Stuart Neville - Le silence pour toujours

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Après avoir été grièvement blessé dans une fusillade, l’inspecteur Jack Lennon voit sa vie partir à la dérive. Un jour, Rea Carlisle, une ex-petite amie, lui demande de l’aide. Rea, fille d’un politicien influent, a hérité de la maison d’un oncle qu’elle n’a jamais vraiment connu. En triant les affaires du défunt, elle tombe sur un album relié en cuir. Son contenu la remplit d’effroi. Page après page, elle découvre un catalogue de meurtres avec mèches de cheveux, ongles et autres souvenirs macabres. Impossible pour elle d’aller trouver la police vu la position de son père ; mais au moment où elle s’apprête à rencontrer Jack Lennon, l’album disparaît…
Les terribles fantômes de Belfast n’ont pas fini de hanter les vivants.
STUART NEVILLE
Les Fantômes de Belfast « Il n’oublie jamais le cœur humain qui bat derrière la plus grande noirceur. » Val McDermid « Le thriller psychologique et la procédure policière se combinent en un roman haletant signé par un maître du genre. » Publishers Weekly

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Je suis resté debout près d’un escalier mécanique, sans bouger, en respirant profondément, pour que ça s’arrête. Pour que le calme revienne. Je voulais retrouver la raison. Au bout d’un moment, la pression a diminué et je me suis remis à marcher. Vers l’arrière du centre commercial et l’horrible champ de brique qu’ils ont construit sur les décombres de l’ancien Smithfield Market.

J’ai remarqué une jeune femme penchée sur une poussette, en train d’essuyer le nez d’un bébé. Un autre enfant, âgé d’environ quatre ans, se tenait non loin. Il pleurait, le visage rouge. Et criait, je le veux, je le veux, maman, je le veux. Inlassablement.

Il n’y a pas eu de pensée consciente derrière l’acte. Pas la moindre. Cela s’est fait tout seul, aussi naturellement que l’on respire.

En revenant sur mes pas, j’ai pris la main du garçon dans la mienne.

« Je vais te le donner », ai-je dit.

Il a levé les yeux vers moi et m’a suivi aussitôt. Il n’a pas appelé sa mère.

« Qu’est-ce que tu veux ? je lui ai demandé.

Thomas.

C’est quoi, Thomas ?

Thomas Tank. »

J’ai compris de quoi il parlait. Un train que l’on voit à la télévision et dans les livres d’enfants, avec de gros yeux et une bouche qui sourit sans cesse.

« Allons le chercher. »

Il a regardé par-dessus son épaule.

J’ai accéléré l’allure, de sorte qu’il devait sautiller pour se maintenir à ma hauteur. À tout moment, je m’attendais à entendre la mère l’appeler. Et ensuite ?

La sortie du centre commercial n’était plus qu’à quelques mètres. Dans trente secondes, le gamin et moi aurions disparu, tout simplement.

Et ensuite ?

La terreur a fissuré mon délire.

Qu’étais-je en train de faire ? Je ne m’en tirerais pas. Quelqu’un me verrait. On m’attraperait.

Et ensuite ?

Pourtant, j’ai continué à avancer, tirant toujours le garçonnet.

Peut-être que je désirais être arrêté. Après tout ce temps, peut-être que je voulais provoquer une fin.

Je me suis immobilisé à la porte, la main sur la vitre. Mon cœur ballottait dans ma poitrine comme une pierre dans un bocal.

La folie.

J’ai lâché la main du garçon, je l’ai laissé là. Juste avant que la porte se referme derrière moi, j’ai entendu la mère qui criait le nom de son enfant, d’abord avec angoisse, puis avec soulagement. J’ai marché, marché, sans me retourner une seule fois.

Je suis passé aux informations ce soir.

Tentative d’enlèvement d’un enfant dans un centre commercial plein de monde. Les images de la vidéosurveillance me montraient en train d’entraîner le petit garçon, de baisser la tête pour lui parler. Puis je l’abandonnais à la porte, et sa mère se précipitait vers lui.

Je resterai cloîtré chez moi quelques jours. Les images, bien qu’un peu brouillées, étaient suffisamment claires. Personne ne verra mon visage pendant au moins une semaine. Je ne sais pas si je survivrai à ce temps que je passerai seul avec moi-même, juste ma maladie et moi enfermés entre ces murs. Mais je dois essayer.

Si je survis, parle-moi. Rappelle-moi de ne pas laisser mon esprit s’égarer. Aide-moi. Fais que je me maîtrise, aussi bien que toi.

