Robert Silverberg - Shadrak dans la fournaise

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Shadrak dans la fournaise: краткое содержание, описание и аннотация

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De sa tour d’Oulan-Bator, Gengis II Mao IV Khan règne, en ce XXIe siècle, sur le monde entier. Sur ce qu’il en reste. En 1991, une éruption cataclysmique du Cotopaxi a assombri le ciel pour des semaines. A la faveur de la terreur et de la nuit, des émeutes. Puis des révolutions. Des guerres, enfin. Et sur les ruines du vieil ordre, les survivants meurent lentement du pourrissement organique, virus surgi d’une usine d’armes bactériologiques. L’humanité pourrit sur pied. Sauf à Oulan-Bator, sauf dans l’organisation du Khan, où grâce à l’antidote de Roncevic, déveteppé sur son ordre, le pourrissement est arrêté. Grâce à l’électronique, le Khan a des yeux partout. Il est le garant de Reconstruction. Il manifeste une vitalité prodigieuse. Il a quatre-vingt-treize ans. Il ne veut pas mourir. Avec l’aide de Shadrak, noir américain devenu son médecin, il ne mourra jamais. Grâce à trois projets immortalité dont le plus sinistre, Avatar, consiste à transférer dans un corps jeune sa personnalité. Pour assurer une tyrannie éternelle ?

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— Quitter le lit maintenant pourrait vous être fatal. Vous comprenez ? Ça pourrait vous tuer.

Gengis Mao comprend. Il se laisse aller contre l’oreiller, l’air presque soulagé qu’on ait contrecarré sa volonté. Les premiers effets du tranquillisant se font sentir : son visage se détend, son agitation diminue sensiblement. Shadrak se rend compte que le khan est beaucoup plus affaibli que ne l’indiquent les instruments.

— Ils l’ont tué, rumine le khan d’une voix absente. Ce n’était qu’un gosse et ils l’ont tué. Il n’avait pas d’ennemis.

À l’étonnement de Shadrak, les lèvres du vieillard se mettent à trembler et des larmes coulent de ses yeux. Quoi ? Gengis Mao manifeste une émotion sincère ? Un chagrin presque paternel s’empare de lui ? Comment est-ce possible, si l’on songe au triste sort que le président réservait à Mangu ? Ou bien l’opération de la veille l’a tellement diminué qu’il fait du sentiment (ce qui ne lui ressemble pas) et verse dans un inconcevable gâtisme, ou bien Mordecai a mal interprété les signes et ce n’est pas de chagrin, mais de peur qu’il s’agit, de la reconnaissance d’un danger personnel : si des assassins ont pu atteindre Mangu, ils pourraient bien aussi se frayer un chemin jusqu’au sanctuaire de Gengis Mao. C’est sûrement ça. Le khan est partagé entre la colère et la peur, mais du fait de son état de faiblesse, colère et peur ont pris momentanément la forme du chagrin. De fait, au bout de quelques instants Gengis Mao s’est tout à fait calmé et déclare d’une voix basse, mesurée, empreinte d’une résonance nouvelle :

— Ceci constitue la première attaque réussie contre notre autorité, dont nous ayons eu à subir l’expérience. Le fait est sans précédent, et nous devons réagir avec force afin de faire la preuve que nous n’avons rien perdu de notre vigueur, et qu’aucun travail de sape ne saurait entamer notre puissance.

Il fait signe à Avogadro de venir à son chevet et commence de donner ses directives en vue d’arrestations massives, d’interrogatoires des éléments soupçonnés de subversion – sans faire le détail –, de resserrement des mesures de sécurité, à l’intérieur de la tour aussi bien que dans tout Oulan-Bator. Il parle moins à présent comme un parent affligé que comme un despote menacé. Il devient vite évident que, pour lui, la perte de Mangu ne signifie rien ou presque – ce n’était qu’un pion –, mais qu’elle signale, d’inquiétante manière, que l’autorité du régime est battue en brèche, et qu’à cela on devra remédier par la terreur.

Gengis Mao interrompt soudain son sinistre exposé et lève les yeux vers Shadrak comme s’il remarquait sa présence pour la première fois.

— Vous avez un pantalon pour tout vêtement, docteur, dit-il aimablement. Comment se fait-il ?

— Je suis venu en catastrophe. Mes implants m’ont donné une sacrée secousse, assez forte pour me réveiller, et j’ai su immédiatement que quelque chose n’allait pas.

— Exact. Lorsque Horthy est venu m’apprendre l’assassinat, ça m’a pas mal remué.

— Vos fichues portes m’ont retenu cinq minutes. Il faudrait faire quelque chose à ce sujet. Un jour, la situation sera critique, j’aurai besoin de vous voir d’urgence et Interface Trois me fera la même comédie. Alors, il sera trop tard.

