A L'ENTRÉE DE L'HÔPITAL, Mikael tomba sur Cécilia Vanger. Il avait essayé de l'appeler sur son portable une douzaine de fois depuis son retour de vacances interrompues, mais elle n'avait jamais répondu. Elle n'était pas non plus chez elle sur l'île quand il était passé par là et avait frappé à sa porte.
— Salut Cécilia, dit-il. Je suis désolé pour Henrik.
— Merci, répondit-elle en secouant la tête.
Mikael essaya de lire ses sentiments, mais ne ressentit ni chaleur ni froideur.
— Il faut qu'on parle, dit-il.
— Je suis désolée de t'avoir exclu de cette façon. Je comprends que tu sois en colère, mais j'ai du mal à me supporter moi-même en ce moment.
Mikael fronça les sourcils avant de comprendre ce qu'elle voulait dire. Il posa vivement une main sur son bras et lui sourit.
— Attends, tu ne m'as pas bien compris, Cécilia. Je ne suis absolument pas en colère contre toi. J'espère que nous resterons amis, mais si tu n'as pas envie de me voir... si telle est ta décision, je la respecterai.
— Les liaisons, ce n'est pas mon fort, dit-elle.
— A moi non plus. On va prendre un café ensemble ?
Il fit un signe de la tête vers la cafétéria de l'hôpital. Cécilia Vanger hésita.
— Non, pas aujourd'hui. Je voudrais voir Henrik maintenant.
— D'accord, mais il faut quand même que je te parle. D'un point de vue professionnel.
— Qu'est-ce que tu veux dire ? Elle dressa l'oreille tout à coup.
— Tu te souviens quand on s'est rencontrés la première fois, quand tu es venue me voir en janvier. J'ai dit que tout ce qu'on se disait était off the record, et que si j'avais de véritables questions à te poser, je le dirais. C'est au sujet de Harriet.
Le visage de Cécilia Vanger s'enflamma soudain de fureur.
— Espèce de salaud.
— Cécilia, j'ai trouvé des choses dont je dois tout simplement te parler.
Elle fit un pas en arrière.
— Tu ne comprends donc pas que toute cette foutue chasse à cette foutue Harriet est une façon pour Henrik de rester occupé. Tu ne comprends pas qu'il est peut-être en train de mourir là-haut et que la dernière chose dont il a besoin, c'est qu'on le trouble et lui donne de faux espoirs...
Elle se tut.
— C'est peut-être un hobby pour Henrik, mais là, j'ai trouvé plus de nouveaux éléments que tout le monde en trente-cinq ans. Il y a des questions dans l'enquête qui n'ont pas eu de réponse, et je travaille selon les instructions de Henrik.
— Si Henrik meurt, cette putain d'enquête va se terminer rapidos. Et tu vas te faire virer la tête la première, dit Cécilia Vanger en l'évitant pour passer la porte.
TOUT ÉTAIT FERMÉ. Hedestad était pratiquement déserte et la population semblait avoir rejoint les festivités de la Saint-Jean à la campagne. Mikael finit par trouver la terrasse du Grand Hôtel, où il put commander un café et un sandwich et s'installer avec les journaux du soir. Rien d'important ne s'était passé dans le monde.
Il posa les journaux et réfléchit à Cécilia Vanger. Il n'avait mentionné ni à Henrik ni à Dirch Frode qu'il la soupçonnait d'avoir ouvert la fenêtre de la chambre de Harriet. Il avait peur de la transformer en suspecte, et la dernière chose qu'il souhaitait était de lui nuire. Mais il faudrait poser la question, tôt ou tard.
Il s'attarda à la terrasse pendant une heure avant de décider de repousser le problème et de consacrer la Saint-Jean à autre chose qu'à la famille Vanger. Son portable restait silencieux. Erika était partie en week-end et s'amusait quelque part avec son mari, et il n'avait personne avec qui parler.
