Jakob et Wilhelm Grimm - Contes Merveilleux Tome II
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– Il me faut ramener au château la plus belle femme.
– Hé, la plus belle femme! répondit la grenouille. Voilà une chose qu’on n’a pas immédiatement à sa portée mais tu l’auras tout de même.
Elle lui donna une carotte évidée et creuse à laquelle six petites souris étaient attelées.
– Que dois-je faire de cela? dit le Bêta tout triste.
– Tu n’as qu’à y installer une de mes petites grenouilles, répondit-elle.
Il en attrapa une au hasard dans le cercle de celles qui entouraient la grosse grenouille, la mit dans la carotte, et voilà qu’à peine assise à l’intérieur, la petite grenouille devint une demoiselle merveilleusement belle, la carotte un vrai carrosse et les six petites souris des chevaux. Alors le Bêta embrasse la jeune fille, se fit emporter au galop de ses six chevaux et amena la belle chez le roi. Ses frères arrivèrent ensuite: ils ne s’étaient donné aucune peine pour chercher une belle femme et ramenèrent les deux premières paysannes venues. Lorsqu’il les vit le roi déclara:
– C’est au cadet que le royaume appartiendra après ma mort.
Alors les deux aînés se mirent de nouveau à rebattre les oreilles du roi de la même protestation: «Nous ne pouvons pas admettre que le Bêta devienne roi», et ils demandèrent à ce que ce privilège revienne à celui dont la femme arriverait à sauter à travers un anneau qui était suspendu au milieu de la grande salle. «Nos paysannes en seront bien capables, se dirent-ils, elles sont assez fortes, par contre la délicate demoiselle va se tuer en sautant.»
Le vieux roi céda encore une fois à leur prière. Les deux paysannes prirent leur élan et certes elles sautèrent à travers l’anneau, mais elles étaient si lourdes qu’en retombant elles se brisèrent bras et jambes. Ce fut alors le tour de la belle demoiselle que le Bêta avait ramenée, et elle traversa l’anneau d’un bond aussi légèrement qu’une biche: cela fit définitivement cesser toute opposition. C’est ainsi que le Bêta reçut la couronne et que longtemps il régna en sage.
Le Vaillant petit tailleur
Par un beau matin d’été, un petit tailleur assis sur sa table et de fort bonne humeur, cousait de tout son cœur. Arrive dans la rue une paysanne qui crie:
– Bonne confiture à vendre! Bonne confiture à vendre!
Le petit tailleur entendit ces paroles avec plaisir. Il passa sa tête délicate par la fenêtre et dit:
– Venez ici, chère Madame! C’est ici qu’on vous débarrassera de votre marchandise.
La femme grimpa les trois marches avec son lourd panier et le tailleur lui fit déballer tous ses pots. Il les examina, les tint en l’air, les renifla et finalement déclara:
– Cette confiture me semble bonne. Pesez-m’en donc une demi-once, chère Madame. Même s’il y en a un quart de livre, ça ne fera rien.
La femme, qui avait espéré trouver un bon client, lui donna ce qu’il demandait, mais s’en alla bien fâchée et en grognant.
– Et maintenant, dit le petit tailleur, que Dieu bénisse cette confiture et qu’elle me donne de la force!
Il prit une miche dans le buffet, s’en coupa un grand morceau par le travers et le couvrit de confiture.
– Ça ne sera pas mauvais, dit-il. Mais avant d’y mettre les dents, il faut que je termine ce pourpoint.
Il posa la tartine à côté de lui et continua à coudre et, de joie, faisait des points de plus en plus grands. Pendant ce temps, l’odeur de la confiture parvenait jusqu’aux murs de la chambre qui étaient recouverts d’un grand nombre de mouches, si bien qu’elles furent attirées et se jetèrent sur la tartine.
– Eh! dit le petit tailleur. Qui vous a invitées?
