— Non, dit Campbell.
— Je vais te torturer. Tu n’imagines pas jusqu’à quel point on peut souffrir, et pourtant rester en vie. »
Campbell ferma les yeux. Il savait ce que O’Kane avait fait subir à des hommes comme lui.
« Et si tu ne parles toujours pas, je te donnerai aux chiens. Normalement, ils ne s’attaquent pas aux gens, mais s’ils sentent l’odeur du sang… »
O’Kane tapota le dos de Campbell en riant. « Ils te boufferont les tripes, Davy. Enfin, on ne sait jamais. Il y en aura peut-être un qui te sautera à la gorge avant… Si tu as de la chance.
— Je vous en prie », dit Campbell.
O’Kane se redressa. « Allez, c’est parti. »
Attrapant Campbell par la main gauche, il posa un pied sur ses côtes blessées et appuya de toutes ses forces en lui tirant le bras.
Campbell poussa un hurlement. Il reprit son souffle, hurla encore, haleta. Diminuant la traction sur le bras, O’Kane lui envoya son pied dans la cage thoracique, puis attendit patiemment tandis que sa victime se tordait et sanglotait.
« Dis-moi la vérité. Qui d’autre balance des infos à tes agents ? »
Le sang échappé de la bouche de Campbell coulait sur le plancher. « Je jure devant Dieu, je ne sais pas de quoi…
— Merde ! » O’Kane pesa à nouveau sur les côtes de Campbell et recommença la manœuvre. Les os pliaient sous son pied. Le cri de Campbell culmina en un gémissement aigu. O’Kane relâcha la pression et donna encore un coup de botte. Cette fois, il sentit quelque chose céder.
Incapable de produire le moindre son à présent, Campbell ouvrit la bouche, ferma très fort les yeux et exhala un filet d’air. Ses joues étaient luisantes de larmes.
« Allez ! Parle, Davy.
— Je ne sais pas… je ne sais… »
O’Kane lui enfonça son talon dans le thorax, ne rencontrant plus guère de résistance. Campbell cracha du sang.
« Parle.
— Toner… Patsy… Toner…
— Bon sang », dit McGinty.
O’Kane leva une main pour le faire taire. « Patsy Toner, d’accord. Et après ?
— Il est… leur contact… C’est lui qui… qui m’a introduit. »
O’Kane lâcha Campbell et s’accroupit à ses côtés. « Respire, mon gars. Doucement… Qu’est-ce que tu peux me dire encore ?
— Il leur raconte… tout… à la presse aussi… Avant McGinty… Ils savent… ce que McGinty… va faire… »
O’Kane passa une main sur sa joue. « Bravo, c’est bien. Qui d’autre ? »
Campbell secoua la tête.
« Allez. Continue.
— Toner… c’est tout. »
Pádraig revint dans la pièce, une grosse bouteille dans une main, un sachet de coton dans l’autre. « Voilà le chloroforme, p’pa.
— Parfait, mon fils. »
O’Kane attrapa le sachet dans ses énormes doigts et arracha un morceau de coton. « Ouvre-moi ça. »
Pádraig dévissa le bouchon, puis tendit la bouteille à son père. O’Kane la retourna pour imbiber le coton qu’il tenait à bout de bras. Même à cette distance, l’odeur lui montait à la tête. Il se tourna vers McGinty. « Ça nous sert à endormir les chiens quand les blessures sont trop graves et qu’on ne peut pas les soigner. Il sera K.-O. jusqu’à ce que Fegan nous ait parlé. Après, on aura peut-être d’autres questions à lui poser. »
O’Kane pressa le coton contre la bouche et le nez de Campbell. « C’est bien, mon gars. Tout doux… Respire. »
Campbell se déroba faiblement. « McGinty, dit-il.
— Pardon ? »
L’Écossais regarda O’Kane avec un pauvre sourire. « McGinty… c’est lui… il a tout arrangé… Fegan… n’agit pas seul… c’est McGinty. »
Quittant sa place contre le mur, McGinty s’avança. « Il ment. »
O’Kane agrippa Campbell par les cheveux et lui écrasa le visage dans le coton.
« Bon sang, Bull. Il ment. »
Campbell se débattit. Ses yeux lui sortaient des orbites, il planta ses ongles dans le poignet de O’Kane. Bientôt, ses paupières se fermèrent. Il cessa de lutter et s’affaissa.
