Stuart Neville - Les fantômes de Belfast

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Signé le 10 avril 1998, l’Accord de Paix pour l’Irlande du Nord a mis un terme à des années de guerre sanglante. En 2007, Belfast est une ville où se presse une foule d’étudiants et de jeunes cadres, et où ont fleuri bars branchés et boutiques de luxe. Pourtant, les anciennes haines n’ont pas disparu. Entre les anciens militants toujours attachés à leur cause, les activistes reconvertis en politiciens présentables et les gangsters qui prospèrent, le pays cherche son identité. Gerry Fegan, lui, se débat avec ses démons personnels. Depuis qu’il est sorti de la prison de Maze, cet ex tueur de l’IRA est devenu alcoolique. Il est hanté par les fantômes des douze personnes qu’il a délibérément assassinées et ne connaît plus le repos. Le seul moyen de se débarrasser de ces ombres qui assaillent sa conscience sera d’exécuter un par un les commanditaires des meurtres. Mais les nouveaux cadavres que laisse Gerry Fegan sur son passage menacent le précaire équilibre du processus de paix. Une chasse à l’homme commence sur fond de paranoïa et de duplicité, jusqu’à un final explosif.
Avec
, Stuart Neville, révélation du roman noir irlandais, signe un thriller où dominent la tension et l’effroi, servi par une écriture tranchante. Il a su donner à son personnage principal un caractère ambigu et profondément tragique. Entre remords et désir de vengeance, Fegan, qui aspire à la rédemption, incarne les contradictions d’un territoire en quête d’identité, où le feu semble toujours couver.
Stuart Neville est originaire d’Armagh, en Irlande du Nord. Après des études de musique, il s’est tourné vers la création de sites internet. Ce premier roman sera suivi d’un autre, à paraître chez Rivages. « La meilleure fiction sur les Troubles en Irlande du Nord, un futur classique représentatif de l’époque. »
The Observer

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— Et alors ? Si tu parles, tu es quand même une balance. Et tu sais ce qui arrive aux balances. »

Fegan crispa les doigts sur les accoudoirs du fauteuil.

McKenna se pencha en avant, les mains sur les cuisses. « Pourquoi, Gerry ? Pourquoi tu lui as dit ? Quel bien pouvait en ressortir, à ton avis ? »

Fegan chercha un mensonge, n’importe lequel, mais ne trouva rien. « Je me suis dit qu’il me laisserait peut-être tranquille, répondit-il enfin.

— Pardon ? » McKenna se redressa.

« J’ai pensé qu’il s’en irait. » Fegan regarda le garçon qui visait la tête de McKenna avec ses doigts. « Qu’il me lâcherait… Qu’il me laisserait en paix. »

McKenna recula d’un pas. « Qui ? Le garçon ?

— Mais ce n’est pas ce qu’il voulait.

— Bon sang, Gerry, fit McKenna, accablé. Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu devrais peut-être voir un médecin. Tu sais, pour te remettre les idées en place. Partir quelque part. »

Tête basse, Fegan contemplait ses mains. « Peut-être.

— Écoute… » McKenna le saisit par l’épaule. « Ma source ne rend de comptes qu’à moi, à personne d’autre. Tu es resté mon ami pendant toutes ces années, c’est la seule raison pour laquelle je n’ai pas mentionné l’affaire à McGinty. S’il savait que tu as cafté à cette bonne femme, c’est ton cadavre que les flics chercheraient. »

Fegan avait envie de s’arracher à la main de McKenna posée sur son épaule. Il demeura assis, sans bouger.

« Évidemment, reprit McKenna, je te demanderai peut-être de me renvoyer l’ascenseur. Je pourrais te mettre sur un ou deux coups qui ne regardent pas McGinty. Si tu arrêtais de boire et que tu repartais d’un bon pied, tu serais sûrement en mesure de m’aider. Et personne n’irait informer McGinty de ce que tu as raconté à la mère du gamin. »

Fegan regarda le garçon, son visage douloureusement tordu, pendant que les autres ombres se rassemblaient autour de lui.

« Tu me comprends, Gerry ?

— Oui.

— Bien ! » McKenna sourit.

Fegan se leva. « Il faut que j’aille pisser.

— Fais vite », dit McKenna en reculant d’un pas.

Fegan monta l’escalier et entra dans la salle de bains. Il ferma la porte à clé, mais comme toujours, les Suiveurs le rejoignirent. Sauf le garçon. Il ne s’en soucia pas, tout à ses efforts pour rester debout sans vaciller pendant qu’il vidait sa vessie. Depuis le temps, il s’était résigné à se montrer dans ses activités les plus intimes.

Fegan tira la chasse, se rinça les mains au robinet et ouvrit la porte. Le jeune garçon l’attendait sur le palier. Il tourna les yeux vers la chambre plongée dans l’obscurité.

Fegan demeura immobile, perplexe, les tempes bourdonnantes. Un sang glacé battait dans ses veines.

L’adolescent désigna la chambre du doigt.

« Quoi ? » demanda Fegan.

Le garçon fit une grimace et tendit un bras maigre en direction de la porte.

