Le ciel était lourd de nuages. A l'horizon pointait un soupçon d'aurore. Puis elle entendit le bruit d'un moteur et aperçut la voiture de Martin Vanger sur l'E4 en direction du sud. Lisbeth redémarra, enclencha la première et passa sous le viaduc. Elle roulait à 80 kilomètres à l'heure quand elle surgit après le virage de la bretelle d'accès. Devant elle, une ligne droite. Elle ne vit aucune circulation, mit les gaz à fond et s'envola. Lorsque la voie décrivit une courbe le long d'une crête, elle était à 170 kilomètres à l'heure, ce qui était environ le maximum que sa petite cylindrée débridée par ses soins pouvait atteindre en descente. Deux minutes plus tard, elle vit la voiture de Martin Vanger à environ quatre cents mètres devant elle.
Analyse des paramètres. Qu'est-ce que je fais maintenant ?
Elle ralentit aux plus raisonnables 120 kilomètres à l'heure et roula à la même vitesse que lui. Elle le perdit de vue quelques secondes quand ils passèrent quelques virages. Puis ils arrivèrent dans une longue ligne droite. Elle était à environ deux cents mètres derrière lui.
Il avait dû voir le phare de sa moto et accéléra après un long virage. Elle poussa sa bécane à fond mais perdit du terrain dans les courbes.
De loin, elle vit les lumières du poids lourd. Martin Vanger les avait vues aussi. Soudain il accéléra encore davantage et passa sur la file de gauche cent cinquante mètres avant la rencontre. Lisbeth vit le poids lourd freiner et lancer des appels de phares frénétiques, mais en quelques secondes il avait avalé les mètres et la collision frontale fut inévitable. Martin Vanger lança sa voiture droit sur le camion dans un fracas épouvantable.
Lisbeth Salander freina instinctivement. Puis elle vit le semi-remorque se coucher sur sa voie. A la vitesse qu'elle tenait, il lui fallut deux secondes pour rejoindre les lieux de l'accident. Elle accéléra, roula sur le bas-côté et évita l'arrière du semi-remorque d'un mètre quand elle passa. Du coin de l'œil, elle vit des flammes surgir à l'avant du camion.
Elle continua sur encore cent cinquante mètres avant de s'arrêter et de se retourner. Elle vit le conducteur du poids lourd sauter à terre du côté passager. Alors elle remit les gaz. A Åkerby, deux kilomètres plus au sud, elle prit à gauche et suivit la vieille nationale vers le nord, parallèle à l'E4. Elle passa le lieu de l'accident en hauteur et vit que deux voitures s'étaient arrêtées. L'épave était totalement aplatie et coincée sous le poids lourd, entourée d'énormes flammes. Un homme tentait d'éteindre le feu avec un petit extincteur.
Elle accéléra et fut bientôt de retour à Hedeby. Elle passa le pont à bas régime, se gara devant la maison des invités et retourna à pied chez Martin Vanger.
MIKAEL ÉTAIT TOUJOURS en train de se bagarrer avec les menottes. Ses mains étaient si engourdies qu'il n'arrivait pas à saisir la clé. Lisbeth ouvrit les menottes et le tint serré contre elle tandis que le sang se remettait à circuler dans ses mains.
— Martin ? demanda Mikael d'une voix rauque.
— Mort. Il est rentré de plein fouet à 150 kilomètres à l'heure dans un poids lourd à quelques kilomètres d'ici sur l'E4.
Mikael la fixa bêtement. Elle n'était partie que depuis quelques minutes.
— Il faut qu'on... appelle la police, croassa Mikael avant d'être saisi d'une violente quinte de toux.
— Pour quoi faire ? demanda Lisbeth Salander.
PENDANT DIX MINUTES ENCORE, Mikael fut incapable de se lever. Il resta assis par terre, nu et adossé au mur. Il se massa le cou et souleva la bouteille d'eau avec des doigts maladroits. Lisbeth attendit patiemment que sa sensibilité revienne. Elle en profita pour réfléchir.
— Habille-toi.
