— Elle ne m’aime pas, n’est-ce pas ?
— Je ne crois pas que ce soit ça, dit Damon. Elle serait mal à l’aise avec n’importe quel homme à qui elle devrait donner Callista en mariage, je crois.
— Je ne la blâme pas de penser que je ne mérite pas Callista ; je crois qu’aucun homme ne la mérite. Mais puisque Callista m’accepte…
Damon se mit à rire.
— Je suppose que, le jour de leur mariage, tous les hommes se sentent indignes de leur femme. Moi-même, je suis obligé de me rappeler constamment qu’Ellemir a consenti à m’épouser ! Allons, viens, il faut choisir nos appartements !
— Ce ne devrait pas être aux femmes de choisir ?
Damon réalisa qu’Andrew ne connaissait pas leurs coutumes.
— Non. Selon la tradition, c’est le mari qui offre un foyer à sa femme. Par courtoisie, Dom Esteban nous permet de le préparer avant le mariage.
— Mais elles connaissent la maison…
— Moi aussi, répliqua Damon. J’y ai passé la plus grande partie de mon enfance. Le fils aîné de Dom Esteban et moi, nous étions bredin , amis jurés. Mais toi, tu n’as pas de parents dans la Zone Terrienne, pas de serviteurs jurés qui attendent ton retour ?
— Aucun. Les domestiques sont un souvenir du passé. Aucun homme ne devrait en servir un autre.
— Il faudra quand même que nous t’en assignions quelques-uns. Si tu diriges le domaine pour notre cousin, tu n’auras pas le temps de t’occuper des détails de la vie domestique, et nous ne pouvons pas demander à nos femmes de faire la lessive et le raccommodage. De plus, nous n’avons pas de machines comme dans la Zone Terrienne.
— Pourquoi ?
— La planète est pauvre en métaux. De plus, s’ils ne pouvaient plus gagner honnêtement leur pain par leur travail, les gens auraient l’impression que leur vie est inutile. Ou alors, crois-tu vraiment qu’ils seraient plus heureux s’ils construisaient et vendaient des machines, comme vous le faites ?
Damon ouvrit une porte.
— Ces pièces n’ont pas servi depuis la mort de la mère d’Ellemir et le mariage de Dorian. Elles semblent en bon état.
Andrew le suivit dans une vaste salle de séjour, tout en réfléchissant toujours à la question de Damon.
— On m’a appris que c’est avilissant pour un homme d’en servir un autre. Avilissant pour le serviteur – et pour le maître.
— Je trouve encore plus avilissant de passer ma vie à servir une machine. De plus, si tu possèdes une machine, elle te possède aussi, et tu passes ton temps à la servir.
Il pensait à ses propres rapports avec les matrices, à ceux de tous les techniciens psi de Ténébreuse, sans parler de ceux des Gardiennes.
Il ouvrit toutes les portes.
— Regarde. De chaque côté de cette salle centrale, il y a un appartement complet, avec salon, chambre, salle de bains, plus des petites chambres derrière pour les femmes de chambre si nos épouses en désirent, des dressing-rooms et autres. Nos femmes seront toutes proches, et pourtant, nous pourrons être indépendants si nous le voulons. Et il y a aussi d’autres petites chambres si nous en avons besoin un jour pour nos enfants. Cela te convient-il ?
Andrew n’aurait jamais eu un appartement aussi vaste au bâtiment des Jeunes Mariés de la Zone Terrienne. Il accepta, et Damon demanda :
— Tu veux l’appartement de gauche, ou celui de droite ?
— Ça m’est égal. Tu veux tirer à pile ou face ?
Damon rit de bon cœur.
— Vous avez aussi cette coutume ? Mais si ça t’est égal, permets-moi de prendre celui de gauche. J’ai remarqué qu’Ellemir est toujours debout à l’aube, tandis que Callista aime dormir tard quand elle peut. Il serait mieux que le soleil matinal ne donne pas dans la fenêtre de votre chambre.
Andrew rougit, à la fois heureux et embarrassé. Il n’avait pas encore osé penser au jour où il se réveillerait dans la même chambre que Callista. Damon lui sourit avec amitié.
