Vers 17 heures, il retourna aux Tournesols et frappa chez les Hartman. Cette fois-ci, la chance lui sourit. Les Hartman, tous deux retraités, avaient passé la journée dehors. On le fit entrer dans la cuisine, où madame mit tout de suite un café en route pendant que Mikael expliquait ce qu'il cherchait. Exactement comme pour les autres tentatives au cours de la journée, ce fut un flop. Hartman se gratta la tête, alluma une pipe et constata après un moment qu'il ne reconnaissait pas les gens sur la photo. Mari et femme parlaient entre eux le patois typique de Norsjö que par moments Mikael eut du mal à comprendre. Madame voulait sans doute dire « cheveux bouclés » quand elle constata que la femme sur la photo avait « des knövelhära ».
— Mais vous ne vous êtes pas trompé, c'est un autocollant de la menuiserie, dit le mari. C'est futé de l'avoir reconnu. Le seul problème, c'est que nous avons distribué ces autocollants à droite et à gauche. Aux chauffeurs routiers, aux clients qui achetaient ou livraient du bois, aux réparateurs et aux machinistes et à plein d'autres.
— Alors, ça va être plus compliqué de les retrouver que ce que je pensais.
— Pourquoi vous voulez les retrouver ?
Mikael avait décidé de dire la vérité quand les gens demandaient. Chaque histoire qu'il essaierait d'inventer autour du couple sur la photo serait de toute façon invraisemblable et ne ferait que créer de la confusion.
— C'est une longue histoire. Je fais des recherches sur un crime qui a eu lieu à Hedestad en 1966 et je crois qu'il y a une possibilité, même si elle est microscopique, que les personnes sur la photo aient vu ce qui s'était passé. Ils ne sont absolument pas soupçonnés de quoi que ce soit et je ne pense même pas qu'ils sachent eux-mêmes qu'ils détiennent peut-être des informations qui pourraient résoudre ce crime.
— Un crime ? Quelle sorte de crime ?
— Je suis désolé, mais je ne peux pas en dire plus. Je comprends que ça doit paraître vraiment mystérieux d'arriver près de quarante ans plus tard et d'essayer de trouver ces gens, mais le crime n'a jamais été résolu et ce n'est que récemment que de nouveaux éléments ont refait surface.
— Je vois. Oui, effectivement, c'est une drôle de recherche que vous faites là.
— Combien de personnes travaillaient à la menuiserie ?
— L'équipe au complet comptait quarante personnes. J'y ai été employé depuis mes dix-sept ans au milieu des années 1950 et jusqu'à ce que l'usine cesse son activité. Ensuite je suis devenu chauffeur routier.
Hartman réfléchit un moment.
— Mais je peux affirmer que le gars sur la photo n'a jamais travaillé à la menuiserie. A moins qu'il n'ait été chauffeur, mais je crois que je l'aurais reconnu dans ce cas. Il y a aussi une autre possibilité. Ça peut très bien être son père ou quelqu'un de sa famille qui travaillait à l'usine et qu'il ne s'agit pas de sa voiture.
Mikael hocha la tête.
— Je comprends que les possibilités sont nombreuses. Vous verriez quelqu'un avec qui je pourrais parler ?
— Oui, dit Hartman en dressant l'index. Passez demain dans la matinée, et on ira faire un tour pour discuter avec les vieux.
LISBETH SALANDER SE TROUVAIT confrontée à un problème de méthodologie de taille. Elle était experte dans l'art de sortir des informations sur n'importe qui, mais au départ elle avait toujours disposé d'un nom et du numéro personnel d'identité d'un individu encore en vie. Si la personne figurait dans une base de données, ce qui était inconditionnellement le cas de tout le monde, l'objectif se retrouvait très vite dans sa toile d'araignée. Si la personne possédait un ordinateur avec une connexion à Internet, une adresse e-mail et peut-être même avait son propre site, ce qui était le cas de presque tous ceux qui étaient sur la sellette pour son type de recherche, elle pouvait percer leurs secrets les plus intimes.
