— Bonjour, fit Lisbeth Salander à la porte. Elle sourit un peu, vraiment.
— Salut, dit Mikael.
— On n'a plus de lait. J'y vais, à la station-service. Ils ouvrent à 7 heures.
Elle pivota si vite que Mikael n'eut pas le temps de répondre. Il l'entendit se chausser, prendre son sac et son casque de moto, et disparaître par la porte d'entrée. Il ferma les yeux. Puis il entendit la porte se rouvrir et seulement quelques secondes plus tard elle se montra de nouveau à la porte. Cette fois-ci, elle ne souriait pas.
— Il faut que tu viennes voir, dit-elle d'une voix bizarre.
Mikael fut immédiatement debout et enfila son jean. Pendant la nuit, quelqu'un était venu leur faire un cadeau dont ils se seraient bien passés. Sur le perron gisait le cadavre à moitié carbonisé d'un chat dépecé. Les pattes et la tête du chat avaient été tranchées, le corps dépouillé, le ventre ouvert et les entrailles arrachées ; les restes étaient jetés à côté du cadavre, qui semblait avoir été grillé sur un feu. La tête du chat était intacte et avait été placée sur la selle de la moto de Lisbeth Salander. Mikael reconnut le pelage roux.
ILS PRIRENT LE PETIT-DÉJEUNER dans le jardin en silence et sans lait dans le café. Lisbeth avait sorti un petit appareil photo Canon digital et photographié la macabre mise en scène avant que Mikael arrive avec un sac-poubelle pour tout enlever. Il avait placé le chat dans le coffre arrière de la voiture qu'on lui prêtait, mais n'était pas très sûr de ce qu'il allait faire de ce cadavre. Logiquement, il devrait porter plainte pour cruauté envers les animaux, peut-être aussi pour menaces, mais il ne savait pas très bien comment expliquer pourquoi il y avait eu cette menace.
Vers 8 h 30, Isabella Vanger passa à pied et se dirigea vers le pont. Elle ne les vit pas ou fit semblant de ne pas les voir.
— Tu te sens comment ? demanda Mikael finalement à Lisbeth.
— Bien. Elle le regarda, interloquée. D'accord. Il aimerait que je sois sur les nerfs. Quand je trouverai le salaud qui a torturé à mort un pauvre chat innocent rien que pour nous filer un avertissement, je vais y aller à coups de batte de baseball.
— Tu penses que c'est un avertissement ?
— Tu as une meilleure explication ? Et ça veut dire quelque chose.
Mikael hocha la tête.
— Quelle que soit la vérité dans cette histoire, nous avons suffisamment inquiété quelqu'un pour que cette personne s'affole. Mais il y a un autre problème aussi, dit-il.
— Je sais. Il s'agit d'un sacrifice d'animal du même style que 1954 et 1960. Mais il semble impossible qu'un tueur qui était en activité il y a cinquante ans rôde et pose des animaux torturés devant ta porte.
— Les seuls à pouvoir figurer sur la liste dans ce cas sont Harald Vanger et Isabella Vanger. Il y a un certain nombre de parents âgés du côté de Johan Vanger, mais aucun n'habite la région.
Mikael soupira avant de poursuivre :
— Isabella est une peau de vache qui n'hésiterait sans doute pas à tuer un chat, mais je doute qu'elle ait passé son temps à tuer des femmes à la chaîne dans les années 1950. Harald Vanger... je ne sais pas, il semble tellement faible qu'il arrive à peine à marcher et j'ai du mal à croire qu'il soit sorti en douce la nuit pour trouver un chat et faire ça.
— A moins que ce ne soit deux personnes. Une vieille et une jeune.
Mikael entendit une voiture passer, leva les yeux et vit Cécilia Vanger disparaître au bout du pont. Harald et Cécilia, pensa-t-il. Mais l'idée contenait un grand point d'interrogation ; père et fille ne se voyaient pas et se parlaient à peine. Malgré la promesse de Martin Vanger de lui parler, elle n'avait toujours pas répondu à un seul des appels téléphoniques de Mikael.
— C'est forcément quelqu'un qui sait que nous fouillons et que nous avons fait des progrès, dit Lisbeth Salander en se levant et en rentrant dans la maison.
En revenant, elle était vêtue de sa combinaison de moto.
