Campbell pointa son arme en direction de la voix, mais ses yeux paraissaient aveugles. « Reculez-vous, sinon je lui tranche la gorge. »
Pádraig s’approcha sur un côté. « Dégage », dit Campbell en pivotant.
O’Kane fit un pas en avant. « Arrête, Davy. Tu n’es pas en état de lutter. Ça ne fera qu’aggraver les choses. »
Campbell menaçait alternativement O’Kane et son fils. « Un seul geste, et je vous descends.
— Mais non, Davy. Tu tiens à peine debout.
— Reculez-vous. »
Pádraig s’approcha encore sur la gauche de Campbell. L’Écossais tira. Une, deux, trois fois. La première balle se perdit, mais la deuxième atteignit Pádraig à l’épaule, la troisième lui transperça la gorge. Il demeura pétrifié. Le sang qui ruisselait le long de son torse s’écoulait sur le plastique.
« P’pa », gargouilla Pádraig. Il fit deux pas en arrière et tomba assis devant le premier gradin.
Fegan observait O’Kane. Le vieil homme restait de marbre, malgré ses yeux rouges. « Je te donnerai aux chiens, Davy. Et je les regarderai te bouffer les entrailles.
— Ne bougez pas », dit Campbell.
Pádraig se coucha sur la terre. Il respirait avec difficulté. Les mots qu’il essaya de prononcer ne franchissaient pas sa gorge.
« Passe-moi la carabine, Tommy », dit O’Kane en se rapprochant de Downey. Puis il épaula le fusil en le dirigeant sur Campbell.
Coyle se tortillait comme un ver. « Non ! Ne tirez pas ! »
Campbell cligna des yeux, secoua la tête pour essayer d’y voir plus clair et lui appuya le pistolet contre la tempe. « Je vais le tuer ! »
O’Kane arma la carabine. « J’en ai rien à foutre ! »
La détonation résonna dans la grange comme un coup de tonnerre. Le temps s’arrêta. Coyle, la poitrine explosée, partit en arrière avec Campbell, tandis que l’Écossais répondait par une balle qui siffla aux oreilles de Fegan.
Downey glissa la main dans la poche intérieure de son blouson. Campbell tira encore une fois. O’Kane recula d’un pas et lâcha une deuxième salve. Fegan vit un soleil rouge s’étaler sur le ventre de Campbell. Il s’aplatit sur le plastique en même temps que l’Écossais qui déchargeait toutes ses cartouches.
La tête dans ses mains, Fegan entendit le cliquetis du pistolet qui tirait à vide. Il sentit que deux corps s’écrasaient près de lui, l’un plus lourd que l’autre.
Respirations. Gémissements. Un cri, déchirant, qui semblait monter des entrailles de la terre. Un hurlement lui répondit de l’autre côté de la cour. Dans l’aube naissante, Fegan entendit les aboiements paniqués des chiens, leurs pattes qui grattaient aux portes des écuries. Plus loin, sur le plastique, Coyle se tordait dans une mare de sang, les doigts crispés sur un revolver.
À la droite de Fegan, O’Kane gisait sur le côté ; vivant, le souffle court. Il était rouge et luisant de sueur, le genou en sang, touché aussi à l’aine. Il leva les yeux.
« Bon sang, Gerry. Il m’a eu. »
Saisi à la gorge par l’odeur âcre de la poudre, Fegan toussa. Ses jambes le soutenaient à peine. Il prit le revolver dans la main de Downey.
« Il m’a eu, ce salaud », répéta O’Kane avec un rire amer.
Fegan regarda Campbell. L’Écossais respirait difficilement, en proie à des convulsions. Son ventre béant n’était plus qu’un amas de chairs sanguinolentes. Les deux UFF se penchaient sur lui, une joie sauvage peinte sur leurs visages.
« Vous aussi, vous l’avez eu », dit Fegan en s’approchant de O’Kane.
Le vieux réussit à tourner la tête. Serrant les dents, pantelant, il vit le revolver que tenait Fegan.
« Je te donnerai tout ce que tu veux, dit-il. Tout. Dis-moi ton prix…
— Non.
— Sors-moi de là. Emmène-moi à l’hôpital. Un million. Je te donnerai un million. » Il tendit faiblement le bras et attrapa Fegan par la cheville. « Tu pourras partir avec la femme et sa gosse, n’importe où. Deux millions. Je te donnerai deux millions. Imagine, Gerry. Deux millions de livres.