Le travail qu'elle avait accepté de faire pour Mikael Blomkvist était tout différent. En bref, la mission consistait cette fois à identifier quatre numéros personnels à partir de données extrêmement vagues. De plus, ces personnes avaient vécu il y avait plusieurs dizaines d'années. Ce qui excluait probablement la possibilité qu'elles figurent dans une base de données.
La thèse de Mikael, basée sur le cas Rebecka Jacobsson, était que ces personnes avaient été victimes d'un meurtrier. Elles devraient donc apparaître dans diverses enquêtes de police non résolues. Elle ne disposait d'aucune indication relative à la date et au lieu où ces meurtres auraient été commis, sauf qu'ils dataient forcément d'avant 1966. Du point de vue de la recherche, elle se trouvait face à une situation entièrement nouvelle.
Bon, alors, je fais ça comment, moi ?
Elle alluma l'ordinateur, lança le moteur de recherche www.google.com et entra les mots-clés Magda + meurtre. C'était la forme de recherche la plus simple qu'elle puisse faire. A sa grande surprise, une porte s'ouvrit tout de suite dans ses investigations. La première occurrence était la grille horaire de Télé-Värmland à Karlstad, qui indiquait un épisode de la série Meurtres dans le Värmland diffusée en 1999. Puis elle trouva un court article du Värmlands Folkblad.
Un nouvel épisode de la série Meurtres dans le Värmland s'attache au cas Magda Lovisa Sjöberg de Ranmotrâsk, un meurtre mystérieux et abominable qui mobilisa la police de Karlstad il y a plusieurs dizaines d'années. En avril 1960, la fermière Lovisa Sjöberg, quarante-six ans, fut retrouvée, assassinée de la manière la plus brutale, dans l'étable de sa ferme. Le reporter Claes Gunnars retrace ses dernières heures et la chasse infructueuse au meurtrier. Ce meurtre éveilla beaucoup d'émoi en son temps et de nombreuses théories sur le coupable ont été avancées. Dans l'émission, un parent plus jeune mis en cause racontera à quel point sa vie a été détruite par l'accusation. 20 heures.
Elle trouva des informations plus consistantes dans l'article « Le cas Lovisa a bouleversé toute une région », publié dans le magazine Värmlandskultur, dont le texte figurait intégralement sur le Net. Avec un ravissement manifeste et sur un ton racoleur, on racontait comment le mari de Lovisa Sjöberg, le bûcheron Holger Sjöberg, avait trouvé sa femme morte en rentrant chez lui après le travail vers 17 heures. Elle avait été victime de violence sexuelle aggravée, poignardée et finalement tuée avec une fourche. Le meurtre avait eu lieu dans l'étable de la famille, mais ce qui avait créé le plus d'émoi était que, son forfait accompli, le meurtrier l'avait attachée agenouillée dans un box de cheval.
Plus tard, on découvrit qu'une des bêtes de la ferme, une vache, avait été blessée d'un coup de couteau à l'encolure.
Au départ, le mari fut soupçonné, mais il pouvait présenter un alibi en béton. Il se trouvait avec ses collègues de travail depuis 6 heures du matin sur une coupe à quarante kilomètres de la ferme. Lovisa Sjöberg était encore en vie à 10 heures du matin, quand une voisine était passée la voir. Personne n'avait rien vu ni rien entendu ; la ferme était située à près de quatre cents mètres du voisin le plus proche.
Après avoir abandonné le mari comme suspect principal, l'enquête de police se reporta sur un neveu de la femme assassinée, un jeune homme de vingt-trois ans. L'homme avait plusieurs fois eu maille à parti! avec la justice, eu proie à de sérieux soucis financiers, il avait régulièrement emprunté de l'argent à sa tante. L'alibi du neveu était considérablement plus fragile et il fut placé en garde à vue puis relâché faute de preuves, comme on disait. Nombre d'habitants du village l'estimaient malgré cela très vraisemblablement coupable.
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