— Je pars pour Stockholm. Je serai de retour ce soir.
— Qu'est-ce que tu vas faire ?
— Chercher des trucs. Si un mec est assez dingue pour tuer un chat comme ça, il — ou elle, d'ailleurs — peut très bien nous tomber dessus la prochaine fois. Ou foutre le feu à la baraque pendant qu'on roupille. Je veux que tu ailles à Hedestad acheter deux extincteurs et deux détecteurs d'incendie aujourd'hui. L'un des extincteurs doit être au halon.
Sans rien dire de plus elle coiffa son casque, démarra la moto et disparut par le pont.
MIKAEL BALANÇA LE CADAVRE dans une poubelle à la station-service avant de se rendre à Hedestad acheter les extincteurs et les détecteurs d'incendie. Il rangea ses achats dans le coffre arrière de la voiture et rejoignit ensuite l'hôpital. Il avait appelé et fixé rendez-vous avec Dirch Frode à la cafétéria. Il raconta ce qui s'était passé le matin. Dirch Frode blêmit.
— Mikael, je n'avais jamais imaginé que cette histoire puisse devenir dangereuse.
— Pourquoi pas ? La mission était bien de démasquer un assassin.
— Mais qui pourrait... C'est de la pure folie. Si vous n'êtes pas en sécurité, toi et Mlle Salander, il faut tout arrêter. Je peux en parler à Henrik.
— Non. Surtout pas. N'allons pas provoquer un autre infarctus.
— Il demande tout le temps comment tu t'en sors.
— Dis-lui que je continue à débrouiller les fils.
— Qu'est-ce que vous comptez faire maintenant ?
— J'ai quelques questions. Le premier incident a eu lieu peu après l'infarctus de Henrik quand j'étais à Stockholm pour la journée. Quelqu'un a fouillé ma pièce de travail. C'était juste après que j'ai percé le code de la Bible et découvert les photos de la rue de la Gare. J'en avais parlé à toi et à Henrik. Martin était au courant puisque c'est lui qui m'a facilité l'accès à Hedestads-Kuriren. Qui d'autre était au courant ?
— Eh bien, je ne sais pas exactement à qui Martin avait parlé. Mais Birger et Cécilia le savaient aussi. Ils ont discuté de ta chasse aux photos entre eux. Même Alexander est au courant. Et puis aussi Gunnar et Helen Nilsson. Ils étaient venus rendre visite à Henrik et ils ont été mêlés à la conversation. Et Anita Vanger.
— Anita ? Celle de Londres ?
— La sœur de Cécilia. Elle a pris l'avion avec Cécilia quand Henrik a fait son infarctus, mais elle était descendue à l'hôtel et, pour autant que je sache, elle n'a pas mis les pieds sur l'île. Tout comme Cécilia, elle ne veut pas rencontrer son père. Mais elle est repartie il y a une semaine, quand Henrik est sorti des soins intensifs.
— Cécilia habite où ? Je l'ai vue ce matin quand elle a traversé le pont, mais sa maison est éteinte et fermée.
— Tu la soupçonnes ?
— Non, je demande seulement où elle habite.
— Elle habite chez son frère, Birger. De chez lui, on peut facilement aller à pied à l'hôpital.
— Sais-tu où elle se trouve en ce moment ?
— Non. En tout cas, elle n'est pas avec Henrik.
— Merci, dit Mikael et il se leva.
LA FAMILLE VANGER gravitait autour de l'hôpital de Hedestad. Dans le hall d'entrée, Birger Vanger se dirigeait vers les ascenseurs. Mikael n'avait pas envie de le croiser et il attendit qu'il ait disparu avant de sortir dans le hall. Mais il tomba sur Martin Vanger dans le sas d'entrée, presque exactement à l'endroit où il avait rencontré Cécilia Vanger lors de sa visite précédente. Ils se serrèrent la main.
— Tu es passé voir Henrik ?
— Non, j'ai juste vu Dirch Frode en vitesse.
Martin Vanger avait les yeux creux et un air fatigué. Mikael fut soudain frappé de voir qu'il avait considérablement vieilli depuis six mois qu'ils se connaissaient. La lutte pour sauver l'empire vangérien était coûteuse et la maladie soudaine de Henrik n'avait pas été encourageante.
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