Arthur Doyle - Le Gouffre Maracot

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La passion d’un savant, le professeur Maracot, est portée à son comble quand l’expédition qu’il a organisée pour explorer une fosse abyssale de l’Atlantique aboutit, suite à un accident de plongée, à une découverte incroyable sur les anciennes civilisations de l’Atlantide, et en particulier d’êtres extraordinaires qui ont préservé leur mode de vie antique …

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Arthur Conan Doyle

Le Gouffre Maracot

(OU LE MONDE PERDU SOUS LA MER)

(1928)

Table des matières

CHAPITRE PREMIER

CHAPITRE II

CHAPITRE III

CHAPITRE IV

CHAPITRE V

CHAPITRE VI

CHAPITRE VII

CHAPITRE PREMIER

Puisque ces papiers m’ont été remis en vue de leur publication, je commencerai par rappeler au lecteur le triste destin du Stratford. Ce navire avait appareillé l’an dernier pour une croisière dont le but était l’océanographie et l’étude des grands fonds marins. L’expédition était dirigée par le docteur Maracot, auteur réputé des « Formations pseudo-coralliennes » et de la « Morphologie des lamellibranches ». Le docteur Maracot était accompagné de Monsieur Cyrus Headley, ex-assistant à l’Institut de Zoologie de Cambridge, Massachusetts, et, à l’époque de la croisière, boursier à Oxford. Le capitaine Howie, marin expérimenté, commandait le Stratford et son équipage de vingt-trois hommes, parmi lesquels un mécanicien américain des Usines Merribank à Philadelphie.

Tout ce monde a disparu. La seule information reçue sur l’infortuné steamer provient d’un petit bateau norvégien dont les matelots ont vu sombrer, au cours de la grande tempête de l’automne 1926, un navire dont la description correspondait approximativement à celle du steamer. Un canot de sauvetage portant l’inscription Stratford a été découvert ultérieurement non loin du lieu de la tragédie, ainsi que des caillebotis, une bouée de sauvetage, et un espar. Ce rapport, la découverte qui a suivi, un long silence persistant, ont accrédité la conviction que l’on n’entendrait plus jamais parler du navire et des hommes qui se trouvaient à son bord. Un étrange message par sans-fil, capté le jour de la tempête, avait déjà pratiquement anéanti tout espoir. Je reviendrai sur ce message.

Certains détails assez remarquables à propos de la croisière du Stratford avaient suscité quelques commentaires : notamment l’excessive discrétion observée par le professeur Maracot. Certes, il était célèbre pour l’aversion et la méfiance qu’il vouait généralement à la Presse, mais jamais il ne les avait poussées jusque-là : il s’était refusé à donner le moindre renseignement aux journalistes, et il n’avait permis à aucun d’entre eux de monter à bord pendant que le steamer était ancré à l’Albert Dock. Par ailleurs des bruits avaient couru touchant une conception aussi nouvelle qu’insolite dans la construction du navire, conception destinée à l’adapter aux nécessités de l’exploration sous-marine. Ces bruits avaient trouvé confirmation aux chantiers Hunter and C° de West Hartlepool, où avaient été exécutées les modifications structurales. N’avait-on pas affirmé que tout le fond du steamer était détachable ? Pareille particularité avait attiré l’attention des assureurs des Lloyd’s, qui avaient éprouvé quelques difficultés à recevoir les apaisements qu’ils réclamaient. Et puis on n’en avait plus parlé. Mais ces détails revêtent maintenant une importance nouvelle puisque le sort de l’expédition revient, d’une manière absolument sensationnelle, au premier plan de l’actualité.

Passons à présent aux quatre documents se rapportant aux faits connus. Le premier est une lettre qui a été écrite de la capitale de la Grande Canarie par Monsieur Cyrus Headley à son ami Sir James Talbot, du Trinity College d’Oxford, la seule fois (d’après, du moins, ce que l’on sait) où le Stratford a touché terre après son départ de Londres. Le deuxième est l’étrange message par sans-fil auquel j’ai fait allusion. Le troisième est un fragment du journal de navigation de l’Arabella Knowles, qui concerne la boule vitreuse. Le quatrième et dernier est le contenu stupéfiant de ce réceptacle : ou bien il représente une mystification aussi cruelle que machiavélique, ou bien il ouvre un chapitre neuf de l’aventure humaine, dont l’importance ne saurait être exagérée.

