— Comment ça ?
— Dragan Armanskij dit que tu es entièrement fiable. Mais je te pose quand même la question. Est-ce que je peux te raconter des secrets sans que tu les divulgues, à qui que ce soit ?
— Attends. Tu as donc parlé avec Dragan ; c'est lui qui t'a envoyé ici ?
Je vais te péter la gueule, sale connard d'Arménien.
— Eh bien, pas exactement. Tu n'es pas la seule à savoir trouver une adresse et il se trouve que je me suis débrouillé tout seul. Je t'ai recherchée dans les registres de l'état civil. Il y a trois personnes qui s'appellent Lisbeth Salander, et les deux autres étaient hors de question. Mais j'ai contacté Armanskij hier et nous avons eu une longue conversation. Lui aussi au début a cru que je venais faire des histoires parce que tu as fouiné dans ma vie privée, mais il a fini par comprendre que ma requête était tout à fait légitime.
— Ce qui veut dire ?
— Le commanditaire de Dirch Frode m'a donc engagé pour un boulot. Je suis arrivé maintenant à un point où j'ai besoin de l'aide d'un enquêteur qualifié et ça de toute urgence. Frode m'a parlé de toi et de ta compétence. Ça lui a échappé, et c'est comme ça que j'ai appris que tu avais fait une ESP sur moi. Hier j'ai parlé avec Armanskij et j'ai expliqué ce que je voulais. Il a donné le feu vert et il a essayé de t'appeler mais tu ne répondais pas au téléphone, alors... me voici. Tu peux appeler Armanskij pour vérifier si tu veux.
IL FALLUT PLUSIEURS MINUTES à Lisbeth Salander pour trouver son téléphone portable sous le tas de vêtements que Mimmi l'avait aidée à enlever. Mikael Blomkvist contempla sa fouille chaotique avec beaucoup d'intérêt tout en vaquant dans l'appartement. Tous les meubles, sans exception, semblaient sortir droit de bennes à ordures. Sur une petite table de travail dans le séjour trônait une impressionnante installation informatique. Et elle avait un lecteur de CD sur une étagère. Sa collection de CD, en revanche, était tout sauf impressionnante — une malheureuse dizaine de disques avec des groupes dont Mikael n'avait jamais entendu parler et sur les pochettes desquels les artistes ressemblaient à des vampires issus des confins de l'espace. La musique, de toute évidence, n'était pas le domaine de Lisbeth.
Salander constata qu'Armanskij l'avait appelée pas moins de sept fois au cours de la soirée et deux fois dans la matinée. Elle composa son numéro tandis que Mikael s'adossait au chambranle pour écouter la conversation.
— C'est moi... Désolée, je l'avais coupé... Je sais qu'il veut m'engager... Non, il est ici chez moi... Elle leva la voix. Dragan, j'ai la gueule de bois et j'ai mal à la tête, alors arrête ton baratin ; est-ce que tu as donné le feu vert ou pas ?... Merci.
Clic.
Lisbeth Salander regarda Mikael Blomkvist par l'entrebâillement de la porte. Il contemplait ses CD et sortait des livres des étagères, et il venait de trouver un flacon de médicament marron sans étiquette qu'il brandissait vers la lumière avec curiosité. Il s'apprêtait à dévisser le bouchon quand elle tendit la main et lui prit le flacon, retourna dans la cuisine, s'assit et se massa les tempes jusqu'à ce que Mikael se soit rassis.
— Les règles sont simples, dit-elle. Rien de ce que tu discutes avec moi ou avec Dragan Armanskij n'atteindra quelqu'un d'extérieur. Nous allons signer un contrat dans lequel Milton Security s'engage à garder le silence. Je veux savoir en quoi consiste le boulot avant de décider si je veux travailler pour toi ou pas. Cela signifie que je garderai le silence sur tout ce que tu me raconteras, que j'accepte le boulot ou pas, à condition que tu ne révèles pas qu'il s'agit d'une activité criminelle d'envergure. Dans ce cas, je ferai un rapport à Dragan, qui à son tour préviendra la police.
— Bien. Il hésita. Armanskij ne sait peut-être pas exactement ce pour quoi je veux t'engager...
— Il m'a dit que tu voulais de l'aide pour une recherche historique.
— Oui, c'est exact. Mais ce que je veux que tu fasses, c'est m'aider à identifier un meurtrier.
