Frustrée, Sonja Modig prit son téléphone et appela le répondeur de Bjurman. Elle se présenta, laissa son numéro de portable et demanda à Bjurman de la contacter immédiatement.
Elle retourna devant la porte de Bjurman, ouvrit son bloc-notes et écrivit un petit mot demandant à Bjurman de l'appeler. Elle joignit sa carte de visite et lâcha tout par le volet destiné au courrier. Au moment où elle allait laisser retomber le volet, elle entendit le téléphone sonner dans l'appartement. Elle se pencha et écouta attentivement.
Après quatre sonneries, le répondeur s'enclencha, mais elle ne put entendre le message.
Elle lâcha le volet du courrier et fixa la porte. Elle ne sut expliquer quelle impulsion lui fit tendre la main vers la poignée mais, à sa grande surprise, la porte n'était pas fermée à clé. Elle l'ouvrit et regarda dans le vestibule.
— Il y a quelqu'un ? appela-t-elle doucement et elle tendit l'oreille.
Elle n'entendait aucun bruit.
Elle fit un pas dans le vestibule et s'arrêta, hésitante. Ce qu'elle venait de faire en franchissant la porte pouvait sans doute être considéré comme une violation de domicile. Elle n'avait aucune autorité pour faire une perquisition et aucun droit de se trouver dans l'appartement de maître Bjurman même si la porte était ouverte. Elle lorgna sur la gauche et vit une partie d'un séjour. Elle venait juste de prendre la décision de ressortir de l'appartement quand son regard tomba sur la commode du vestibule. Elle vit la boîte d'un revolver Colt.
Brusquement, Sonja Modig ressentit un puissant malaise. Elle ouvrit sa veste et sortît son arme de service, chose qu'elle n'avait pratiquement jamais faite de sa vie.
Elle enleva le cran de sûreté et tint le canon dirigé vers le sol en s'avançant pour jeter un coup d'œil dans le séjour. Elle ne remarqua rien de spécial, mais son malaise augmentait. Elle recula et regarda dans la cuisine. Vide. Elle s'engagea dans un petit dégagement et ouvrit la porte de la chambre.
Maître Nils Bjurman était couché en travers du lit. Ses genoux touchaient par terre. Il semblait agenouillé pour dire sa prière du soir. Il était nu.
Elle le vit de profil. De là où elle se tenait, Sonja Modig pouvait déjà voir qu'il n'était pas en vie. La moitié de son front avait été emportée par un coup tiré dans la nuque.
Sonja Modig sortit à reculons sur le palier. Elle tenait toujours son arme de service à la main quand elle ouvrit son téléphone portable et appela l'inspecteur Bublanski. Elle n'arriva pas à le joindre. Alors elle appela le procureur Ekström. Elle nota l'heure. 16 h 18.
HANS FASTE CONTEMPLA la porte d'entrée de l'immeuble de Lundagatan où Lisbeth Salander était domicilée et donc supposée habiter. Il jeta un regard en coin sur Curt Bolinder, puis sur sa montre-bracelet. 16 h 10.
Après avoir obtenu le code d'accès auprès du syndic de l'immeuble, ils étaient déjà entrés écouter à la porte marquée Salander-Wu. Ils n'avaient capté aucun bruit dans l'appartement et personne n'avait ouvert lorsqu'ils avaient sonné. Ils étaient retournés à la voiture et s'étaient placés de manière à pouvoir surveiller le portail.
En téléphonant de la voiture, ils avaient appris que la personne qui avait récemment été incluse dans le contrat d'habitation de l'appartement était une certaine Miriam Wu, née en 1974, et auparavant domicilée à Sankt Eriksplan à Stockholm.
Ils disposaient d'une photo d'identité avec le visage de Lisbeth Salander scotchée au-dessus de l'autoradio. Faste, sans se gêner, annonça qu'il lui trouvait une sale gueule.
— Merde alors, les putes sont de plus en plus moches. Il faut vraiment que tu sois en manque pour en ramasser une comme ça.
Curt Bolinder ne répondit pas.