— La noce n’est plus qu’à quelques heures, et nous serons frères, toi et moi – c’est une pensée agréable, ça aussi. Mais il me semble triste que tu n’aies aucun parent pour assister à ton mariage.
— Je n’ai aucun ami sur cette planète. Et aucun parent vivant nulle part.
Damon eut l’air consterné.
— Tu es venu ici sans amis, sans parents ?
Andrew haussa les épaules.
— J’ai grandi sur Terra – dans un haras d’Arizona. Quand j’ai eu dix-huit ans, mon père est mort, et le ranch a été vendu pour payer ses dettes. Ma mère ne lui a pas survécu longtemps, et je suis parti dans l’espace, dans le service civil. Un serviteur de l’Empire va où on l’envoie, plus ou moins. Je me suis donc retrouvé ici, et tu sais le reste.
— Je croyais qu’il n’y avait plus de serviteurs parmi vous, dit Damon.
Andrew se lança dans de longues explications, essayant de lui faire comprendre la différence entre un serviteur de l’Empire et un serviteur tout court. Damon écouta avec scepticisme, et dit enfin :
— Un serviteur de l’Empire est donc serviteur des ordinateurs et de la paperasse ! Je crois que j’aimerais encore mieux être un brave cuisinier ou un bon palefrenier !
— N’y a-t-il pas des maîtres cruels qui exploitent leurs domestiques ?
Damon haussa les épaules.
— Bien sûr, comme il y a des hommes qui maltraitent leur cheval et le fouettent à mort. Mais un homme doué de raison peut apprendre à reconnaître ses erreurs, et au pire, d’autres peuvent tenter de le modérer. Alors qu’il n’existe aucune façon de rendre sage une machine folle.
Andrew sourit.
— Tu sais que tu as raison. Nous avons un adage qui dit : Impossible de combattre un ordinateur ; il a raison même s’il se trompe.
— Demande donc au majordome de Dom Esteban, ou à Ferrika, la sage-femme du domaine, s’ils se sentent maltraités ou exploités, dit Damon. Tu es suffisamment télépathe pour savoir s’ils te disent la vérité. Alors, tu réaliseras peut-être que tu peux, sans déshonneur, laisser un homme te servir pour gagner sa vie.
Andrew haussa les épaules.
— D’accord, je le ferai. Nous avons un autre adage qui dit : À Rome, il faut faire comme les Romains. Rome était une ancienne cité de Terra, je crois ; elle a été détruite à la suite d’une guerre ou d’un tremblement de terre, il y a des siècles. Il ne nous reste plus que le proverbe.
— Nous avons un proverbe semblable, dit Damon. Il dit : N’essaye pas d’acheter du poisson dans les Villes Sèches.
Il fit le tour de la pièce qu’il avait choisie pour chambre conjugale.
— Ces rideaux n’ont pas été aérés depuis l’époque de Régis IV ! Je vais dire au majordome de les changer.
Il tira une sonnette, et, quand le majordome parut, lui donna ses ordres.
— Ce sera fait d’ici ce soir, seigneur, et vous pourrez emménager ici avec vos épouses. Ah, Seigneur Damon, on m’a dit de vous informer que votre frère, le Seigneur Serrais, était arrivé pour assister à votre mariage.
— Très bien, je te remercie. Si tu trouves Dame Ellemir, demande-lui de venir pour voir si les arrangements que j’ai pris lui conviennent, dit Damon.
Quand le serviteur fut parti, il fit la grimace.
— Mon frère Lorenz ! Je suppose que la sympathie qu’il éprouve pour mon mariage ne me ferait pas grand mal si elle me tombait sur le pied ! J’espérais la présence de mon frère Kieran, ou au moins de ma sœur Marisela, mais je suppose que je devrais me sentir honoré de la venue de Lorenz et aller le remercier.
— Tu as beaucoup de frères ?
— Cinq, dit Damon, et trois sœurs. J’étais le plus jeune des fils, et mes parents avaient déjà trop d’enfants avant ma naissance. Lorenz…
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