C’était l’aspect découvert du terrain qui saisissait le plus. Il n’y avait pas de montagnes pour se mettre à couvert, pas de clairières boisées où quelqu’un aurait pu se dissimuler. Il n’y avait que des crêtes, et des buissons ras qui s’y accrochaient ici et là. Ce n’était pas le genre d’endroit qu’elle aurait choisi, si elle avait dû commettre un meurtre en plein jour.
« Le tueur est audacieux, dit-elle à Shelley. Pas de couverture. »
Shelley hocha la tête, reculant d’un pas derrière le shérif pour qu’elles puissent parler. « La victime était seule, mais pas complètement isolée. Quelqu’un sur le parking aurait pu voir. Peut-être pas tous les détails, mais probablement assez pour savoir qu’il se passait quelque chose.
– Si la victime avait crié, elle aurait été entendue, » ajouta Zoe, en regardant les voitures maintenant qu’elles étaient à proximité de la scène. « Ou si elle avait pu s’enfuir, elle aurait peut-être même réussi à en réchapper. Elle aurait pu donner l’alerte. C’était très risqué. »
Elles s’approchèrent des hommes du shérif qui formaient un demi-cercle approximatif autour d’une zone qu’ils contournaient prudemment. Une fois suffisamment proches, Zoe en comprit la raison : le sol était maculé de sang. Il s’était infiltré dans la terre et l’avait teinte en rouge, et les brins d’herbe présentaient encore des gouttelettes qui avaient été projetées loin du corps au moment de l’attaque.
Elle s’accroupit aux abords mêmes du périmètre de la zone, qui était délimitée avec encore davantage de bande, approchant ses yeux de la scène pour l’analyser. Doucement, comme si elle ouvrait une porte, elle laissa les chiffres la submerger à nouveau.
La victime, Lorna Troye, s’était vidée de son sang ici. Des litres en avaient été déversés, en imprégnant le terrain crayeux, bien trop pour qu’un individu puisse survivre même si sa tête n’avait pas été séparée de son cou. Il avait jailli autour d’un point central, juste sur le côté du sentier, mais le sang avait également éclaboussé les deux côtés du chemin creusé et sur les pierres lisses qui le recouvraient. Ce qui signifiait que les coupures avaient été taillées avec suffisamment de force pour projeter ces gouttelettes de part et d’autre. Suffisamment pour recouvrir les chaussures et les pantalons, peut-être même pour asperger le devant d’une chemise.
Zoe contourna lentement, toujours à l’extérieur, désireuse de ne pas détériorer les indices plus qu’ils ne l’étaient déjà. Le chemin, là où il avait été arpenté, était plat et dur ; aucune empreinte de pas ne s’y trouvait, aucun signe de lutte. Il y avait une profonde entaille dans la terre où la plus grande partie du sang avait coulé, la lame de l’arme du crime s’étant enfoncée dans le sol plus tendre, après que la tête ait été coupée. Le coup avait été puissant.
Est-ce que cela démontrait la force supérieure de leur tueur ? Peut-être. Mais il était également possible que l’attaque ait nécessité plusieurs coups. Le rapport du médecin légiste concernant la victime précédente faisait état d’un coup de hache – la lame tombant encore et encore, jusqu’à ce que le travail soit accompli. Zoe regarda de plus près, utilisant ses mains gantées pour se pencher en avant avec précaution et écarter quelques brins d’herbe, ici ou là.
Il y avait une autre ligne, juste à côté de la première, à un angle de quinze degrés et avec un sillon moins profond de cinq centimètres. Il lui avait coupé la nuque jusqu’à ce qu’elle soit tranchée. Il n’était donc peut-être pas très fort, mais il fallait quand même une bonne puissance dans le bras pour glisser la lame à travers les os et les muscles.