Et il chassa ces hôtes indésirables. Mais les mouches, qui ne comprenaient pas la langue humaine, ne se laissèrent pas intimider. Elles revinrent plus nombreuses encore. Alors, comme on dit, le petit tailleur sentit la moutarde lui monter au nez. Il attrapa un torchon et «je vais vous en donner, moi, de la confiture!» leur en donna un grand coup. Lorsqu’il retira le torchon et compta ses victimes, il n’y avait pas moins de sept mouches raides mortes. «Tu es un fameux gaillard», se dit-il en admirant sa vaillance. «Il faut que toute la ville le sache.»
Et, en toute hâte, il se tailla une ceinture, la cousit et broda dessus en grandes lettres – «Sept d’un coup». «Eh! quoi, la ville… c’est le monde entier qui doit savoir ça!» Et son cœur battait de joie comme une queue d’agneau.
Le tailleur s’attacha la ceinture autour du corps et s’apprêta à partir dans le monde, pensant que son atelier était trop petit pour son courage. Avant de quitter la maison, il chercha autour de lui ce qu’il pourrait emporter. Il ne trouva qu’un fromage et le mit dans sa poche. Devant la porte, il remarqua un oiseau qui s’était pris dans les broussailles; il lui fit rejoindre le fromage. Après quoi, il partit vaillamment et comme il était léger et agile, il ne ressentit aucune fatigue. Le chemin le conduisit sur une montagne et lorsqu’il en eut escaladé le plus haut sommet, il y vit un géant qui regardait tranquillement le paysage.
Le petit tailleur s’approcha bravement de lui et l’apostropha:
– Bonjour, camarade! Alors, tu es assis là et tu admires le vaste monde? C’est justement là que je vais pour y faire mes preuves. Ça te dirait de venir avec moi?
Le géant examina le tailleur d’un air méprisant et dit:
– Gredin, triste individu!
– Tu crois ça, répondit le tailleur en dégrafant son manteau et en montrant sa ceinture au géant.
– Regarde là quel homme je suis!
Le géant lut: «Sept d’un coup», s’imagina qu’il s’agissait là d’hommes que le tailleur avait tués et commença à avoir un peu de respect pour le petit homme. Mais il voulait d’abord l’éprouver. Il prit une pierre dans sa main et la serra si fort qu’il en coula de l’eau.
– Fais-en autant, dit-il, si tu as de la force.
– C’est tout? demanda le petit tailleur. Un jeu d’enfant!
Il plongea la main dans sa poche, en sortit le fromage et le pressa si fort qu’il en coula du jus.
– Hein, dit-il, c’était un peu mieux!
Le géant ne savait que dire. Il n’arrivait pas à croire le petit homme. Il prit une pierre et la lança si haut qu’on ne pouvait presque plus la voir.
– Alors, avorton, fais-en autant!
– Bien lancé, dit le tailleur; mais la pierre est retombée par terre. Je vais t’en lancer une qui ne reviendra pas.
Il prit l’oiseau dans sa poche et le lança en l’air. Heureux d’être libre, l’oiseau monta vers le ciel et ne revint pas.
– Que dis-tu de ça, camarade? demanda le tailleur.
– Tu sais lancer, dit le géant, mais on va voir maintenant si tu es capable de porter une charge normale.
Il conduisit le petit tailleur auprès d’un énorme chêne qui était tombé par terre et dit:
– Si tu es assez fort, aide-moi à sortir cet arbre de la forêt.
– Volontiers, répondit le petit homme, prends le tronc sur ton épaule; je porterai les branches et la ramure, c’est ça le plus lourd.
Le géant prit le tronc sur son épaule; le tailleur s’assit sur une branche et le géant, qui ne pouvait se retourner, dut porter l’arbre entier avec le tailleur pardessus le marché. Celui-ci était tout joyeux et d’excellente humeur. Il sifflait la chanson «Trois tailleurs chevauchaient hors de la ville» comme si le fait de porter cet arbre eût été un jeu d’enfant. Lorsque le géant eut porté l’arbre pendant quelque temps, il n’en pouvait plus et il s’écria:
– Écoute, il faut que je le laisse tomber.
Le tailleur sauta en vitesse au bas de sa branche et dit au géant:
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