— À mon avis, ils demanderont à négocier, était en train de dire le sénateur Richeau. Ils commenceront par arguer du fait accompli que représente la prise de neuf planètes, puis ils chercheront à instaurer, en discutant très dur avec nous, un nouvel équilibre du pouvoir. Même si leurs deux vagues d’invasion ont réussi, cela ne représente que vingt-cinq mondes sur près de deux cents dans l’ensemble du Retz et des protectorats.
— C’est vrai, intervint le chef de la diplomatie, Persov. Mais n’oubliez pas, sénateur, que parmi ces mondes figurent quelques-unes de nos planètes les plus importantes au plan stratégique. Prenez celle-ci, par exemple. TC 2ne figure que deux cent trente-cinq heures derrière Heaven’s Gate sur le programme d’invasion des Extros.
Lé sénateur Richeau fixa Persov jusqu’à ce que celui-ci baisse les yeux.
— Je sais parfaitement tout cela, dit-elle froidement. J’affirme simplement qu’il est impossible que les Extros agissent uniquement par esprit de conquête. Ce serait pure folie de leur part. La Force ne permettra d’ailleurs pas à la deuxième vague de pénétrer aussi profondément dans nos lignes. Cette prétendue invasion ne peut être qu’un prélude à la négociation.
— C’est possible, fit le sénateur Roanquist, de Nordholm. Mais pour qu’il y ait des négociations, il faut que…
— Attendez, lui dit Gladstone.
Les données affichées indiquaient maintenant qu’il y avait plus de cent vaisseaux extros en orbite autour d’Heaven’s Gate. Les forces terrestres avaient reçu pour instructions de ne pas tirer les premières, et aucun signe d’activité n’était visible dans la trentaine d’images mégatransmises dans la salle du conseil de guerre. Tout à coup, cependant, la couverture nuageuse au-dessus de l’agglomération de Plaine des Boues s’illumina comme si l’on venait d’allumer des projecteurs géants. Une douzaine de faisceaux larges de lumière cohérente fouillèrent la ville et la baie, prolongeant l’illusion des projecteurs et donnant à Gladstone l’impression que des colonnes blanches géantes venaient d’être érigées entre le sol et le plafond nuageux.
L’illusion prit subitement fin lorsqu’un tourbillon de flammes et de destruction fit éruption à la base de chacune de ces colonnes de lumière de cent mètres de diamètre. L’eau de la baie se mit à bouillonner jusqu’à ce que d’immenses geysers de vapeur obscurcissent les caméras les plus proches. Les vues d’altitude montraient des bâtiments centenaires qui prenaient feu dans toute la ville, implosant comme si une tornade se déplaçait rapidement de l’un à l’autre. Les jardins et les parcs de l’esplanade, célèbres dans tout le Retz, s’embrasèrent, projetant des débris comme si une charrue gigantesque les labourait. Les fougères géantes, certaines âgées de deux cents ans, se courbaient comme sous le souffle d’un cyclone. Les flammes les gagnèrent aussi, et laissèrent un sol carbonisé à leur place.
— Les rayons proviennent d’un vaisseau-torche de la classe du Bowers ou bien de son équivalent extro, expliqua l’amiral Singh, rompant le silence.
Toute la cité était maintenant en flammes. Tout explosait, tout était éventré par les colonnes de lumière, tout était déchiré. Il n’y avait pas de canal audio attaché à ces images mégatrans, mais Gladstone avait l’impression d’entendre monter des hurlements.
L’une après l’autre, les caméras au sol cessèrent de fonctionner. Les vues prises de la station de production d’atmosphère disparurent dans un grand éclair blanc. Les caméras aéroportées étaient déjà détruites. Les quelque vingt écrans diffusant des images prises du sol s’éteignirent les uns après les autres, dans une terrible explosion écarlate qui donna envie à tous ceux qui étaient présents dans la salle de se frotter les yeux.