« Ils n’ont pas grand-chose, » marmonna Shelley, rejoignant sa partenaire le long de la bande. « Tu vois quelque chose ? »
Zoe se leva, sentant ses muscles ischio-jambiers résister alors qu’elle les forçait à bouger. Les chiffres la décevaient aujourd’hui, et il n’y avait presque pas de preuves matérielles. Elle pouvait estimer la taille de la victime à partir des dépressions dans l’herbe, mais était-ce utile ? Ils l’avaient déjà emmenée à la morgue. « Pas beaucoup. Peu concluant sur la taille, le poids et la force du corps du tueur, même si je pense que nous pouvons affirmer sans risque que nous ne recherchons pas un gringalet. Probablement un homme, pour être en mesure de lui couper la tête. Je ne peux pas estimer ses attributs physiques car il a procédé à la décapitation alors qu’elle était déjà sur le sol.
– Ils ont procédé à une recherche élargie par quadrillage de la zone la nuit dernière et ils n’ont rien trouvé d’intéressant, » précisa Shelley, en se couvrant les yeux alors qu’elle regardait le reste du parc éolien qui s’étendait devant elles. « Que penses-tu de l’emplacement ? C’est un endroit trop hasardeux pour se contenter d’attendre que quelqu’un passe devant, n’est-ce pas ?
– Et le manque de couverture, marmonna Zoe, allant dans son sens. Cela ne correspond pas au schéma type du crime d’opportunité. C’était autre chose. »
Shelley se mordait la lèvre, en regardant autour d’elle. Une légère brise remua les cheveux courts sur sa tempe, en les dressant. « Pourquoi ne pas se mettre à l’affût dans un endroit plus couvert, ou plus éloigné dans le parc ? » dit-elle. On aurait dit qu’elle pensait à voix haute, plutôt que de poser sérieusement la question. « Ici, si près du parking, il doit y avoir une raison pour laquelle il a pris ce risque. »
Zoe regarda à nouveau les taches de sang sur le sol. « Le corps était couché dans cette direction, » dit-elle, en la désignant de ses bras. Les pieds vers le reste du parc, la tête vers le parking. « Normalement, quand quelqu’un est attaqué par un prédateur dissimulé, cela se fait par derrière, ce qui fait tomber la victime en l’avant.
– Tu dis qu’il est probable qu’elle marchait vers le parking quand c’est arrivé.
– Peut-être qu’elle était en train de repartir. Il devait agir à ce moment-là, avant que l’occasion ne disparaisse. » Zoe regarda les buissons voisins, leurs feuilles tachetées de gouttes rouges, telles des baies morbides. « Peut-être qu’elle l’a vu et qu’elle s’est enfuie. Mais je ne vois pas de signes de fuite, pas de terre remuée. Elle était également sur le côté, loin du chemin le plus dur. Il y aurait eu des marques sur le gazon. »
Shelley ferma les yeux, comme si elle visualisait la scène. « Donc, nous avons Lorna qui s’éloigne, pour retourner au parking. Il regarde devant lui et sait qu’il ne lui reste qu’un court laps de temps avant qu’elle ne soit en sécurité et qu’il ne puisse plus attaquer. Il choisit cet instant-là. Peut-être qu’il s’est caché sur le côté, dans ces buissons. »
Zoe secoua la tête, mesurant la taille des buissons. Pas assez de couverture. « Je ne pense pas, » dit-elle, mais il y avait un moyen assez facile de le prouver. « Adjoint ? »
Un des jeunes hommes qui gardaient le site leva les yeux à son appel. « Oui, madame ?
– Rendez-nous service. S’il vous plaît, allez-vous mettre dans ces buissons, juste là. Accroupissez-vous ou allongez-vous, comme si vous vouliez vous cacher. »
L’adjoint cligna des yeux, puis regarda son shérif, qui agita une main en signe d’approbation. Il fit ce qu’on lui avait dit, se cachant dans les buissons. Même s’il portait des couleurs naturelles, il était facile de le repérer parmi le vert criard. Les buissons étaient bas, et les espaces entre leurs formes ne laissaient que peu d’abri.
Shelley contourna le cordon pour se rendre de l’autre côté du sentier, en regardant vers lui. « Je peux le voir d’ici, confirma-t-elle.
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