IL FALLUT PLUS D'UNE HEURE à Mikael pour raconter tous les détails embrouillés du cas Harriet Vanger. Il n'en omit pas un. Il avait eu l'autorisation de Frode de l'engager et, pour ce faire, il était obligé de pouvoir lui accorder entièrement sa confiance.
Il parla aussi de ses relations avec Cécilia Vanger et comment il avait découvert son visage à la fenêtre de Harriet. Il donna à Lisbeth autant de précisions qu'il pouvait sur sa personnalité. Il commençait à admettre que Cécilia avait grimpé très haut sur la liste des suspects. Mais il était encore loin de comprendre comment Harriet pouvait avoir des liens avec un assassin en activité à une époque où elle était encore une petite fille.
Cela fait, il donna à Lisbeth Salander une copie de la liste du carnet de téléphone.

— Qu'est-ce que tu attends de moi ?
— J'ai identifié RJ, Rebecka Jacobsson, et j'ai fait la connexion entre elle et une citation de la Bible qui parle des sacrifices par immolation. Elle a été tuée d'une façon semblable à ce qui est décrit dans la citation — sa tête a été posée sur des braises. Si j'ai raison, nous trouverons quatre autres victimes — Magda, Sara, Mari et RL.
— Tu crois qu'elles sont mortes ? Tuées ?
— Un assassin qui opérait dans les années 1950 et peut-être 1960. Et qui d'une façon ou d'une autre a un lien avec Harriet Vanger. J'ai parcouru de vieux numéros de Hedestads-Kuriren. L'assassinat de Rebecka est le seul crime monstrueux que j'ai trouvé qui ait un lien avec Hedestad. Je veux que tu continues les recherches sur le reste de la Suède.
Lisbeth Salander resta plongée dans ses pensées et un silence inexpressif si long que Mikael commença à se tortiller d'impatience. Il se demandait s'il n'avait pas fait le mauvais choix lorsqu'elle finit par lever les yeux.
— D'accord. Je prends le boulot. Mais tu commences par signer le contrat avec Armanskij.
DRAGAN ARMANSKIJ IMPRIMA le contrat que Mikael Blomkvist allait emporter à Hedestad et transmettre à Dirch Frode pour signature. En revenant dans la pièce de travail de Lisbeth Salander, il vit de l'autre côté de la cloison vitrée qu'elle et Mikael Blomkvist étaient penchés sur son PowerBook. Mikael posait la main sur son épaule — il la touchait — et lui indiquait quelque chose. Armanskij prit son temps.
Mikael dit quelque chose qui sembla surprendre Salander. Puis elle rit bruyamment.
Jamais auparavant Armanskij ne l'avait entendue rire, bien qu'il ait essayé de gagner sa confiance pendant plusieurs années. Mikael Blomkvist la connaissait depuis cinq minutes et elle riait déjà en sa compagnie.
Brusquement il détesta Mikael Blomkvist avec une intensité qui le surprit. Il s'éclaircit la gorge sur le pas de la porte et posa la chemise en plastique avec le contrat.
MIKAEL EUT LE TEMPS de faire une rapide visite à la rédaction de Millenium dans l'après-midi. C'était la première fois depuis qu'il avait fait le ménage dans son bureau avant Noël et ça paraissait soudain étrange de grimper ces escaliers pourtant si familiers. Ils n'avaient pas changé le code d'accès, et il put se glisser par la porte de la rédaction sans se faire remarquer et rester un instant à se contenter de regarder autour de lui.
Le local de Millenium était en forme de L. L'entrée proprement dite était un grand hall occupant beaucoup de surface sans être vraiment utilisable. Ils y avaient installé un ensemble canapé et fauteuils où ils pouvaient accueillir des visiteurs. Derrière le canapé s'ouvrait une salle à manger avec kitchenette, des toilettes et deux cagibis aménagés avec des rayonnages d'archives. Il y avait aussi une table de travail pour l'intérimaire. A droite de l'entrée, une cloison vitrée donnait sur l'atelier de Christer Malm, dont la propre entreprise occupait quatre-vingts mètres carrés avec entrée séparée depuis la cage d'escalier. A gauche se trouvait la rédaction, environ cent cinquante mètres carrés avec la façade vitrée donnant sur Götgatan.
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