’exception de la falaise, dont les parois s’étaient affaissées, usées par l’érosion ou les glissements de terrain, et maintenant envahies par les herbes. Les tombeaux eux-mêmes avait un aspect neuf, comme si leur construction venait de s’achever. Des échafaudages étaient encore en place autour de l’Obélisque et du Monolithe. Chaque tombeau brillait d’une lumière dorée, comme si ses parois étaient recouvertes de métal précieux. Toutes les portes et ouvertures étaient scellées. Des machines lourdes et énigmatiques entouraient chaque monument. Le Sphinx était encerclé par des câbles massifs et des perches fines qui se déplaçaient dans les deux sens. Kassad avait compris tout de suite qu’il se trouvait dans le futur, peut-être à des siècles ou des millénaires de son propre temps, et que les tombeaux étaient sur le point d’être renvoyés dans le passé, à son époque et au-delà.
Il regarda derrière lui.
Plusieurs milliers d’hommes et de femmes se tenaient, par rangées entières, sur les versants herbeux occupés, en d’autres temps, par la falaise. Ils étaient totalement silencieux, armés, et disposés face à Kassad comme une armée qui attendait son chef pour aller à la bataille. Certains étaient entourés d’une combinaison pulsante à champ de force, mais d’autres ne portaient que la fourrure, les ailes, les écailles, les armes exotiques et les pigments sophistiqués que Kassad avait pu voir, lors de sa dernière visite en compagnie de Monéta, dans le lieu-temps où ses blessures avaient été guéries.
Monéta. Elle se tenait entre Kassad et la multitude, avec sa combinaison au champ pulsant, mais aussi, dessous, un justaucorps qui semblait fait de velours noir. Un foulard rouge était noué autour de son cou. Une arme en forme de matraque fine pendait à sa taille. Son regard était fixé sur Kassad.
Il vacilla légèrement, sentant la gravité de ses blessures sous sa combinaison, mais percevant surtout quelque chose, dans le regard de Monéta, qui le rendait pantelant d’étonnement.
Elle ne le reconnaissait pas. Son expression reflétait la même surprise – ou était-ce de la crainte ? de l’admiration ?#nbsp#– que les rangées de visages. La vallée était silencieuse, à l’exception du claquement occasionnel d’un étendard ou d’une pique au vent, ou encore du bruissement des herbes.
Kassad se tourna vers Monéta, et les yeux de la fille s’agrandirent.
Il regarda par-dessus son épaule.
Le gritche était là, immobile comme une statue de métal, à dix mètres de lui. Les herbes hautes montaient presque à hauteur de ses genoux hérissés de lames et d’épines.
Derrière le gritche, à l’entrée de la vallée, là où commençaient les arbres aux formes sombres et élégantes, des hordes d’autres gritches, des légions, des armées entières de gritches étaient massées, leurs scalpels jetant des feux dans la lumière basse du couchant.
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