— Explosion de plasma, expliqua Van Zeidt. Puissance réduite en mégatonnes.
La dernière image avait montré des installations de défense de la Force aéronavale dans le secteur nord du canal intercités.
Soudain, toutes les images restantes disparurent en même temps. Aucune donnée n’arrivait plus. Les lumières de la salle s’allumèrent pour compenser une obscurité si soudaine que tout le monde avait retenu son souffle.
— L’émetteur mégatrans primaire a cessé de fonctionner, expliqua Morpurgo. Il se trouvait dans la base de la Force de la région de High Gate, protégé par notre champ de confinement le plus puissant, sous cinquante mètres de roche et une épaisseur de dix mètres d’alliage d’acier renforcé.
— Charge creuse nucléaire ? demanda Barbre Dan-Gyddis.
— Au minimum, estima le général.
Le sénateur Kolchev se leva. De son imposante stature lusienne émanait une impression de force quasi animale.
— La question est réglée, dit-il. Ces fichus Extros ne sont pas du tout prêts à négocier. Ils viennent de réduire un monde en cendres. La guerre sera totale et sans merci. L’enjeu est tout simplement la survie de la civilisation. Qu’allons-nous faire maintenant ?
Tous les regards se tournèrent vers Meina Gladstone.
Le consul retira Théo Lane, à demi inconscient, de l’épave du glisseur, et parcourut en chancelant une cinquantaine de mètres, le bras de son ex-adjoint passé autour de ses épaules, avant de s’écrouler dans l’herbe sous un arbre de la rive du fleuve Hoolie. Le glisseur n’avait pas pris feu, mais il s’était écrasé contre un mur qui avait arrêté sa course sur le ventre au bout de quelques dizaines de mètres. Des fragments de métal et de polymères céramiques jonchaient la rive et la route déserte.
La ville était en flammes. La fumée obscurcissait la rive opposée, et cette partie du vieux quartier de Jackson donnait l’impression que plusieurs bûchers avaient été allumés en plein air et qu’ils libéraient d’épaisses colonnes de fumée noire qui rejoignaient la couverture de nuages bas. Les lasers de combat et les traînées des missiles continuaient de trouer la brume, explosant quelquefois au contact des leurres métalliques des vaisseaux de débarquement et des bulles des champs de suspension qui continuaient de tomber à travers les nuages comme des fétus de paille emportés par le vent au-dessus d’un champ qui vient d’être moissonné.
— Ça va bien, Théo ?
Le gouverneur général hocha la tête et fit le geste de rajuster ses lunettes sur son nez, mais il interrompit son mouvement, décontenancé, en s’apercevant qu’elles avaient disparu. Du sang coulait sur son bras et sur son front.
— J’ai reçu un coup à la tête, dit-il d’une voix tremblante.
— Servez-vous de votre persoc, lui suggéra le consul. Faites venir du secours.
Théo hocha la tête, plia le bras et fronça les sourcils en regardant son poignet.
— Je l’ai perdu, dit-il. Il est peut-être tombé à bord du glisseur.
Il essaya de se mettre sur ses pieds, mais le consul le força à se rasseoir. Ils étaient à l’abri des arbres. Le glisseur, cependant, était visible de partout. Leur atterrissage forcé n’avait pas dû passer inaperçu. Le consul avait eu le temps de voir des blindés dans une rue adjacente avant que le glisseur ne se pose en catastrophe. Qu’ils appartiennent aux forces territoriales, aux Extros ou même aux marines de la Force, on pouvait penser qu’ils tireraient à vue sur n’importe qui sans se préoccuper de savoir à quel camp ils avaient affaire.
— Laissez, dit-il. Nous trouverons bien un téléphone pour avertir le consulat.
Il regarda autour de lui, essayant de reconnaître les quais et les entrepôts qui les entouraient. Un peu plus loin en amont se dressait une vieille cathédrale abandonnée dont la salle du chapitre en ruine surplombait la rive du fleuve.
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