Promets que tu me maintiendras droit.

29

La circulation était fluide en ce début de matinée. Lennon passa trois fois devant l’immeuble, sans remarquer aucune voiture de police. La dernière fois, il ralentit à l’entrée du parking. Rien, hormis les véhicules des résidents. Il contourna le rond-point au bout de la rue, revint en sens inverse et entra dans l’aire de stationnement.

Soulagé, bien qu’il ne se fût pas vraiment attendu à tomber sur des flics. On n’avait peut-être pas encore relevé ses empreintes, mais cela ne tarderait plus. Flanagan se pointerait dès que les résultats lui seraient communiqués. Tout ce qu’il voulait, c’était voir Ellen, prendre quelques affaires, et filer.

Il se gara à sa place habituelle et coupa le moteur. Dans le silence de la voiture, il éprouva à nouveau les symptômes persistants de sa gueule de bois. À son réveil, aux alentours de sept heures, il s’était traîné dans la salle de bains de l’hôtel pour vomir.

Il avait bu trois verres d’eau, le temps de retrouver ses esprits. Il se rappelait avoir parlé à Flanagan la veille. Qu’avait-il dit ? Dans les brumes de sa mémoire, il se revoyait émerger d’un sommeil comateux, auquel la voix cassante l’avait vite renvoyé. Sobre, il n’aurait probablement pas téléphoné. Flanagan n’avait aucune raison de le croire quant à ce correspondant anonyme, et il ne pouvait rien prouver.

Peut-être avait-il eu simplement besoin de parler à quelqu’un, n’importe qui, même une femme qui le prenait pour un meurtrier. Et si le meurtrier de Rea l’avait appelé, c’était peut-être aussi pour cette raison.

Mais peu importait maintenant. Il descendit de voiture, verrouilla les portières, entra dans l’immeuble avec sa clé et prit l’ascenseur.

Quand il pénétra dans l’appartement, Susan était assise à la table de la cuisine. Elle se figea, la fourchette suspendue à mi-hauteur entre sa bouche et son assiette d’œufs brouillés. Lucy, pas encore habillée pour l’école, leva à peine la tête de ses Cheerios.

Il se rappela alors qu’on était samedi. Les jours qui venaient de s’écouler se fondaient les uns dans les autres et semblaient n’en former qu’un seul. Pas d’école aujourd’hui pour Lucy et sa fille.

« Où est Ellen ? » demanda-t-il.

Susan laissa bruyamment retomber sa fourchette sur l’assiette. « Qu’est-ce que tu fais ici ? »

Lennon s’avança d’un pas. « J’avais envie de voir Ellen.

— Va-t’en, dit Susan. Sors immédiatement, sinon j’appelle la police.

— Pourquoi ? Ils n’ont aucun motif pour m’arrêter. » La peur lui serra le cœur. « Où est Ellen ?

— Elle n’est pas là. Va-t’en. »

Il s’approcha encore. Susan se leva d’un bond.

« Où est-elle ? »

Susan posa une main sur l’épaule de sa fille. « Lucy, va dans la salle de bains. Mets le verrou et n’ouvre pas avant que je te le dise. »

Lucy obéit sans un mot. Sans regarder Lennon.

À la peur succéda la colère. Lennon eut soudain conscience de ses mains, de leur poids, des dégâts qu’elles pourraient infliger. Il s’obligea à rester de marbre, la voix neutre.

« Dis-moi où est Ellen, s’il te plaît. »

Susan ne répondit pas avant d’avoir entendu la porte de la salle de bains se refermer et le verrou s’enclencher.

« Sa tante Bernie est venue la chercher hier soir. »

Une décharge d’adrénaline se répandit dans ses membres et vibra jusqu’au bout de ses doigts, si puissante qu’elle élimina toute trace de sa gueule de bois. « Pourquoi l’as-tu laissée l’emmener ? Pourquoi ?

— Qu’est-ce que j’étais censée faire ? Je ne savais pas où tu étais parti ni quand tu reviendrais récupérer ta fille. Alors, j’ai appelé Bernie. Pour qu’Ellen soit avec sa vraie famille, elle n’en a pas d’autre. »

Lennon agrippa le rebord de la table, comme soulevé par une rage qui menaçait de l’emporter. Une colère si brûlante qu’elle semblait ouvrir en deux son crâne chauffé à blanc. Devant les signes qu’il manifestait, Susan recula. Il s’assit, planta ses dents dans le dos de sa main, et sentit la douleur le cisailler au milieu du tumulte.

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