— Mmm. Nous en reparlerons.

Le khan considère le torse nu de Shadrak avec quelque amusement et aussi, semble-t-il, de l’admiration. Il examine les lignes prononcées des muscles abdominaux, les bras, longs et minces, les épaules larges et puissantes. C’est un corps agréable à voir, Shadrak en est conscient : harmonieux et bien entretenu, couvert d’une belle peau couleur chocolat, lisse ; un corps athlétique et gracieux qui n’a pas beaucoup changé depuis l’époque, il y aura bientôt vingt ans, où son possesseur était un sprinter respecté à l’université et un basketteur honorable. Pourtant, cette revue de détail a quelque chose d’étrange et porte sur les nerfs. Au bout d’un moment, le khan déclare, d’un ton presque jovial :

— Vous avez l’air en très bonne santé, Shadrak.

— J’essaie de me maintenir en forme.

— Sagesse de médecin. Ils sont si nombreux, dans votre profession, à s’occuper de la santé de tout le monde sauf de la leur. Mais pourquoi étiez-vous encore au lit à une heure aussi avancée ?

— J’étais à Karakorum, la nuit dernière, avoue Shadrak.

Gengis Mao éclate de rire.

— Intempérance et débauche ! Alors, c’est comme ça que vous gardez la forme ?

— Eh bien…

— Calmez-vous, je plaisante.

En quelques minutes, l’humeur du président a changé d’étonnante manière. Ces dernières piques, ce persiflage sur le mode enjoué – on a peine à croire qu’il y a peu, le même homme versait des larmes sur le sort de Mangu.

— Allez donc enfiler une chemise, si le cœur vous en dit. Je crois que je peux me passer de vous pendant quelques minutes, Shadrak.

— Je préférerais rester encore un moment. Je n’ai pas froid.

— Comme il vous plaira.

Gengis Mao ne semble plus s’intéresser à lui. Il s’est tourné vers Avogadro, toujours à son chevet, et lâche encore en rafale une demi-douzaine de mesures répressives à mettre en application sur-le-champ, puis il congédie le chef de la Sécurité et appelle le vice-président Eyuboglu, à qui il esquisse en improvisant, semble-t-il, un véritable plan de canonisation de Mangu : funérailles d’État, longue période de deuil mondial, baptême de villes et de grandes voies de communication, érection de monuments imposants et coûteux dans chaque grande capitale. Tout ça pour un gamin aussi négligeable. Pourquoi ? s’interroge Shadrak. On déploie là une ferveur funéraire digne d’un demi-dieu, d’un Auguste d’un Siegfried, voire d’un Osiris. Pourquoi ? Pourquoi, sinon parce que Mangu constituait un prolongement symbolique de Gengis Mao, son lien avec le futur, l’espoir de sa résurrection corporelle ? Shadrak décide que c’est là la raison. En gonflant ainsi, hors de toute proportion, la stature de la victime, Gengis Mao ne porte pas le deuil de Mangu, mais de lui-même.

10

Mais Mangu a-t-il bien été assassiné ? Avogadro, qui attend dans le couloir que Mordecai veuille bien quitter son malade, n’en est pas si sûr. Le chef de la Sécurité, personnage osseux et trapu, à l’esprit prompt, doté d’un regard calme et d’une grande bouche au pli énigmatique, prend Shadrak à part près de rentrée de Surveillance Vecteur Un et lui demande doucement :

— Y a-t-il parmi ses médicaments quelque chose de nature à lui perturber l’esprit ?

— Pas spécialement. Pourquoi ?

— Je ne l’ai jamais vu dans un état pareil.

— On ne lui a jamais assassiné son vice-roi, non plus.

— Qu’est-ce qui vous fait penser qu’il s’agit d’un assassinat ?

— Parce que… Ionigylakis a dit… parce que… Shadrak s’embrouille et marque un temps d’arrêt. Il ne s’agit pas de ça ?

— Qui sait ? Horthy dit qu’il a vu Mangu tomber par la fenêtre. Point final. Il n’a vu personne le pousser. Nous avons déjà repassé les bandes de tous les détecteurs, concernant les mouvements de personnel, et il n’y a pas trace, dans toute la tour, de l’entrée sans autorisation, ou de la sortie d’un individu suspect, à plus forte raison de son apparition au soixante-quinzième étage.

— Quelqu’un a pu rester caché toute la nuit, propose Shadrak.

Avogadro soupire, l’air légèrement amusé.

— Docteur, épargnez-moi les déductions de détective amateur. Nous avons bien évidemment examiné les bandes datant d’hier.

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