A 16 h 20, Bublanski les appela pour annoncer qu'il partait de chez Armanskij pour se rendre à Millenium. Il demanda à Faste et Bolinder d'attendre dans Lundagatan. Il leur faudrait amener Lisbeth Salander pour interrogatoire, mais le procureur ne la considérait pas encore comme liée aux meurtres d'Enskede.
— Eh voilà, dit Faste. Encore un proc qui veut d'abord des aveux avant d'inculper quelqu'un. Curt Bolinder ne dit rien. Ils observèrent distraitement les personnes en mouvement dans les environs.
A 16 h 40, le procureur Ekström appela sur le portable de Hans Faste.
— Il s'est passé des choses. Nous avons retrouvé maître Bjurman tué par balle dans son appartement. Ça fait au moins vingt-quatre heures qu'il est mort.
Hans Faste se redressa sur le siège.
— Compris. Qu'est-ce qu'on fait ?
— J'ai lancé un avis de recherche de Lisbeth Salander. Elle est soupçonnée d'avoir commis trois meurtres. Je lance un avis de recherche national. Il faut l'appréhender. Nous devons la considérer comme dangereuse et éventuellement armée.
— Compris.
— J'envoie une brigade à Lundagatan. Ce sont eux qui entreront pour neutraliser l'appartement.
— Compris.
— Avez-vous des nouvelles de Bublanski ?
— Il est à Millenium.
— Et il a apparemment coupé son portable. Essayez de le joindre pour l'informer.
Faste et Bolinder se regardèrent.
— La question est donc de savoir ce qu'on fera si elle se montre, dit Curt Bolinder.
— Si elle est seule et que tout semble en ordre, on la cueille. Si elle a le temps d'entrer dans son appartement, c'est la brigade qui interviendra. Cette nana est complètement fêlée et apparemment en tournée meurtrière. Elle peut avoir d'autres armes chez elle.
MIKAEL BLOMKVIST ÉTAIT ÉPUISÉ quand il laissa tomber le manuscrit sur le bureau d'Erika Berger et s'assit lourdement en face d'elle dans le fauteil des visiteurs, à côté de la fenêtre donnant sur Götgatan. Il avait passé l'après-midi à essayer de déterminer le destin du livre inachevé de Dag Svensson.
Le sujet était sensible. Dag n'était mort que depuis quelques heures et son employeur était déjà en train de réfléchir à la manière de gérer son matériau journalistique. Mikael était conscient de l'aspect cynique et insensible qu'on pouvait trouver à cela. Lui-même ne voyait pas les choses ainsi. Il avait l'impression de se trouver en état d'apesanteur. Un syndrome bien connu de tous les journalistes d'information générale en activité et qui se manifestait dans des moments de crise.
Alors que d'autres s'enfoncent dans la tristesse, le journaliste d'information trouve toute son efficacité. Et malgré le coup de massue qui s'était abattu sur les membres de la rédaction de Millenium le jeudi matin, le professionnalisme prit le dessus et fut canalisé dans un travail intense.
Pour Mikael, c'était une évidence. Dag était de la même trempe et aurait réagi de la même manière si les rôles avaient été inversés. Il se serait demandé ce qu'il pouvait faire pour Mikael. Dag avait laissé le manuscrit d'un livre au contenu explosif. Il avait bossé plusieurs années à récolter des données et à trier des faits, une tâche dans laquelle il avait investi toute son âme et qu'il n'aurait jamais l'occasion de mener à bien.
Et, surtout, il avait travaillé à Millenium.
Les meurtres de Dag Svensson et de Mia Bergman ne représentaient pas un traumatisme national comme le meurtre d'Olof Palme, par exemple, et il n'y aurait pas de deuil national. Mais pour les employés de Millenium, le choc était probablement plus important — ils étaient personnellement touchés — et Dag Svensson avait un vaste réseau de contacts dans le milieu journalistique qui exigeraient une réponse à leurs questions.
C'était maintenant à Mikael et à Erika de terminer le travail de Dag sur le livre, mais aussi de répondre aux questions du qui et du pourquoi.
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