Elle utilisa le tee-shirt découpé de Mikael pour essuyer les empreintes digitales sur les menottes, le couteau et le club de golf. Elle prit la bouteille d'eau avec elle.
— Qu'est-ce que tu fais ?
— Habille-toi. Le jour est en train de se lever. Dépêche-toi.
Mikael se redressa sur des jambes flageolantes et réussit à enfiler son slip et son jean. Il glissa ses pieds dans les baskets. Lisbeth fourra ses chaussettes dans la poche de son blouson et l'arrêta.
— Tu as touché à quoi exactement ici dans la cave ?
Mikael regarda autour de lui. Il essaya de se rappeler. Finalement il dit qu'il n'avait rien touché à part la porte et les clés. Lisbeth trouva les clés dans la veste de Martin Vanger, qu'il avait étalée sur le dossier de la chaise. Elle essuya méticuleusement la poignée de la porte et l'interrupteur et éteignit. Elle guida Mikael en haut de l'escalier de la cave et lui demanda d'attendre dans le passage pendant qu'elle rangeait le club de golf à sa place. En revenant, elle lui tendit un tee-shirt sombre ayant appartenu à Martin Vanger.
— Enfile-le. Je ne veux pas que quelqu'un te voie en train de te balader torse nu cette nuit.
Mikael comprit qu'il était en état de choc. Lisbeth avait pris le commandement et il obéit à ses ordres sans discuter. Elle l'éloigna de la maison de Martin Vanger. Elle le tint sans arrêt serré contre elle. Dès qu'ils eurent franchi la porte de la maison de Mikael, elle se tourna vers lui.
— Si quelqu'un nous a vus et demande ce que nous faisions dehors cette nuit, sache que toi et moi nous avons fait une promenade nocturne jusqu'au promontoire où nous avons fait l'amour.
— Lisbeth, je ne peux pas...
— Maintenant, file sous la douche !
Elle l'aida à enlever ses vêtements et l'expédia dans la salle de bains. Puis elle mit en route le café et prépara rapidement une demi-douzaine de tartines épaisses avec du fromage, du pâté de foie et des cornichons. Elle était assise à la table de cuisine, plongée dans une réflexion intense, lorsque Mikael revint en boitillant. Elle examina les plaies et les éraflures visibles sur son corps. La courroie avait frotté et laissé une marque rouge sombre autour du cou, et le couteau avait laissé une entaille dans la peau sur le côté gauche du cou.
— Viens, dit-elle. Allonge-toi sur le lit.
Elle alla chercher des pansements et couvrit la plaie avec une compresse. Puis elle lui versa du café et lui tendit une tartine.
— Je n'ai pas faim, dit Mikael.
— Mange, commanda Lisbeth Salander en avalant elle-même une grosse bouchée de tartine au fromage.
Mikael ferma les yeux pendant quelques secondes. Puis il s'assit et mordit dans la tartine. Sa gorge le faisait à tel point souffrir qu'il réussit à peine à avaler.
— Laisse le café refroidir un peu. Allonge-toi sur le ventre.
Elle passa cinq minutes à lui masser le dos et faire pénétrer le Uniment. Ensuite elle le retourna et lui administra le même traitement sur le devant du corps.
— Tu vas avoir de sérieux hématomes pendant un bon bout de temps.
— Lisbeth, il faut qu'on appelle la police.
— Non, répondit-elle avec une telle détermination dans la voix que Mikael en resta les yeux écarquillés. Si tu appelles la police, je me tire. Je ne veux rien avoir à faire avec eux. Martin Vanger est mort. Il est mort dans un accident de voiture. Il était seul dans la voiture. Il y a des témoins. Laisse la police ou quelqu'un d'autre découvrir cette foutue chambre de torture. Toi et moi, nous ne savons rien, pas plus que tous les autres habitants du hameau.
— Pourquoi ?
Elle ignora sa question et continua de masser ses cuisses endolories.
— Lisbeth, mais c'est carrément impossible...
— Si tu continues à me faire chier, je te traîne dans l'antre de Martin et je t'enchaîne de nouveau.
Elle n'avait pas fini sa phrase que Mikael s'endormit, aussi soudainement que s'il s'était évanoui.
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