— Je ne veux pas de votre argent », dit Fegan en se dégageant. Il pointa l’arme sur le front de O’Kane.
Des larmes jaillirent des yeux du vieil homme et roulèrent sur le plastique. « Alors, quoi ? Demande-moi. Je te le donnerai. »
Fegan s’accroupit près de lui. Il sentait l’odeur de sa sueur. « Je ne vous tuerai pas. Je vous laisserai tranquille. Mais vous devez me promettre une chose.
— Oui, oui… Dis-moi.
— Quand tout ça sera fini, vous abandonnez. Vous n’essaierez pas de me retrouver. Ni Marie. Je vais tuer Campbell, et McGinty. Ensuite, vous n’entendrez plus jamais parler de moi. Vous ne chercherez pas à vous venger, vous ne mettrez pas ma tête à prix. Si vous me donnez votre parole, vous resterez en vie.
— Pádraig…
— C’est trop tard pour lui. Jurez que vous nous laisserez tranquilles, Marie et moi. »
O’Kane acquiesça. « Je te le promets. Je le jure devant Dieu.
— Jurez-le sur l’âme de vos enfants.
— Je le jure. »
Fegan se releva. Il se dirigea vers le bord de l’arène où Campbell s’accrochait au dernier fil de sa vie, le regard perdu dans le lointain, ses lèvres tentant d’articuler une parole muette. Les deux UFF reculèrent, leurs visages illuminés par un plaisir animal.
« Davy. »
Campbell se demanda qui parlait, parmi tous ces visages en sang. Ces gens penchés sur lui, qui le happaient et l’entraînaient vers d’insondables tréfonds.
Qui avait prononcé son nom ? Ces hommes tatoués, aux têtes rasées ? Non. Ils étaient morts depuis des années, brisés, mutilés, dans une pièce nue aux murs de béton. Qu’attendaient-ils de lui maintenant, avec leurs yeux extatiques ?
Qu’est-ce que vous voulez ? Ses lèvres remuaient, mais aucun son n’en sortait.
« Là… Davy. »
Campbell essaya de se redresser. Les fragments éclatés de son corps ne répondaient pas. Il se vidait en son centre. Ah oui… La carabine lui avait explosé le ventre. L’air froid maintenant s’insinuait dans la blessure.
Il mit tout ce qui lui restait de force dans son cou et souleva la tête pour voir d’où venait la voix. Un vacarme assourdissant tempêtait à ses oreilles, sa peau le brûlait. Une forme, grande et mince, émergea du brasier.
Gerry Fegan.
Dans sa main, il tenait quelque chose qui brillait.
« Ils veulent ta mort, Davy.
— Qui ? » demanda Campbell dans un souffle.
Fegan désigna les hommes tatoués qui le regardaient avec leurs horribles sourires. Campbell voulut crier, mais l’air lui manquait.
« Les UFF que tu as accusés pour te couvrir, dit Fegan. C’est moi qui ai dû les tuer. Maintenant, tu dois payer, Davy. »
Au feu qui dévorait Campbell succéda un froid glacial. Il reconnut la nature de l’objet brillant que Fegan tenait à la main, entendit le recul du cran de sécurité.
« Va te faire foutre.
— Tout le monde paye, dit Fegan en approchant l’arme. Tout le monde… Tôt ou tard. »
La rage au cœur, Campbell aurait voulu écraser Fegan, le pulvériser, sentir sa chair éclater sous ses doigts et son sang se répandre… Mais il s’enfonçait dans les ténèbres.
Les deux UFF penchaient sur lui leurs visages grimaçants, pleins de haine. Les autres aussi se ruaient en avant, autant de cadavres démembrés qui l’engloutissaient dans leur pourrissement, parmi lesquels se détachait une silhouette au front béant, portant sur ses épaulettes l’insigne de sergent.
« Sergent Hendry ? »
Le spectre du soldat se jeta sur Campbell pour le déchiqueter entre ses dents.
Fegan dominait le carnage de sa haute stature.
« Va te faire foutre ! hurla Campbell. Allez ! Tue-moi, putain ! Vas-y. Tire. Appuie sur la… »
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