Il fut de retour sur l'île vers 16 heures et prit encore une décision — arrêter de fumer. Il faisait de l'entraînement régulier depuis son service militaire, de la gym et du jogging le long de Söder Mälarstrand, mais avait complètement arrêté quand les problèmes avec Hans-Erik Wennerström avaient commencé. A Rullåker, il s'était remis à soulever de la ferraille, surtout comme une thérapie, mais depuis sa libération il n'avait pas beaucoup progressé. L'heure était venue de s'y remettre. Avec beaucoup de détermination, il enfila un survêtement et fit un tour paresseux sur le chemin menant à la cabane de Gottfried, bifurqua vers la Fortification et enchaîna sur un tempo plus soutenu hors piste. Il n'avait pas pratiqué la course d'orientation depuis son service militaire, mais il avait toujours préféré courir dans la forêt plutôt que sur le plat des pistes d'entraînement. Il suivit la clôture d'Ostergârden pour revenir au hameau. Il se sentait complètement brisé lorsque, soufflant comme un bœuf, il fit les derniers mètres avant la maison des invités.
Vers 18 heures, il avait pris sa douche. Attaché malgré lui au traditionnel repas de la Saint-Jean, il mit à bouillir des pommes de terre, prépara son hareng mariné à la moutarde avec de la ciboulette et des œufs durs, et s'installa sur une table bancale dehors côté pont. Il se versa une rasade d'aquavit et se porta un toast. Puis il ouvrit un polar intitulé Le Chant des sirènes, de Val McDermid.
VERS 19 HEURES, Dirch Frode passa le voir et s'installa lourdement dans la chaise de jardin en face de lui. Mikael lui servit une lichette de Skåne.
— Tu as éveillé pas mal de ressentiment aujourd'hui, dit Frode.
— J'ai cru comprendre, oui.
— Birger Vanger est un bouffon.
— Je le sais.
— Mais Cécilia Vanger n'est pas un bouffon et elle est furieuse contre toi.
Mikael hocha la tête.
— Elle m'a donné instruction de veiller à ce que tu cesses de farfouiller dans les affaires de la famille.
— Je vois. Et ta réponse ?
Dirch Frode regarda son verre d'aquavit, puis il fit soudain cul sec.
— Ma réponse est que Henrik a donné des instructions très claires sur ce qu'il veut que tu fasses. Tant qu'il n'a pas modifié ses instructions, tu es employé selon le contrat que nous avons formulé. J'attends que tu fasses tout ton possible pour remplir ta part du contrat.
Mikael hocha la tête. Il regarda le ciel où des nuages de pluie s'étaient accumulés.
— Il y a de l'orage dans l'air, dit Frode. Si ça se met à souffler vraiment fort, je serai là pour t'épauler.
— Merci.
Ils observèrent un instant de silence.
— Tu m'offres un autre verre de gnôle ? demanda Dirch Frode.
QUELQUES MINUTES SEULEMENT après que Dirch Frode était rentré chez lui, Martin Vanger freina et gara sa voiture au bord de la route devant la maison des invités. Il descendit et vint saluer Mikael qui lui souhaita une bonne Saint-Jean et lui proposa un verre.
— Non, il ne vaut mieux pas. Je suis sur l'île seulement pour me changer et ensuite je retourne en ville pour passer la soirée avec Eva.
Mikael attendit.
— J'ai parlé avec Cécilia. Elle est un peu en vrac en ce moment — elle est très proche de Henrik. J'espère que tu lui pardonnes si elle dit des choses... désagréables ?
— J'aime beaucoup Cécilia, répondit Mikael.
— C'est ce que j'ai compris. Mais elle a ses humeurs. Sache seulement qu'elle est totalement contre le fait que tu remues le passé.
Mikael soupira. Tout le monde à Hedestad semblait avoir compris pourquoi Henrik l'avait embauché.
— Ton avis ?
Martin Vanger écarta les mains en un geste de perplexité.
— Cette histoire de Harriet est une obsession chez Henrik depuis des décennies. Je ne sais que dire... Harriet était ma sœur, mais en quelque sorte c'est tellement loin. Dirch Frode m'a dit que tu as un contrat en béton que seul Henrik peut rompre, et j'ai peur que dans son état actuel cela fasse plus de mal que de bien.
— Et toi, tu veux que je poursuive ?
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