— Je ne crois pas. Ils auraient pu le faire plus facilement avec leurs moyens en orbite. Je pense qu’ils vont plutôt investir la capitale. Leurs vaisseaux de descente et leurs chuteurs se posent à une dizaine de kilomètres du centre.
— Ce sont nos territoriaux qui résistent ?
Arundez se mit à rire. Ses dents très blanches luisaient par contraste avec sa peau mate.
— Les territoriaux, à l’heure qu’il est, sont à mi-chemin d’Endymion et de Port-Romance. Mais les derniers rapports, il y a dix minutes, avant que les lignes com ne soient toutes embouteillées, annonçaient qu’il y avait également des combats dans ces villes. Non… Les seules forces qui résistent encore sont les marines affectés à la garde de la cité et du port spatial. Cependant, ils ne sont plus que quelques dizaines.
— Les Extros n’ont donc pas encore détruit ou pris le port spatial.
— Aux dernières nouvelles, non, pas encore. Mais nous allons bientôt savoir à quoi nous en tenir. Agrippez-vous !
Le voyage de dix kilomètres jusqu’au port spatial, par l’autoroute des personnalités officielles ou par les couloirs de circulation aérienne qui la doublaient, ne durait ordinairement pas plus de quelques minutes, mais l’itinéraire suivi par Arundez autour des collines, au ras des vallées et entre les arbres rendait le trajet plus long et plus intéressant. Le consul tourna la tête pour contempler les versants, sur sa droite, où brûlaient des camps de réfugiés. Des hommes et des femmes, tapis sous les arbres ou derrière des rochers, baissèrent la tête sur leur passage. Le consul aperçut un détachement de marines de la Force retranchés au sommet d’une colline, mais leur attention semblait se concentrer exclusivement au nord, d’où venaient des successions de rayons laser. Arundez vit les marines en même temps que lui, et fit une violente embardée sur sa gauche, piquant vers le fond d’un ravin à peine quelques secondes avant que les sommets des arbres de la crête ne soient tranchés comme par une cisaille invisible.
Ils regrimpèrent, à la sortie du ravin, par-dessus la crête finale, et les grilles du port spatial apparurent devant eux. Toute la zone était illuminée par les halos bleus et violets des champs de confinement ou d’interdiction. Ils n’étaient plus qu’à un kilomètre des installations lorsqu’un laser de visée à faisceau serré troua soudain le ciel et le balaya jusqu’à ce qu’il les trouve tandis qu’une voix, à la radio, ordonnait :
— Glisseur non identifié, posez-vous immédiatement ou vous serez détruit.
Arundez obtempéra.
La ligne d’arbres, dix mètres plus loin, sembla se mettre à miroiter. Soudain, ils furent entourés de spectres en combinaison de polymère caméléon activée. Arundez avait ouvert les bulles du cockpit. Des fusils d’assaut se braquèrent sur les deux occupants du glisseur.
— Descendez immédiatement de cet engin, fit une voix désincarnée derrière le miroitement du dispositif de camouflage.
— Le gouverneur général est avec nous, leur cria le consul. Laissez-nous entrer !
— Épargnez-nous vos conneries ! lança une voix qui avait l’accent du Retz. Et descendez de là !
Le consul et Arundez se dégagèrent de leurs harnais et se préparaient à obéir lorsqu’une voix, à l’arrière de l’engin, aboya :
— Lieutenant Mueller, c’est vous ?
— Euh… Oui, monsieur.
— Est-ce que vous me reconnaissez, lieutenant ?
Le polymère de camouflage se dépolarisa. Un marine revêtu d’une armure de combat au complet apparut à moins d’un mètre du glisseur. Son visage était entièrement dissimulé par une visière, mais la voix était jeune.
— Oui, monsieur… euh… le gouverneur. Désolé de ne pas vous avoir reconnu tout de suite, sans vos lunettes. Mais… vous êtes blessé, monsieur.