« D’accord », dit Fegan. Il franchit le seuil de la chambre en jetant un regard en arrière.

Le garçon le suivit dans la pénombre et s’agenouilla au pied du lit. Il indiqua l’espace sous le sommier.

Fegan se mit à quatre pattes. Dans la faible lueur qui filtrait du palier, il aperçut la vieille boîte à chaussures.

Il se redressa d’un air interrogateur. Le jeune garçon hocha la tête.

Fegan n’avait qu’à tendre le bras pour atteindre la boîte. Elle était lourde. Son cœur s’accéléra. Dès qu’il ôta le couvercle, il sentit l’odeur grasse de l’argent. Les billets étaient répartis en rouleaux de vingt, cinquante et cent livres. Fegan ignorait le montant exact de la somme. Il n’avait jamais compté.

Mais la boîte contenait autre chose, un objet froid et noir à demi dissimulé entre les billets. Un objet que Fegan ne voulait pas tenir à la main. Dans l’ombre, ses yeux cherchèrent ceux du garçon.

« Non », dit-il.

L’adolescent pointa l’index sur l’objet avec insistance.

« Non », répéta Fegan, d’une voix déjà plus faible.

La bouche du garçon s’ouvrit tout grand et il se prit les cheveux à deux mains. Avant que le cri ne sorte, Fegan saisit le Walther P 99.

Un sourire grimaçant s’épanouit sur le visage du jeune garçon. Ses dents brillaient dans l’obscurité. Il fit mine d’armer le pistolet pour introduire la première cartouche.

Fegan baissa les yeux sur l’arme, regarda à nouveau son compagnon. Celui-ci hocha la tête. Quand Fegan fit glisser la culasse, il éprouva le contact du pistolet, ferme et solide, comme la poignée de main d’un vieil ami.

Le garçon sourit, se releva et regagna le palier.

Fegan contemplait toujours le Walther. Il l’avait acheté quelques semaines après sa sortie de Maze, uniquement dans le but de se protéger, et ne le sortait jamais de sa boîte sauf pour le nettoyer. Ses doigts trouvèrent la détente au centre de la garde.

Le jeune garçon attendait à la porte.

Fegan se releva à son tour et le suivit. Mince et gracile, l’adolescent s’engagea dans l’escalier, filant vers la lumière au bas des marches.

Fegan amorça la descente à son tour, lentement. Pris d’une poussée d’adrénaline, il retrouva de lugubres souvenirs, des voix depuis longtemps réduites au silence, des visages sanguinolents. Les onze autres fantômes venaient derrière en échangeant des regards éloquents. Une fois parvenu au pied de l’escalier, il vit McKenna qui lui tournait le dos. Le politicien examinait une photo de la mère de Fegan, du temps où elle était jeune et jolie, debout sur le seuil d’une porte.

Le garçon traversa la pièce et mima l’exécution de l’homme qui l’avait démoli avec un marteau, plus de vingt ans auparavant.

Le cœur de Fegan cognait dans sa poitrine, il respirait avec force. McKenna allait sûrement l’entendre.

Le garçon le regarda et sourit.

« Tu me laisseras tranquille après ? » demanda Fegan.

Le garçon hocha la tête.

« Pardon ? » McKenna posa la photo, se retourna, et demeura figé en voyant l’arme pointée sur son front.

« Ce n’est pas possible ici », dit Fegan.

Le sourire du garçon s’évanouit.

« Pas chez moi. Ailleurs. »

Le sourire réapparut.

« Bon sang, Gerry. » McKenna eut un petit rire nerveux en levant les mains. « Qu’est-ce qui te prend ?

— Désolé, Michael. Je suis obligé. »

McKenna ne riait plus. « Je ne comprends pas, Gerry. Toi et moi, on est amis.

— On va monter dans ta voiture. » Une clarté nouvelle s’installait dans l’esprit de Fegan. Pour la première fois depuis des mois, sa main ne tremblait pas.

McKenna grimaça. « Attends, tu plaisantes ?

— On va monter dans ta voiture, répéta Fegan. Toi à l’avant, moi à l’arrière.

— Gerry, tu n’as plus ta tête. Pose ce flingue avant de faire quelque chose que tu regretterais. »

Fegan s’approcha. « Dans la voiture. »

McKenna tendit une main. « Arrête, Gerry. On se calme un peu, d’accord ? Donne-moi ce pistolet, je vais le ranger. Et ensuite on boira un coup.

— Je ne te le redirai pas.

— Sans rire, Gerry, dit McKenna en s’avançant pour prendre l’arme. Donne-moi ça. »

Fegan braqua le canon sur son front.

« Tu as toujours été barge ! » McKenna se dirigea vers la porte sans le quitter des yeux. Il ouvrit le battant et sortit dans la rue. Là, il regarda de gauche à droite, de droite à gauche, avec l’espoir de trouver un témoin. En voyant ses épaules s’affaisser, Fegan comprit qu’il n’y avait personne. Ce n’était pas le genre de rue où les gens vous épient derrière un rideau.

Le déverrouillage automatique de la Mercedes se fit entendre.

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