Après ce préambule, je vais maintenant donner connaissance de la lettre de Monsieur Headley ; je la dois à la courtoisie de Sir James Talbot ; elle n’a jamais été publiée ; elle est datée du 1er octobre 1926.

* * *

Je poste ce courrier, mon cher Talbot, de Porta de la Luz, où nous avons relâché pour nous reposer quelques jours. Mon meilleur compagnon de voyage a été Bill Scanlan, chef-mécanicien ; je me suis lié tout naturellement avec lui, d’abord parce qu’il est mon compatriote et ensuite parce qu’il m’amuse. Toutefois ce matin je suis seul ; il a ce qu’il appelle « un rendez-vous avec un jupon ». Vous voyez qu’il s’exprime tout à fait comme un Américain de pure race.

Vous connaissez Maracot ; vous savez donc de quel bois sec il est fait. Je vous avais raconté, je crois, les circonstances de ma désignation ; il s’était renseigné auprès du vieux Somerville de l’Institut de Zoologie, qui lui avait envoyé mon essai couronné sur les crabes pélagiques, et l’affaire s’était trouvée conclue. Bien sûr, je ne me plains pas d’accomplir une mission aussi agréable, mais j’aurais préféré la faire avec quelqu’un d’autre que cette momie animée de Maracot. Il est inhumain dans son splendide isolement, et dans la dévotion qu’il consacre à son œuvre. « Le dur des durs », dit Bill Scanlan. Et pourtant on ne peut qu’admirer une dévotion aussi totale. Rien n’existe en dehors de sa science. Je me rappelle que vous aviez bien ri quand, lui ayant demandé ce que je devais lire pour me préparer, je m’étais entendu répondre que pour des études sérieuses il me recommandait l’édition complète de ses œuvres, mais que pour me détendre, les « Plankton-Studien » de Haeckel étaient tout indiqués.

Je ne le connais pas mieux aujourd’hui que lorsque je lui ai été présenté dans son petit salon avec vue sur le haut Oxford. Il ne dit rien. Son visage décharné, austère (le visage d’un Savonarole, à moins que ce ne soit celui de Torquemada) ignore la douceur ou la bienveillance. Le long nez maigre et agressif, les deux petits yeux gris très rapprochés qui luisent sous les sourcils en broussailles, la bouche aux lèvres minces, les joues creusées par une vie ascétique et une méditation constante ne constituent point une société relaxante. Il habite une cime mentale ; il s’y tient hors de l’atteinte des mortels ordinaires. Parfois je pense qu’il est un peu fou. Par exemple, ce truc extraordinaire qu’il a fabriqué … Mais je vais commencer par le commencement ; quand je vous aurai tout dit, vous jugerez par vous-même.

Je prends notre croisière à son départ. Le Strafford est un bon petit navire qui tient bien la mer, et qui a été spécialement équipé pour sa tâche. Douze cents tonneaux, des ponts bien dégagés, de larges baux, tout ce qu’il faut pour sonder, chaluter, draguer, remorquer. Il a aussi, naturellement, de puissants treuils à vapeur pour haler les chaluts, ainsi qu’un certain nombre de divers accessoires, les uns assez connus, les autres singuliers. En bas, nos cantonnements sont confortables, et un laboratoire est bien outillé pour nos travaux.

Nous avions déjà la réputation d’un bateau-mystère avant notre appareillage ; j’ai eu tôt fait de découvrir qu’elle n’était pas usurpée. Nos débuts ont été d’une banalité écœurante. Nous avons remonté la Mer du Nord et nous avons largué les chaluts pour deux ou trois raclages ; mais, comme la moyenne des fonds ne dépassait guère vingt mètres, et comme nous sommes équipés pour des profondeurs beaucoup plus considérables, j’ai eu l’impression que c’était là un gaspillage de temps. Quoi qu’il en soit, en dehors de poissons de table familiers, de chiens de mer, de calmars, de méduses, et de quelques dépôts alluvionnaires, nous n’avons rien amené qui vaille un rapport. Puis, nous avons contourné l’Écosse, aperçu les Feroë, et nous avons longé le banc de Wyville-Thomson où nous avons eu plus de chance. De là nous avons mis le cap au sud, vers notre propre champ de croisière, c’est-à-dire entre la côte d’Afrique et les Canaries. Nous avons failli nous échouer à Fuert-Eventura par une nuit sans lune ; cette alerte mise à part, notre voyage s’est déroulé sans le moindre incident.

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