— Je sais que je suis blessé, lieutenant. C’est pour cela que ces deux messieurs m’ont escorté jusqu’ici. Ne reconnaissez-vous pas l’ancien consul de l’Hégémonie sur Hypérion ?
— Désolé, monsieur, déclara le lieutenant Mueller en faisant reculer ses hommes jusqu’à la lisière des arbres. La base est fermée.
— Je sais que la base est fermée, lui dit Théo, la mâchoire crispée. J’ai contresigné l’ordre. Mais j’ai aussi autorisé l’évacuation de tout le personnel d’ambassade. Vous avez bien laissé passer leurs glisseurs, n’est-ce pas, lieutenant Mueller ?
Une main se leva sous son gantelet, comme pour gratter la tête abritée par le casque et la visière.
— Euh… oui, monsieur. C’est exact, mais c’était il y a une heure. Les vaisseaux d’évacuation sont déjà partis, et…
— Mueller ! Pour l’amour de Dieu, branchez votre communicateur tactique et demandez au colonel Gérasimov la permission de nous laisser passer.
— Le colonel a été tué, monsieur. Nous avons essuyé une attaque dans le secteur est, et…
— Le capitaine Lewellyn, dans ce cas.
Théo s’affaissa en avant, puis se retint au dossier du siège occupé par le consul. Son visage était d’une pâleur qui faisait contraste avec le sang dont il était couvert.
— Euh… Les canaux de communication tactique sont hors d’usage, monsieur. Les Extros ont brouillé nos fréquences avec…
— Lieutenant ! articula avec effort Théo Lane sur un ton que le consul ne l’avait jamais entendu utiliser. Vous m’avez identifié visuellement. Vous avez scanné mon implant d’identité. Maintenant, je vous ordonne de nous laisser passer ou de nous faire tirer dessus.
Le marine en armure de combat se tourna vers la lisière des arbres comme s’il pesait réellement chacun des termes du dilemme.
— Les vaisseaux de descente sont tous repartis, monsieur. Aucune nouvelle arrivée n’est prévue.
Théo hocha la tête. Le sang avait séché et formait des plaques sur son front, mais un nouveau filet venait de se former à limite de son cuir chevelu.
— Le vaisseau en quarantaine est bien dans la fosse n°9, n’est-ce pas ?
— Oui, monsieur le gouverneur, répondit Mueller en reportant enfin son attention sur Théo. Mais c’est un appareil civil, qui ne peut pas prendre l’espace avec tous ces Extros dans le…
Théo lui intima le silence d’un geste impérieux, puis fit signe à Arundez de rouler vers l’enceinte du port. Le consul ne quittait pas des yeux les défenses, les champs d’interdiction et, sans doute, les mines à pression qui n’allaient pas manquer de les arrêter dans moins de dix secondes. Il vit le lieutenant des marines faire un signe à ses hommes, et un diaphragme s’ouvrit dans le champ d’énergie bleu et violet qui leur faisait face. Aucun coup de feu ne partit. Trente secondes plus tard, ils roulaient sur le dur à l’intérieur du port spatial. Quelque chose d’important brûlait au nord des installations. Sur leur gauche, un amas indescriptible de véhicules et de modules de commandement de la Force baignait dans une mare de plastique encore en ébullition.
Il y avait des gens à l’intérieur , songea le consul.
Une fois de plus, il sentit une boule lui monter à la gorge.
La fosse n°7 avait été détruite. Ses parois circulaires renforcées de dix centimètres d’épaisseur de carbone-carbone avaient été fendues comme s’il s’agissait de carton. La fosse n°8 brûlait avec une intensité blanche qui suggérait l’usage de grenades au plasma. La fosse n°9 était intacte. Le nez du vaisseau du consul émergeait, à peine visible à travers le miroitement d’un champ de confinement de classe 3.
— La quarantaine a bien été levée ? demanda le consul.
Théo laissa retomber sa tête sur la banquette capitonnée.
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