O’Kane lâcha la tête de Campbell qui ne bougeait plus. Lorsqu’il ôta le coton, un filet de salive rouge de sang s’en échappa. Il se retourna pour faire face à McGinty.
« C’est faux, Bull », insista McGinty. Il était pâle sous la lumière crue de l’ampoule. « Tu le sais bien. Il essaie juste de nous monter l’un contre l’autre. »
O’Kane observa les veines qui battaient aux tempes de McGinty, sa pomme d’Adam saillante par-dessus le col de sa chemise. « On en parlera tout à l’heure. Après Fegan.
— Enfin, Bull… Tu ne peux pas croire que… »
Un grésillement soudain le fit sursauter. O’Kane lança un regard à son fils qui approchait le talkie-walkie de son oreille. Une voix entrecoupée d’interférences prononça quelques mots.
Pádraig appuya sur le bouton. « O.K. », répondit-il. Puis, laissant retomber son bras : « Il arrive. »
Le faisceau d’une lampe torche se balança à une vingtaine de mètres devant la Clio. Fegan ralentit. La route était étroite, à peine assez large pour permettre à deux voitures de se croiser, et bordée de haies. De part et d’autre, des champs remontant en pente douce se perdaient dans la nuit. Un homme de petite taille, trapu, coiffé d’un bonnet de laine et vêtu d’une veste de treillis, déboucha sur la chaussée en levant la main. Fegan s’arrêta. L’homme s’approcha de la fenêtre du conducteur et, avec un mouvement circulaire de sa torche, lui fit signe de baisser la vitre. Fegan s’exécuta.
« C’est toi, Fegan ? » demanda l’homme.
Fegan cligna des yeux dans la lumière. « Oui. »
Un deuxième homme, grand, mince, armé d’une carabine à double canon, surgit des buissons. Face au pare-brise, il mit Fegan en joue.
L’autre fouillait la voiture de sa torche, éclairant le plancher à l’avant et entre les sièges. « Descends », ordonna-t-il en reculant pour laisser Fegan sortir.
Fegan obéit. « Je ne suis pas armé », dit-il à l’homme qui lui palpait les poches.
L’homme le gratifia d’un coup d’œil. « Si tu permets, camarade, je préfère vérifier. »
Immobile, Fegan ferma les paupières sous la caresse de la pluie. Ses tempes palpitaient. Il reconnut le froid qui s’insinuait dans ses veines.
« Vous ne trouverez rien », dit-il en ouvrant les yeux.
L’homme interrompit sa fouille un bref instant. « Tais-toi. » Puis, lorsqu’il eut terminé : « Voyons voir le coffre. »
Ils gagnèrent l’arrière de la voiture. Fegan souleva le hayon qui fit entendre le gémissement d’une pompe hydraulique. L’homme à la torche braqua sa lumière dans les recoins. Il désigna le sac de voyage.
« Sors-moi ça. »
Fegan l’empoigna, le posa sur le rebord du coffre et fit coulisser la fermeture à glissière. Surveillant Fegan d’un œil, l’homme scruta le contenu du sac. Il fronça les sourcils, se pencha en avant. Puis il plongea les mains à l’intérieur, entre les vêtements, et dégagea les liasses.
« Putain…, souffla-t-il. Y a combien ? »
Fegan haussa les épaules. « Je ne sais pas. »
Celui qui tenait la carabine s’approcha. « Qu’est-ce qui se passe ?
— Regarde, dit son comparse en montrant le sac.
— Nom de Dieu. »
Les deux hommes échangèrent un regard. À eux deux, ils évoquèrent une foule de possibilités, mais renoncèrent en secouant la tête.
« On y va, dit l’homme à la torche en prenant le sac. Le Bull attend. »
Fegan parcourut les derniers cent mètres avec le canon de la carabine plaqué contre sa nuque, tandis que l’autre homme était assis à la place du passager. Éclairée par les phares de la Clio, la route se faisait plus étroite aux abords de la ferme. Un flot de lumière s’échappait d’une grange ouverte. Eddie Coyle apparut sur le seuil, resserrant un bandage taché de sang autour de sa tête. Il adressa un regard furibond à Fegan.
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